Sonne-t-on le glas de ceux qui résistent aux demandes d’information?

Les décisions Zeifmans LLP c. Canada (Revenu national) (2021 CF 363) (« Zeifmans ») et Tellza Inc. v. Canada (National Revenue) (2021 CF 853) (« Tellza Inc. ») illustrent la quasi-futilité, pour un juriste, de vouloir résister à l’ARC quand celle-ci veut accéder à des renseignements de ses clients.

Le paragraphe 289(1) de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) et le paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) accordent au ministre des pouvoirs étendus lui permettant d’obliger une personne à fournir des renseignements et à produire des documents « pour l’application ou l’exécution » de ses obligations fiscales. Ces pouvoirs étendus sont en théorie limités par les paragraphes 289(2) et (3) de la LTA (et par les paragraphes 231.2(2) et (3) de la LIR), qui exigent que le ministre obtienne l’autorisation judiciaire quand les renseignements ou documents demandés concernent des « personnes non désignées nommément ». L’autorisation n’est accordée que si la personne ou le groupe est « identifiable » et si la demande d’information est faite « pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation ».

La situation décrite dans l’affaire Roofmart (2020 CAF 85) est l’exemple classique d’une demande d’information en lien avec des personnes non désignées nommément : l’ARC demandait une très grande quantité de renseignements sur la clientèle dont elle prévoyait faire usage pour repérer de possibles manquements de la part d’autres contribuables. À l’époque, des observateurs ont avancé que l’affaire marquait la fin de toute opposition réelle au recours, par l’ARC, à des demandes d’information concernant des personnes non désignées nommément en raison du libellé strict et de l’interprétation restrictive du paragraphe 289(3) de la LTA et du paragraphe 231.2(3) de la LIR. Du moment que la personne ou le groupe était « identifiable » et que la demande d’information visait à vérifier la conformité, l’autorisation judiciaire paraissait être une formalité.

Depuis l’affaire Roofmart, les parties faisant l’objet de vérifications et de demandes d’information ont été obligées de recourir à des stratégies de fortune, malheureusement en vain, pour tenter de bloquer l’ARC.

Dans l’affaire Zeifmans, l’appelante sollicitait l’examen judiciaire d’une demande d’information en invoquant comme motif le fait que cette demande, faite sans autorisation judiciaire, concernait des personnes non désignées nommément. L’ARC avait entamé la vérification de clients de l’appelante, un cabinet comptable, et signifié une demande d’information en vue d’accéder à certains renseignements et documents relatifs à ces clients, ainsi que « [p]our une ou plusieurs personnes à qui la demande s’applique » (c’étaient là les « personnes non désignées nommément » selon le cabinet). Curieusement, la Cour a conclu que le cabinet n’avait pas établi que l’ARC s’était « lancée dans une enquête pour vérifier que les personnes non désignées nommément respectent la LIR ». Selon la Cour, la possibilité que l’ARC puisse ultérieurement soumettre une ou plusieurs des personnes non désignées nommément à une vérification à la lumière de l’information ainsi obtenue ne rendait pas la demande d’information illégitime.

Dans l’affaire Tellza Inc., la société appelante a fait valoir que l’ARC ne pouvait pas exercer son pouvoir d’audit général prévu à l’article 288 de la LTA pour exiger la production de toutes ses données comptables électroniques. Elle a souligné que l’ARC devait plutôt faire une demande d’information en vertu du paragraphe 289(1), car seule une telle demande pouvait l’obliger à produire ces données. La Cour a conclu que même si le pouvoir d’audit général attribué par l’article 288 était quelque peu limité en ce qui concerne les questions auxquelles l’ARC peut obliger quelqu’un à répondre, l’ARC peut néanmoins exercer ce pouvoir pour accéder à tous les dossiers de Tellza sans avoir à présenter une demande d’information.

Si je puis faire cette observation, le pouvoir d’audit général de l’ARC et son pouvoir de faire une demande d’information semblent s’être combinés et avoir réduit à néant les protections procédurales qu’étaient censés constituer les paragraphes 289(2) de la LTA et 231.2(2) de la LIR. Quand l’ARC peut facilement obtenir des données au sujet de personnes non désignées nommément dans le cadre d’une vérification (Tellza Inc.) ou accessoirement à une demande d’information concernant une personne désignée nommément en vue d’un usage ultérieur (Zeifmans), on commence à se demander à quoi l’exigence d’obtenir une autorisation judiciaire peut bien servir, ce qui amène à se demander si les tribunaux n’ont pas été un peu excessifs dans leur zèle pour les intérêts de l’ARC à ce chapitre.

Même dans les cas où l’autorisation judiciaire est requise, l’affaire Roofmart tend à démontrer que cette exigence ne change pas grand-chose, voire rien du tout. Cela engendre une situation inconfortable pour les grandes sociétés contribuables, qui décident dans certains cas – malgré une jurisprudence qui leur est hostile – de contester les demandes d’information ou de documentation de l’ARC en raison du risque pour leur réputation associé à une telle divulgation, et du préjudice que cela peut causer aux clients, aux consommateurs et aux fournisseurs.

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Rob Kreklewetz  est un associé chez Millar Kreklewetz LLP et un ancien président de la Section de la taxe à la consommation, douanes et commerce de l’ABC. Stuart Clark est un avocat au sein du même cabinet.