Un énorme problème sans réponse claire : la COVID-19 et les obligations alimentaires

  • 09 juillet 2020
  • Vanessa Lam

(Partie 1 de 2)

Quelles sont les rĂ©percussions de la pandĂ©mie de COVID-19 sur la pension alimentaire pour les enfants et le conjoint? Eh bien, la pension alimentaire est largement fondĂ©e sur le revenu, mais naturellement cela dĂ©pend des circonstances. La pandĂ©mie de COVID-19 nous rappelle que personne ne peut prĂ©dire l’avenir. L’Ă©conomie demeure fluctuante. Dans son Plan d’intervention Ă©conomique pour rĂ©pondre Ă  la COVID-19, le gouvernement canadien continue d’adapter ses programmes de soutien financier. Cette incertitude complique les questions liĂ©es aux pensions alimentaires, particulièrement en cas de manque de confiance entre les partenaires et de stress Ă©levĂ©.

Alors que je rĂ©dige ceci, quatre mois après que l’OMS a dĂ©clarĂ© la pandĂ©mie, le 11 mars 2020, nous nous trouvons Ă  une Ă©tape dĂ©licate et incertaine oĂą il est encore difficile de faire la distinction entre les changements vĂ©ritablement temporaires et ceux qui dureront plus longtemps.

Bien que les rĂ©sultats dĂ©pendent des faits, je propose les conseils suivants pour rappeler aux juristes certains des principes applicables. Commençons avec le critère prĂ©vu dans la Loi sur le divorce ou dans la lĂ©gislation provinciale ou territoriale applicable. Avant que le tribunal puisse exercer sa vaste compĂ©tence pour modifier une ordonnance en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur le divorce, Ă  titre prĂ©liminaire, la personne qui demande la modification doit s’acquitter du fardeau que lui impose le paragraphe 17(4) ou 17(4.1) en ces termes :

(4) Avant de rendre une ordonnance modificative de l’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant, le tribunal s’assure qu’il est survenu un changement de situation, selon les lignes directrices applicables, depuis que cette ordonnance ou la dernière ordonnance modificative de celle-ci a Ă©tĂ© rendue.

(4.1) Avant de rendre une ordonnance modificative de l’ordonnance alimentaire au profit d’un Ă©poux, le tribunal s’assure qu’il est survenu un changement dans les ressources, les besoins ou, d’une façon gĂ©nĂ©rale, la situation de l’un ou l’autre des ex-Ă©poux depuis que cette ordonnance ou la dernière ordonnance modificative de celle-ci a Ă©tĂ© rendue et tient compte du changement en rendant l’ordonnance modificative.

La CSC a confirmĂ© sa jurisprudence antĂ©rieure qui dĂ©crit la modification, dans le contexte de la pension alimentaire destinĂ©e Ă  l’enfant et de celle destinĂ©e au conjoint, comme un changement « important » qui « se serait vraisemblablement traduit par des dispositions diffĂ©rentes » (L.M.P. c. L.S, 2011 CSC 64 (CanLII), aux paragraphes 29-30 et 32-33).

La jurisprudence en matière d’aliments destinĂ©s au conjoint a dĂ©crit le terme « important » comme ayant une connotation Ă  la fois qualitative et quantitative. L’angle qualitatif s’intĂ©resse Ă  ce qui Ă©tait [TRADUCTION] « rĂ©ellement envisagĂ© », « envisagĂ© » ou « pris en compte » dans l’ordonnance ou dans l’entente initiale. Il est plus utile de se demander si l’Ă©vĂ©nement a Ă©tĂ© pris en compte (p. ex., la rĂ©duction du revenu en raison de la retraite) que de se demander si un Ă©vĂ©nement Ă©tait « prĂ©visible » ou « prĂ©vu »1.

Sauf si l’ordonnance ou l’entente sont très rĂ©centes, il serait difficile d’affirmer que la pandĂ©mie a Ă©tĂ© l’un des facteurs envisagĂ©s. Il est possible qu’une baisse de revenu ait Ă©tĂ© envisagĂ©e lorsque le revenu du payeur a subi des fluctuations avant la pandĂ©mie. Cependant, dans la plupart des cas, la question du facteur quantitatif sera la pierre d’achoppement, particulièrement dans les cas d’aliments destinĂ©s au conjoint.

Sur le plan quantitatif, la jurisprudence en matière d’aliments destinĂ©s au conjoint a gĂ©nĂ©ralement affirmĂ© qu’un changement important doit comporter un certain degrĂ© de continuitĂ© et ne pas ĂŞtre un simple ensemble de circonstances temporaires. Ă€ cet Ă©gard, des changements mineurs, sans importance et de courte durĂ©e ne justifieront pas la modification d’une ordonnance de pension alimentaire. Toutefois, le caractère suffisant du changement doit toujours ĂŞtre Ă©valuĂ© Ă  la lumière des faits propres Ă  chaque espèce2.

En ce qui concerne les affaires d’aliments destinĂ©s Ă  l’enfant, le seuil quantitatif devrait gĂ©nĂ©ralement ĂŞtre moins Ă©levĂ©. Selon le paragraphe 14 a) des Lignes directrices fĂ©dĂ©rales sur les pensions alimentaires pour enfants, « dans le cas d’une ordonnance alimentaire dont tout ou partie du montant a Ă©tĂ© dĂ©terminĂ© selon la table applicable, tout changement qui amènerait une modification de l’ordonnance ou de telle de ses dispositions » « constitue un changement de situation au titre duquel une ordonnance alimentaire modificative peut ĂŞtre rendue ». L’article 14 est par consĂ©quent fondamental pour dĂ©terminer s’il a Ă©tĂ© satisfait au critère prĂ©liminaire dans le contexte d’une instance en modification des aliments destinĂ©s Ă  l’enfant. Un changement quant au revenu du payeur ou quant Ă  la rĂ©sidence principale de l’enfant satisfait au critère aux termes du paragraphe 14 a)3. Les aliments destinĂ©s Ă  l’enfant dont le montant n’a pas Ă©tĂ© fondĂ© sur une table sont traitĂ©s dans le paragraphe 14 b) qui vise « tout changement dans les ressources, les besoins ou, d’une façon gĂ©nĂ©rale, dans la situation de l’un ou l’autre des Ă©poux ou de tout enfant ayant droit Ă  une pension alimentaire ».

En outre, dans le cadre de l’application des dispositions des Lignes directrices sur le revenu (articles 15 Ă  20), il incombe au tribunal de dĂ©terminer le revenu annuel actuel au moyen des renseignements les plus Ă  jour disponibles (Lutz v. Lutz, 2014 SKQB 146 (CanLII), au paragraphe 9, disponible uniquement en anglais). Le paragraphe 2(3) des Lignes directrices, souvent omis, l’indique clairement :

2.(3) La détermination de tout montant aux fins des présentes lignes directrices se fait selon les renseignements les plus à jour.

Par consĂ©quent, bien que le tribunal se serve souvent des dĂ©clarations d’impĂ´t de l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente pour l’annĂ©e en cours, la question de savoir s’il s’agit de la bonne façon de procĂ©der repose sur celle de savoir s’il s’agit de la meilleure preuve possible du revenu actuel (paragraphe 10).

Seul le temps nous dira comment ces affaires seront tranchĂ©es. Il existe cependant certainement des façons d’aider les familles pendant cette pĂ©riode difficile. Cet article est le premier d’une sĂ©rie de deux. Lisez la deuxième partie.

Vanessa Lam est conseillère stratégique en droit de la famille et avocate effectuant de la recherche exerçant en Ontario.


1 Durso v. Mascherin, 2013 ONSC 6522 (CanLII), aux par. 28-29; Skoczkowski v. Wong, 2018 ONSC 1656 (CanLII), aux par.  47-48; Berta v. Berta, 2019 ONSC 505 (CanLII), au par. 27; Moazzen-Ahmadi v. Ahmadi-Far, 2016 BCCA 503 (CanLII), au par. 21. Consulter Ă©galement Philip Epstein, « Epstein’s This Week in Family Law », 3 avril 2017, Fam. L. News. 2017-13 (WL), p. 4. DĂ©cisions disponibles uniquement en anglais, les citations qui en sont tirĂ©es sont des traductions.

2 Durso v. Mascherin, supra, au par. 28; L.M.P. v. L.S., supra, au par. 35; Gray v. Rizzi, 2016 ONCA 152 (CanLII), au par. 39. DĂ©cisions disponibles uniquement en anglais, les citations qui en sont tirĂ©es sont des traductions.

3 D.R.T. v. K.A.D., 2018 ONSC 1975 (CanLII), au par. 119 [qui renvoie aux Lignes directrices sur les aliments pour les enfants de l’Ontario, mais l’article 14 est comparable aux Lignes directrices fĂ©dĂ©rales sur les pensions alimentaires pour enfants]. DĂ©cision disponible uniquement en anglais, les citations qui en sont tirĂ©es sont des traductions.