L’honorable Frances Knickle

Quelle expérience de votre carrière juridique vous a le mieux préparé à votre travail au sein de la magistrature?

J’ai passĂ© la plus grande partie de ma carrière dans une salle d’audience, cela m’a donc bien prĂ©parĂ©e Ă  la magistrature. Le fait que je connaisse les lieux m’a vraiment aidĂ©e lorsqu’il s’est agi d’y exercer en qualitĂ© de juge. Si vous aspirez Ă  siĂ©ger comme juge, il vous faut frĂ©quenter les palais de justice. Mon expĂ©rience des dossiers d’appel m’a Ă©galement prĂ©parĂ©e Ă  mes fonctions de juge. Elle m’a appris Ă  rĂ©diger de manière convaincante. De plus, je pense que mes connaissances en musique m’ont aussi Ă©tĂ© très utiles dans mes fonctions de juge. L’Ă©tude de la musique m’a appris Ă  Ă©couter et Ă  observer. Ce sont lĂ  de qualitĂ©s fondamentales pour les juges. Ils doivent Ă©couter et observer les moindres dĂ©tails, car ce n’est pas toujours les mots qui sont les plus Ă©loquents, mais bien la manière dont ils sont prononcĂ©s.

Quel conseil donneriez-vous aux juristes qui se présentent devant vous?

Lorsque vous comparaissez en cour, souvenez-vous du fait que le rĂ´le de l’avocat et de l’avocate est d’aider le tribunal Ă  parvenir Ă  un rĂ©sultat Ă©quitable. Dans un rĂ©gime juridique accusatoire, les juristes doivent reprĂ©senter leurs clients (et n’oubliez pas de le faire!), mais doivent Ă©galement pouvoir aider les juges Ă  comprendre les raisons pour lesquelles leurs arguments reprĂ©sentent ce qui est Ă©quitable. Ils doivent montrer Ă  la cour comment parvenir Ă  ce rĂ©sultat. Une reprĂ©sentation efficace n’est ni agressive ni argumentative, elle est convaincante.

Comment y parvenir? En Ă©tant bien prĂ©parĂ©! Connaissez votre dossier. Connaissez les principes applicables. Comprenez les dĂ©tails et, plus important encore, comprenez comment chaque Ă©lĂ©ment s’imbrique dans l’ensemble. Vous devez pouvoir, sans vous perdre dans votre propre plaidoirie, dĂ©mĂŞler l’Ă©cheveau et aplanir les difficultĂ©s qui pourraient nuire au succès de vos arguments. Lorsque vous plaidez, vous devez pouvoir rĂ©agir sans dĂ©lai. Ne vous laissez pas envahir par vos notes Ă©crites. Si vous avez une faiblesse, faites-y face. La juge devant laquelle vous comparaissez vous demandera de rĂ©agir au point de vue de la partie opposĂ©e. Faites une rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale de votre plaidoirie. Lisez-la Ă  voix haute. Remettez vos arguments en cause. Et n’oubliez pas de respirer avant de parler. Cela semble un peu bĂŞte, mais j’ai vu bien des avocats et avocates incapables de s’exprimer tout simplement parce qu’ils manquaient d’air. Sans air dans vos poumons, votre voix s’Ă©teint. Vous n’accomplirez rien sans respirer.

Il vous serait aussi très utile d’observer des avocats, avocates et juges chevronnĂ©s Ă  l’Ĺ“uvre. L’un des avantages de la technologie dans un pays de l’Ă©tendue du Canada, c’est que l’on peut observer le dĂ©roulement d’instances devant d’autres tribunaux. Lorsque j’exerçais en qualitĂ© d’avocate en appel, j’observais rĂ©gulièrement les audiences de la Cour suprĂŞme du Canada au moyen de leurs liens en ligne. Je dĂ©cidais parfois de ce que j’allais visionner en fonction de la personne qui comparaissait, plutĂ´t qu’en fonction du sujet traitĂ©. J’ai regardĂ© toutes sortes d’audiences, et j’en ai tirĂ© de nombreux enseignements non seulement au sujet de la reprĂ©sentation, mais aussi du droit! C’est un cours gratuit Ă  portĂ©e de main sur la reprĂ©sentation devant les tribunaux.

En ce qui a trait Ă  votre propre carrière, vos plans Ă  long terme doivent demeurer souples. Ne forcez pas l’avenir Ă  arriver avant l’heure. Votre tour viendra, quoi qu’il en soit. J’ai d’abord fait des Ă©tudes en mathĂ©matiques et en sciences, puis en musique. J’ai suivi aussi peu de cours de droit pĂ©nal que possible pendant mes Ă©tudes, puis j’ai exercĂ© le droit pĂ©nal presque exclusivement pendant 25 ans (d’abord en ma qualitĂ© de procureure de la Couronne, puis d’avocate en appel, avant de devenir directrice des poursuites pĂ©nales). En fait, si on m’avait dit lorsque j’Ă©tudiais le droit que je serais procureure de la Couronne pendant 25 ans, j’aurais bien ri. Aujourd’hui, je n’Ă©changerais ces annĂ©es pour rien au monde. Alors, oui, bien sĂ»r, ayez un plan, mais demeurez souple. Avoir la souplesse nĂ©cessaire pour vivre votre carrière vous conduira très probablement exactement lĂ  oĂą vous « avez besoin » d’ĂŞtre plutĂ´t que de vous Ă©vertuer Ă  suivre un plan de carrière rigide fondĂ© sur lĂ  oĂą vous « devriez » ĂŞtre. Aucun choix n’est erronĂ©, tant que vous vous y tenez. Selon une sage personne : que vous soyez plombier, neuroscientifique, juriste ou concierge, c’est votre « art » que vous pratiquez.