La Cour défend le secret professionnel de l’avocat

  • 21 juin 2016
  • Arthur Grant

Remarque : Cet article a été publié pour la première fois sur le blogue intitulé Constitutionally Canadian (disponible uniquement en anglais) le 6 juin 2016.

Le 3 juin 2016, la Cour suprĂŞme du Canada a de nouveau affirmĂ© le principe constitutionnel appuyant le secret professionnel entre les conseillers juridiques et leurs clients. Les juges Wagner et Gascon, motivant l’arrĂŞt rendu par la Cour dans l’affaire Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral) c. Chambre des notaires du QuĂ©bec, 2016 CSC 20, ont soulignĂ© l’importance du secret professionnel de l’avocat, non seulement au sein du système judiciaire, mais aussi du système juridique. Selon l’arrĂŞt Chambres des notaires et l’arrĂŞt Canada (Revenu national) c. Thompson 2016 CSC 21, publiĂ©s en mĂŞme temps, la Cour a affirmĂ© que le droit au secret professionnel prĂ©vaut sur le besoin du gouvernement de pouvoir obtenir les livres comptables des conseillers juridiques dans la mesure oĂą ils concernent leurs clients.

L’arrĂŞt Chambre des notaires porte sur des faits relativement simples. L’Agence du revenu du Canada avait fait parvenir des « demandes pĂ©remptoires » aux notaires du QuĂ©bec aux termes de l’art. 231.2 de la Loi de l’impĂ´t sur le revenu (LIR) leur intimant de produire des renseignements et documents dont l’Agence affirmait qu’ils tombaient sous le coup de l’exception concernant les renseignements et documents protĂ©gĂ©s par le secret professionnel de l’avocat en vertu du par. 232(1), soit les relevĂ©s comptables. Le dĂ©faut de conformitĂ© des notaires en question avec les exigences pourrait ĂŞtre sanctionnĂ© par une amende ou un emprisonnement, ou les deux. 

La Cour a Ă©noncĂ© les enjeux constitutionnels concernant la question de savoir si les dispositions pertinentes de la LIR enfreignent les articles 7 ou 8 de la Charte, ou les deux. Dans l’affirmative, ces dispositions pouvaient-elles ĂŞtre sauvegardĂ©es en application de l’article premier?

Dans les paragraphes d’introduction, les juges Wagner et Gascon ont soulignĂ© l’importance vitale jouĂ©e par le secret professionnel dans la structure de notre système juridique.

[5]  La Cour a dĂ©jĂ  reconnu que le secret professionnel est un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 49). C’est aussi un droit civil de la plus haute importance dans le système de justice canadien.  Le secret professionnel doit donc demeurer aussi absolu que possible, et les tribunaux doivent adopter des normes rigoureuses afin d’en assurer la protection. 

Ils ont en outre affirmĂ© que les « demandes pĂ©remptoires » de la LIR constituent des saisies aux termes de l’article 8 de la Charte, dĂ©clarant :

L’article 8 de la Charte ne protège pas explicitement le secret professionnel. Cet article fournit plutĂ´t une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Pour dĂ©terminer si une action gouvernementale est contraire Ă  l’art. 8, il faut rĂ©pondre Ă  deux questions. La première est de savoir si l’action gouvernementale empiète sur une attente raisonnable au respect de la vie privĂ©e d’un particulier. Dans l’affirmative, elle constitue une saisie au sens de l’art. 8. La seconde consiste Ă  dĂ©terminer si la saisie reprĂ©sente une atteinte abusive Ă  ce droit Ă  la vie privĂ©e (R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, par. 33; Lavallee, par. 35). En l’espèce, la première Ă©tape ne pose pas rĂ©ellement problème, puisque dans R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, la Cour a jugĂ© que la demande pĂ©remptoire rĂ©gie par le par.231(3) de la LIR (maintenant le par. 231.2(1)) constitue une saisie au sens de l’art. 8 (p. 641-642). 

Faisant remarquer que le secret professionnel Ă©tait, Ă  l’origine, une simple règle de preuve, les Ă©minents juges ont affirmĂ© qu’il s’est transformĂ© en une « règle de fond » et qu’il a Ă©tĂ© reconnu avoir « une grande importance et une place exceptionnelle dans notre système juridique » [par. 28]. D’ailleurs, il est si fondamental pour notre système judiciaire, qu’il a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© ĂŞtre un « principe de justice fondamentale » au sens de l’art. 7 et devoir demeurer « aussi absolu que possible » [par. 28].

Dans Lavallee, la Cour rĂ©affirme que le droit au secret professionnel est maintenant devenu un droit civil important et que le secret professionnel de l’avocat ou du notaire est un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 de la Charte (par. 49). Il est, au surplus, gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme une règle de droit « fondamentale et substantielle » (R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, par. 39). En raison de son statut important, la Cour a souvent indiquĂ© qu’on ne doit y porter atteinte que dans la mesure oĂą cela est absolument nĂ©cessaire, Ă©tant donnĂ© que le secret professionnel doit demeurer aussi absolu que possible (Lavallee, par. 36-37; McClure, par. 35; R. c. Brown, 2002 CSC 32, [2002] 2 R.C.S. 185, par. 27; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, [2006] 2 R.C.S. 32, par. 15).

Les juges Wagner et Gascon ont affirmĂ© que les clients des conseillers juridiques (notant expressĂ©ment qu’en l’espèce il n’existait aucune distinction entre les notaires au QuĂ©bec et les avocats au QuĂ©bec et ailleurs au Canada) ont une attente raisonnable au respect du caractère confidentiel des renseignements et documents en la possession de leurs conseillers juridiques visĂ©s par une demande pĂ©remptoire [par. 35]. Ils se sont ensuite demandĂ© si les demandes pĂ©remptoires constituaient des « atteintes abusives » aux droits des clients Ă  la vie privĂ©e, et ont rĂ©pondu dans l’affirmative. 

Un certain nombre de motifs ont Ă©tĂ© avancĂ©s pour justifier cette conclusion. Tout d’abord, la LIR n’exige pas que les clients reçoivent un avis les informant de la remise d’une demande pĂ©remptoire Ă  leurs conseillers juridiques. Ensuite, il incombe exclusivement au conseiller juridique en question de dĂ©terminer s’il va produire les renseignements et documents exigĂ©s. En troisième lieu, le gouvernement n’a pas Ă©tabli que le fait d’obliger les conseillers juridiques Ă  divulguer les renseignements et documents Ă©tait strictement nĂ©cessaire. Enfin, ils ont conclu qu’aucune mesure n’avait Ă©tĂ© prise pour attĂ©nuer l’atteinte au secret professionnel de l’avocat (ils ont comparĂ© l’approche adoptĂ©e dans la LIR Ă  celle prise par Revenu QuĂ©bec qui prĂ©voyait l’envoi d’un avis au client et l’examen, par un juge, de la nĂ©cessitĂ© de la production des documents).

Les Ă©minents juges ont affirmĂ© qu’en l’espèce, il serait prĂ©fĂ©rable de dĂ©clarer simplement que les dispositions prĂ©voyant l’utilisation des demandes pĂ©remptoires ne sont pas applicables aux conseillers juridiques dans la mesure oĂą elles concernent les renseignements et documents de leurs clients et que le par. 232(1) devrait ĂŞtre rĂ©putĂ© inconstitutionnel dans la mesure oĂą il s’agit de l’exception visant les relevĂ©s comptables des conseillers juridiques.

En bref, la Cour a de nouveau dĂ©fendu le principe de justice fondamental qu’est le secret professionnel de l’avocat, se fondant maintenant sur les attentes de confidentialitĂ© protĂ©gĂ©es par l’art. 8 de la Charte comme autre moyen de protection.

Arthur Grant est associé chez Grant Kovacs Norell à Vancouver.