L'honorable Michelle Brass

Hon-Brass-1-(2).jpgQUEL A ÉTÉ VOTRE CHEMINEMENT DANS LE MONDE DU DROIT ET DE LA MAGISTRATURE?

Mon cheminement dans le monde du droit n’en est pas un qui s’est fait en ligne droite. Mon initiation a eu lieu quand mon père est devenu gendarme spécial des Premières Nations à la GRC, alors que j’étais âgée de dix ans. Je ne comprenais pas tout à fait ce que la « loi » était, mais je savais que quelque chose portait ce nom et que mon père veillait à ce qu’elle soit respectée. J’ai compris qu’il y avait de mauvaises personnes dans le monde. Mon père, étant un parent unique, ne me donnait pas souvent des livres pour enfants. Je lisais donc les livres que je trouvais à la maison, comme « Helter Skelter », qui traitait des meurtres de Charles Manson. Ce livre a dévoilé à mon jeune esprit le monde juridique qui s’ouvre aux personnes qui commettent des crimes terribles. J’ai compris que la police pouvait arrêter des gens. Pourtant, le concept de la loi elle-même était comme une ombre sur le mur de la sombre grotte de mon esprit. Tout ce que je pouvais voir, c’était la forme floue de la loi à travers le regard de ma jeunesse. Je savais qu’il y avait quelque chose que l’on appelait la loi en vertu de laquelle des gens devaient se présenter devant le tribunal et pouvaient aboutir en prison. L’uniforme de mon père était une preuve tangible de l’existence de la loi. À l’époque, mon père me demandait ce que je voulais être quand je serais grande. Je répondais que je souhaitais être vétérinaire ou avocate.

Je ne me suis pas immédiatement lancée dans la pratique du droit. En fait, j’ai eu plusieurs emplois et j’ai voyagé au Canada et à l’étranger. J’ai pris mon temps pour terminer mes études de premier cycle. Mes emplois d’été à la bibliothèque de l’Université des Premières Nations du Canada (formellement, le Saskatchewan Indian Federated College) ou comme chauffeuse de taxi pendant mon bac m’ont donné des outils pour travailler dans le monde du droit et à la magistrature. Le travail à la bibliothèque m’a permis de comprendre l’importance des détails alors que le métier de chauffeuse de taxi (principalement pendant des quarts de nuit) m’a appris à me fier à mon intuition et à saisir les gens. Ce sont des compétences que j’utilise encore aujourd’hui. Mes voyages au Canada m’ont permis de voir les conditions de vie dans les Prairies, dans les Maritimes et sur la côte ouest, tandis que mes voyages à l’étranger m’ont ouvert les yeux sur l’histoire de certains peuples d’Europe, notamment sur l’Holocauste lors de la visite du camp de concentration de Dachau, qui m’a vraiment frappée. Le Mexique, l’Asie, l’Australie et les États-Unis m’ont permis de mieux saisir la diversité de notre monde et de réaliser à quel point tous les gens qui nous entourent se ressemblent. J’ai fini par obtenir mon baccalauréat en philosophie à l’Université de Regina, étudiant le jour la métaphysique de l’univers et la nature de l’existence humaine et acquérant la nuit des connaissances sur les réalités fondamentales des gens en conduisant un taxi.

J’ai présenté ma candidature à la faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan en 1993 et au programme de droit d’été de l’Indigenous Law Centre (formellement, le Native Law Centre). J’ai été accepté et j’ai commencé mes études en 1994. J’ai obtenu mon diplôme en 1997 et j’ai fait des stages au ministère de la Justice de la Saskatchewan, pratiquant le droit civil et le droit constitutionnel, travaillant sur des poursuites de la Couronne et passant un mois dans un cabinet juridique. Lors de mon initiation aux poursuites, je me souviens d’avoir remarqué que la faculté de droit ne m’avait pas bien préparé dans ce domaine. En fait, c’est mon travail de chauffeuse de taxi qui l’avait fait. Les mêmes personnes qui montaient dans mon taxi à deux heures du matin se présentaient devant le tribunal lors de l’audience du lundi matin. J’ai accepté un contrat à court terme à la division du droit constitutionnel après mes stages et j’ai mis le cap sur Ottawa. Une fois à Ottawa, j’ai fait mes premiers pas à Justice Canada.

J’ai pratiqué le droit au sein de l’unité des revendications particulières (Specific Claims Unit) de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (formellement, Affaires autochtones et du Nord Canada). J’étais responsable de rédiger des avis juridiques d’obligation légale, de fournir du soutien juridique aux tables de négociation et de rédiger des accords de règlement pour certaines questions. J’ai aussi participé à un échange de travail entre la Commission des revendications des Indiens et Échanges Canada. J’ai été formé en médiation, en négociations et en gestion de projets. J’ai exercé le droit pour le gouvernement fédéral pendant 14 ans avant de revenir à la maison, en Saskatchewan. Je me suis ensuite jointe à la Water Security Agency de la Saskatchewan. Grâce à mon expérience en gestion de projets et dans le domaine du droit de l’eau, de nombreuses revendications sur lesquelles j’ai travaillé traitaient de l’inondation de réserves indiennes, de terres de la Couronne et de terres en fief simple. J’ai finalement ouvert mon propre cabinet où j’ai continué à travailler sur des revendications particulières et sur des questions relatives au droit de l’eau. J’ai aussi enseigné le droit des biens autochtones au programme d’été de l’Indigenous Law Centre, et j’ai conçu et animé le Gladue Awareness Project pour le Centre et la faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan. J’ai ensuite été nommé à la Cour provinciale de la Saskatchewan à Estevan, en Saskatchewan, en 2018.

QUE SOUHAITEZ-VOUS QUE LE PUBLIC SACHE AU SUJET DU SYSTÈME DE JUSTICE?

Je me concentrerai sur le système de justice pénale dans mes commentaires ci-dessous.

Divers membres du public connaissent mal le système de justice et je voudrais les éclairer. Par exemple, certains d’entre eux sont assujettis au système de justice. Il peut s’agir d’un accusé, d’un contrevenant ou de parties liées. Ces gens doivent savoir que le système de justice n’a pas à être l’alpha et l’oméga de leur existence. Ils doivent savoir qu’il y a des façons de vivre dans la société canadienne sans l’intervention du système de justice.

Il y a aussi des gens qui regardent le système de justice de l’extérieur sans se rendre compte qu’il est beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît. Ces membres du public doivent savoir que les acteurs du système ne sont généralement pas là par choix. Leur présence est plutôt le résultat d’un dysfonctionnement dans leur famille ou dans leur collectivité. Ce dysfonctionnement est le produit de divers facteurs, comme la pauvreté, le système de pensionnats ou le système de placement en famille d’accueil. Les gens sont rarement nés pour commettre des crimes.

Les membres du public doivent également savoir que les statistiques produites mesurent le nombre de personnes qui sont dans le système de justice, mais que ces chiffres n’indiquent pas le nombre de personnes d’une communauté particulière qui n’y sont pas. Par exemple, lorsque des statistiques montrent qu’il y a un nombre élevé de personnes autochtones incarcérées, ce nombre est comparé par habitant à d’autres Canadiens qui sont en prison. Les statistiques ne doivent pas être lues pour soutenir les stéréotypes ou des préjugés.

J’aimerais aussi que les membres du public canadien sachent que les personnes qui Å“uvrent au sein du système de justice travaillent avec des ressources limitées. Le système est en interaction avec des personnes qui ont souvent des problèmes de dépendance et de santé mentale. Ces problèmes sont parfois le résultat d’une vie dans la pauvreté ou d’un traumatisme intergénérationnel. Le système travaille également avec des gens qui traversent des étapes difficiles de leur vie et qui finiront par en sortir lorsqu’ils surmonteront les défis auxquels ils sont confrontés ou prendront de la maturité. Pour les travailleurs du système de justice, les ressources qui peuvent aider ces personnes à relever ces défis sont limitées et ne sont pas offertes dans toutes les régions du pays. Il peut y avoir une volonté de travailler efficacement dans le système sans avoir les moyens d’atteindre cet objectif.

Voilà certaines des choses que j’aimerais que le public sache au sujet du système de justice.