L’honorable Jessica Kimmel
QUEL CHEMINEMENT VOUS A MENÉ AU MONDE DU DROIT ET À LA MAGISTRATURE?
Le cheminement qui m’a amenée à devenir avocate puise son inspiration dans la génération de femmes des années 1960 et 1970 qui ont dû surmonter des obstacles institutionnels et le proverbial « plafond de verre » qui a affecté la profession juridique pendant de nombreuses années. Ces femmes vivaient simplement leur vie, mais leur parcours dans les facultés de droit, dans les barreaux et à la magistrature pendant mon enfance et mon adolescence a fait de la carrière d’avocate une réelle possibilité pour les femmes des années 1980, mais en a aussi fait un choix évident pour moi. Un choix de carrière qui aurait été bien moins évident vingt ans plus tôt.
Les jeunes femmes de ma génération qui ont grandi au Canada ont eu la chance d’avoir des parents, des enseignants et d’autres modèles qui les encourageaient à avoir et à exprimer leurs opinions, ce qui nous a donné la chance de faire reconnaître nos points de vue. Celles d’entre nous qui ont osé s’exprimer ont souvent entendu qu’elles seraient de « bonnes avocates ». À tort ou à raison, cela m’a interpellé, même si j’ai aussi envisagé d’aller à la faculté de médecine et de devenir psychiatre.
L’étude du comportement humain et des interactions est un dénominateur commun inattendu entre la psychiatrie et ma carrière en droit. Les juristes, et en particulier les avocats et avocates d’affaires, sont (ou deviennent) intuitivement des maîtres dans la « gestion humaine » de clients, de témoins, de juristes et de juges. La compréhension du droit est importante. La compréhension des faits et des circonstances d’un cas, et leur intégration à l’artillerie juridique est une compétence que, selon moi, ma curiosité innée et mon appréciation de la façon dont les perspectives influencent les expériences ont grandement améliorée.
Ma progression naturelle, qui m’a menée à devenir juge et à prendre en charge la délicate tâche de réunir tous les points de vue exposés dans une conversation, dans une relation, dans un événement ou dans une transaction, tout comme essayer de tenir compte de chacun de ces éléments, a constitué une étape passionnante et logique pour moi.
QUELLE EXPÉRIENCE DE VOTRE CARRIÈRE JURIDIQUE VOUS A LE MIEUX PRÉPARÉ À VOTRE TRAVAIL AU SEIN DE LA MAGISTRATURE?
L’aspect de la profession d’avocate plaidante que j’ai le plus aimé au cours de mes quelque trente années de pratique privée a été l’expérience dans la salle d’audience. Le défi d’interagir avec les témoins, les autres avocats et avocates et les juges, d’anticiper ce qu’ils diraient et de penser à leur intégration dans des présentations orales était tout aussi exaltant que gratifiant. Maintenant que je suis passée du côté de la magistrature et que je vois tout ce que suppose le rôle de juge, j’éprouve de la reconnaissance pour la façon que j’ai de percevoir tout ce qui se passe avant et après les comparutions dans ma salle d’audience.
Les expériences que j’ai vécues en tant qu’avocate plaidante m’ont permis d’apprécier la peur, l’enthousiasme et les attentes des gens lorsqu’ils entrent dans la salle d’audience. Elles ont aussi fait naître en moi le désir de créer un environnement qui est moins intimidant. Je reconnais également le soulagement pur et simple que ressentent les juristes et les plaideurs lorsqu’ils ont fait ce qu’ils avaient à faire et que l’affaire se trouve entre les mains de quelqu’un d’autre, qui a pour tâche de régler le problème (ce que je fais maintenant). Tous ces éléments ont contribué à la façon dont j’aborde mon rôle décisionnel. Je pense que ma compréhension de l’ampleur du travail et de l’angoisse qui va de pair avec la présentation d’une cause par des parties et en leur nom, tout comme mon appréciation de l’importance de la confiance qui a été placée dans ma capacité de trancher, m’a bien préparé à mon travail de juge.
QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS AUX JURISTES QUI COMPARAISSENT DEVANT VOUS?
Tout d’abord, faites preuve de respect envers le tribunal, votre client, la partie adverse et le processus.
Voici quelques moyens (apparemment évidents, mais qu’on ne peut assez souligner) pour y parvenir :
- Suivez les règles et procédures;
- Si vous avez besoin d’une exception, d’une prolongation ou d’une indulgence, demandez-la à l’avance;
- Faites preuve de courtoisie envers tous les membres de la salle d’audience;
- Si vous devez faire des accusations personnelles désagréables, faites-le de manière responsable et parcimonieuse;
- Concentrez-vous sur vos meilleurs faits et arguments.
Ce faisant, vous protégerez également votre propre réputation, qui est la chose la plus importante que vous apportez et présentez à la salle d’audience.
Deuxièmement, canalisez et concentrez votre curiosité :
- Posez des questions pour lesquelles vous avez prévu la réponse;
- Anticipez les questions que d’autres personnes peuvent poser et les réponses que vous ou votre client fournirez;
- Explorez et présentez des solutions de rechange.
Troisièmement, aidez-vous en aidant le ou la juge à comprendre :
- ce que vous lui demandez de faire;
- ce dont vous avez besoin pour le satisfaire;
- ce que l’autre partie dira et les raisons pour lesquelles cela ne devrait pas le toucher;
- les implications pour les parties et les autres personnes touchées.