L’honorable Julie Dutil

Julie Dutil

Quel a Ă©tĂ© votre cheminement dans le monde du droit et dans la magistrature? 

Ça commence trĂšs tĂŽt. À 15 ans, j’avais dĂ©cidĂ© que je voulais ĂȘtre avocate. C’Ă©tait peut-ĂȘtre trĂšs instinctif parce qu’il n’y en avait pas prĂšs de moi. Mon pĂšre Ă©tait ingĂ©nieur et ma mĂšre avait dĂ©butĂ© des Ă©tudes en pharmacie, alors que moi j’adorais, Ă  la tĂ©lĂ©, tout ce qui Ă©tait reliĂ© aux enquĂȘtes et aux procĂšs. Je dĂ©vorais ces films-lĂ  et je me suis imaginĂ©e Ă©voluer dans ce milieu. Ce qui m’attirait beaucoup, c’Ă©tait les tribunaux, le litige, ĂȘtre dans l’action. C’est une idĂ©e qui m’est toujours restĂ©e dans la tĂȘte et il n’y a jamais eu autre chose qui m’a intĂ©ressĂ©. Puis effectivement, je suis entrĂ©e Ă  l’UniversitĂ© Laval Ă  19 ans, j’ai obtenu mon diplĂŽme Ă  22 ans et j’ai Ă©tĂ© assermentĂ©e au Barreau du QuĂ©bec l’annĂ©e suivante. J’ai fait une annĂ©e de pratique gĂ©nĂ©rale dans un cabinet d’avocats et, aprĂšs, j’ai bifurquĂ© vers le droit du travail. Je suis allĂ©e travailler au bureau de Me Louis LeBel, le juge LeBel qui a siĂ©gĂ© Ă  la Cour suprĂȘme du Canada de 2000 Ă  2014. Ce fut une grande chance et les six premiers mois, j’ai travaillĂ© en Ă©troite collaboration avec lui. J’ai pratiquĂ© 15 ans en droit du travail. J’ai donc fait beaucoup de litiges. J’ai eu une clientĂšle diversifiĂ©e et j’ai plaidĂ© Ă  travers le QuĂ©bec. 

Je n’avais jamais songĂ© Ă  devenir juge. Quand j’Ă©tais jeune avocate, il n’y avait pas beaucoup de femmes juges. Mon pĂšre me disait quelquefois : « Un jour peut-ĂȘtre que tu pourrais ĂȘtre juge ». Pour lui, il n’y avait pas de limite, mais je ne trouvais pas que ça avait l’air trĂšs excitant... J’aimais mieux ĂȘtre de l’autre cĂŽtĂ© et plaider jusqu’Ă  ce qu’une collĂšgue de mon bureau soit nommĂ©e Ă  la magistrature. DĂšs sa nomination, elle a tentĂ© de me convaincre d’aller la rejoindre. C’est comme ça que trois ans plus tard, alors que j’avais 39 ans, j’ai posĂ© ma candidature. J’ai eu beaucoup de chance parce que c’Ă©tait un moment oĂč les gouvernements voulaient nommer plus de femmes comme juges. Il y avait un bassin plus restreint qu’aujourd’hui parmi les avocates de litiges et moi j’avais de l‘expĂ©rience de ce cĂŽtĂ©. J’ai pu ĂȘtre nommĂ©e au premier essai, quelques mois aprĂšs avoir posĂ© ma candidature et, vraiment, dĂšs la premiĂšre journĂ©e, j’ai immĂ©diatement adorĂ© ça. J’ai siĂ©gĂ© sept ans et huit mois Ă  la Cour supĂ©rieure et, ensuite, en septembre 2004, j’ai Ă©tĂ© nommĂ©e Ă  la Cour d’appel. En quelque sorte, j’ai eu trois carriĂšres et je suis encore Ă©merveillĂ©e de la chance que j’ai eue et de toutes les expĂ©riences extraordinaires que cela m’a fait vivre. Franchement, j’ai Ă©tĂ© comblĂ©e.

Quelle expérience de votre carriÚre juridique vous a le mieux préparé à votre travail au sein de la magistrature?

Le fait que j’ai fait beaucoup de litiges m’a Ă©normĂ©ment facilitĂ© le travail. Je plaidais deux ou trois fois par semaine en droit du travail et j’ai toujours Ă©tĂ© Ă  l’aise dans une salle d’audience. En outre, c’Ă©tait un domaine de pratique du droit prĂšs des gens. Je n’ai pas eu seulement des contacts avec des institutions ou avec de grands clients commerciaux. Je travaillais avec des gens qui avaient des problĂšmes de congĂ©diement, d’accident de travail, de santĂ© mentale, soit des problĂšmes que tout le monde est susceptible de rencontrer. Ce qui m’a aussi aidĂ©, c’est que j’Ă©crivais souvent des opinions juridiques et, ce qui est un atout quand on devient juge, c’est d’ĂȘtre Ă  l’aise Ă  l’Ă©crit. On Ă©crit beaucoup, alors pour quelqu’un qui a de la facilitĂ© Ă  l’Ă©criture, cela rend la transition plus aisĂ©e. Et finalement, je suis trĂšs organisĂ©e et je ne laisse jamais les dĂ©libĂ©rĂ©s s’accumuler. Si j’ai un arrĂȘt Ă  Ă©crire, je m’assois et mĂȘme si je pense que c’est difficile, je commence le travail. Je ne perds pas de temps.

Quels conseils donneriez-vous aux juristes qui se prĂ©sentent devant vous? 

Ne jamais oublier qu’ils sont des officiers de justice. Ils doivent reprĂ©senter leur client, mais ne jamais tromper le tribunal. Il ne faut pas gagner une cause Ă  tout prix. L’avocat.e est un officier de justice et doit maintenir l’autoritĂ© des tribunaux et ĂȘtre honnĂȘte. Il ne faut jamais oublier ce principe. Et d’ailleurs, pour ceux qui ont l’ambition de devenir juge, la rĂ©putation qu’on s’est bĂątie comme avocat.e, autant auprĂšs des clients, des juges qu’avec les collĂšgues, est trĂšs importante. Il faut exercer la profession en respectant les autres et conserver une bonne rĂ©putation. L’autre conseil, c’est de choisir ses meilleurs arguments, ne pas les noyer parmi une multitude d’autres. Si vous en avez un ou deux qui sont trĂšs bons, concentrez-vous sur ceux-lĂ  avec concision et clartĂ©. C’est un travail de communication, une plaidoirie. Et devant la Cour d’appel, le mĂ©moire est aussi trĂšs important. Un mĂ©moire bien fait, concis, clair, qui se concentre sur les bons arguments, avec une plaidoirie qui vient complĂ©ter ça et qui rĂ©pond aux questions des juges, c’est le secret du succĂšs.

QUE SOUHAITEZ-VOUS QUE LE PUBLIC SACHE AU SUJET DU SYSTÈME DE JUSTICE?

Au Canada, bien que notre systĂšme de justice soit perfectible, il fait l’envie de plusieurs. L’impartialitĂ© et l’intĂ©gritĂ© des juges y sont assurĂ©es. Tous les intervenants travaillent pour que le systĂšme et ses rĂšgles soient Ă©quitables et que tout se passe dans le respect. Les juges sont Ă©galement beaucoup mieux formĂ©s qu’ils ne l’Ă©taient auparavant. Nous avons des formations continues sur tous les aspects, tant sur le droit substantif que sur les rĂ©alitĂ©s sociales. Et l’autre chose Ă  souligner, c’est tout le travail qu’il y a derriĂšre chaque dossier. Je pense que les gens ne le rĂ©alisent peut-ĂȘtre pas. À la Cour d’appel, les jeunes qu’on engage comme recherchistes sortent de l’Ă©cole du Barreau et travaillent avec nous pendant deux ans. Ils sont impressionnĂ©s au dĂ©but de voir comment chaque dossier est Ă©tudiĂ© en profondeur avant l’audience. Par la suite, les juges en discutent entre eux, Ă©coutent les avocats Ă  l’audience, et en discutent de nouveau. Il est souvent possible de rendre un arrĂȘt sĂ©ance tenante, sinon le dossier est mis en dĂ©libĂ©rĂ©. Dans ce cas, il faudra une, deux, trois semaines de travail ou plus pour rendre un arrĂȘt. Ce n’est pas la valeur monĂ©taire du dossier qui compte. Chaque dossier est individuellement traitĂ© avec beaucoup de rigueur.

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