L'honorable Marianne Rivoalen

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QUEL CHEMINEMENT VOUS A MENÉ AU MONDE DU DROIT ET À LA MAGISTRATURE?

Pendant mon programme de premier cycle, mes Ă©tudes Ă©taient principalement concentrĂ©es sur les mathĂ©matiques. Ă€ la fin du programme, j’Ă©tais incertaine de la prochaine Ă©tape Ă  suivre. Une de mes bonnes amies, une collègue d’universitĂ© avec qui j’avais suivi plusieurs cours de sciences (elle s’est dirigĂ©e vers la mĂ©decine), m’a suggĂ©rĂ© de prĂ©senter une demande Ă  la facultĂ© de droit, car sa sĹ“ur aĂ®nĂ©e Ă©tait en deuxième annĂ©e en droit et aimait vraiment son expĂ©rience. Étant Franco-Manitobaine, j’ai dĂ©cidĂ© de prĂ©senter ma candidature Ă  la facultĂ© de droit de l’UniversitĂ© de Moncton, au Nouveau-Brunswick, afin de pouvoir Ă©tudier la common law en français.

J’ai grandi sur une ferme dans une rĂ©gion rurale du Manitoba et je n’avais jamais Ă©tĂ© exposĂ©e au droit, aux juristes, aux tribunaux ou Ă  tout autre sujet liĂ© au domaine juridique. Je n’avais aucune idĂ©e ce que les juristes faisaient de leur vie. Je suis allĂ©e Ă  la facultĂ© de droit sans rien y connaĂ®tre, prĂŞte Ă  apprendre et sans aucune attente. J’ai aimĂ© mon expĂ©rience Ă  la facultĂ©, mes camarades de classe issus des quatre coins du Canada, la beautĂ© des provinces de l’Atlantique et la chaleur du peuple acadien.

Je suis revenue au Manitoba en 1988 pour complĂ©ter mon stage et j’ai eu la chance d’ĂŞtre embauchĂ©e par un grand cabinet juridique de Winnipeg. Au bout de dix ans, je me suis jointe Ă  un plus grand cabinet de Winnipeg et j’y ai pratiquĂ© cinq ans de plus. Tout au long de mes annĂ©es de pratique privĂ©e, je me suis concentrĂ©e sur les litiges civils et j’ai offert mes services en français et en anglais.

En pratique privĂ©e, j’ai consacrĂ© une grande partie de mon temps libre Ă  faire du bĂ©nĂ©volat auprès de diverses organisations communautaires. Mes principaux intĂ©rĂŞts Ă©taient de redonner Ă  la communautĂ© francophone et de travailler avec des organisations de femmes francophones. Au fil de ces annĂ©es, j’ai siĂ©gĂ© Ă  plusieurs conseils d’administration d’organisations francophones, comme la Caisse populaire de Saint-Boniface ltĂ©e, le Centre Miriam inc., le RÉSEAU de femmes et le Centre de soins infirmiers TachĂ©/Foyer Valade. J’ai Ă©tĂ© prĂ©sidente de Pluri-elles (Manitoba) inc., un centre de ressources pour femmes francophones, de 1994 Ă  1997. J’ai cessĂ© de faire du bĂ©nĂ©volat communautaire Ă  la suite de mon mandat Ă  la prĂ©sidence de la SociĂ©tĂ© de la francophonie manitobaine (SFM), de 2000 Ă  2003.

J’ai aussi fait du bĂ©nĂ©volat au sein de la communautĂ© juridique, consacrant du temps Ă  siĂ©ger comme membre du conseil de l’Association du Barreau du Manitoba. J’ai Ă©tĂ© membre du comitĂ© juridique du Fonds d’action et d’Ă©ducation juridique pour les femmes (FAEJ) du Manitoba et j’ai siĂ©gĂ© Ă  plusieurs comitĂ©s du Barreau du Manitoba. J’ai Ă©tĂ© membre du conseil d’administration de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM), dont j’ai Ă©tĂ© la prĂ©sidente de 1997 Ă  2000. De plus, j’ai fait du bĂ©nĂ©volat en siĂ©geant Ă  des conseils d’administration Ă  l’extĂ©rieur des communautĂ©s francophone et juridique, notamment pour le Royal Winnipeg Ballet et le Manitoba Community Services Council Inc.

En 2003, j’ai quittĂ© la pratique privĂ©e et je me suis jointe au bureau de Winnipeg des services juridiques autochtones de Justice Canada. J’ai Ă©tĂ© nommĂ©e conseillère juridique principale et chef d’Ă©quipe, et j’Ă©tais responsable du litige de l’affaire des pensionnats indiens au Manitoba. Ce poste m’a permis de travailler avec des survivants de la Première Nation Sagkeeng qui ont frĂ©quentĂ© l’Ă©cole de Fort Alexander, qui avait Ă©tĂ© dirigĂ©e par les congrĂ©gations catholiques membres de l’archidiocèse de Saint-Boniface. On m’a demandĂ© de prendre en charge ces revendications parce que la majoritĂ© des documents historiques de l’Ă©glise Ă©taient rĂ©digĂ©s en français.

Les 22 mois que j’ai passĂ©s Ă  travailler sur ces revendications ont rĂ©ellement Ă©tĂ© transformateurs. C’Ă©tait non seulement la première fois que j’en apprenais sur l’histoire des pensionnats au Canada, j’ai aussi eu le privilège de visiter la Première Nation Sagkeeng, de rencontrer de nombreux survivants et d’entendre leurs histoires, et surtout de contribuer au règlement de plusieurs revendications Ă  l’extĂ©rieur des tribunaux.

Après environ dix ans de pratique et de bĂ©nĂ©volat, les membres des communautĂ©s francophone et juridique m’ont encouragĂ© Ă  prĂ©senter ma candidature Ă  la magistrature.

Le 2 fĂ©vrier 2005, j’ai Ă©tĂ© nommĂ© Ă  la Cour du Banc de la Reine (Division de la famille). J’ai occupĂ© le poste de juge en chef adjointe par intĂ©rim (Division de la famille) du 31 mai 2012 au 22 mai 2015, moment oĂą j’ai Ă©tĂ© nommĂ© au poste de juge en chef adjointe (Division de la famille).

Le 20 septembre 2018, j’ai quittĂ© la Cour du Banc de la Reine du Manitoba et je me suis jointe Ă  la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale.

QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS AUX JURISTES QUI COMPARAISSENT DEVANT VOUS?

Maintenant que vous connaissez mes antĂ©cĂ©dents et mon cheminement juridique, je vais vous parler de l’approche que j’adopte pour promouvoir les jeunes juristes.

Dans la pratique, surtout Ă  la magistrature, j’ai Ă©tĂ© en mesure de faire du mentorat pour des juristes compĂ©tents, des gens de talent et de cĹ“ur, et de les encourager Ă  continuer de pratiquer le droit et de persĂ©vĂ©rer. Certaines des personnes que j’ai encouragĂ©es sont maintenant Ă  la magistrature. J’ai la ferme conviction que le fait de privilĂ©gier la gentillesse Ă  la duretĂ© est toujours plus payant.

Un certain nombre de caractĂ©ristiques contribuent Ă  faire d’une personne un bon juriste : l’intelligence, l’honnĂŞtetĂ©, la bonne Ă©thique de travail, l’intĂ©gritĂ© et parfois mĂŞme le courage. Voici quelques autres points qu’il est selon moi important de prendre en compte.

  • Trouvez un mentor et, lorsque le moment est venu, agissez comme mentor. Redonnez.
  • Le succès ne se mesure pas seulement en dollars. Il se mesure Ă©galement dans la façon dont vous vous sentez par rapport Ă  vous-mĂŞme, Ă  vos compĂ©tences professionnelles, Ă  votre capacitĂ© Ă  prospĂ©rer et Ă  Ă©voluer, et Ă  faire face Ă  des dĂ©fis.
  • N’oubliez jamais que vous ĂŞtes membre d’une profession. Vous ne faites pas des affaires. Vos clients peuvent l’ĂŞtre, mais il y a la noblesse et l’intĂ©gritĂ© dans la tradition que vous avez maintenant l’obligation de perpĂ©tuer. Devant un tribunal, faites toujours preuve d’une politesse scrupuleuse Ă  l’endroit de votre adversaire et de vos tĂ©moins.
  • Le professionnalisme, c’est savoir comment faire preuve de rectitude morale. Ne rĂ©digez jamais quoi que ce soit dans un courriel ou dans une lettre que vous ne voulez pas voir dans un affidavit.
  • L’intĂ©gritĂ© et la rĂ©putation sont, avec la compĂ©tence, les atouts les plus importants que vous pouvez avoir en tant que juriste.
  • Vous avez le devoir envers la cour, mais aussi envers vos clients, de ne jamais sciemment tromper ou induire en erreur la cour, mĂŞme si vous pensez qu’il est dans l’intĂ©rĂŞt de votre client de le faire.
  • Les juges font confiance aux juristes, et il ne faut pas abuser de cette confiance. Elle peut se perdre, et cela est l’annonce d’un dĂ©sastre pour vous en tant que juriste. Les juges et les juristes qui s’affrontent finissent par connaĂ®tre les gens auxquels ils peuvent se fier.
  • La courtoisie devrait ĂŞtre votre mot d’ordre, que vous soyez Ă  la cour ou Ă  l’extĂ©rieur. C’est un aspect important de votre rĂ©putation.

Voici quelques-unes de mes réflexions. Merci de votre intérêt.