Règle moderne d’interprétation de la loi en lien avec la TPS

  • 28 mai 2018
  • Robert G. Kreklewetz et Steven Raphael

Au Canada, la plupart des services financiers sont exemptĂ©s de la taxe en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (LTA). Les institutions financières ne peuvent donc pas exiger la TPS/TVH ni rĂ©clamer de crĂ©dits de taxe sur les intrants et recouvrer la TPS/TVH qu’ils dĂ©boursent pour fournir les services visĂ©s par cette exemption.

Cette non-admissibilitĂ© aux crĂ©dits de taxe sur les intrants peut inciter les institutions financières Ă  se procurer des biens et services dans les provinces non participantes, oĂą il n’y a pas de TVH (pour ne payer que les 5 % de la TPS), ce qui se ferait au dĂ©triment des provinces participantes. Pour prĂ©venir ce scĂ©nario, la LTA et le Règlement sur la mĂ©thode d'attribution applicable aux institutions financières dĂ©signĂ©es particulières (TPS/TVH) (Règlement sur les IFDP) – ou les règles de la MAS – prĂ©voient une mĂ©thode d’attribution spĂ©ciale que les institutions financières dĂ©signĂ©es particulières doivent utiliser pour calculer leur composante de TVH provinciale selon l’endroit oĂą ils fournissent les services financiers exemptĂ©s plutĂ´t que celui oĂą ils achètent leurs intrants. Avec cette mĂ©thode, la taxe nette est calculĂ©e selon des « pourcentages d’attribution » dĂ©terminĂ©s suivant le type d’institution financière.

Dans sa rĂ©cente dĂ©cision Farm Credit Canada v. Canada, 2017 FCA 244, la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale a dĂ» composer avec la complexitĂ© des règles de la MAS. L’appelant en l’espèce Ă©tait une sociĂ©tĂ© d’État fĂ©dĂ©rale fournissant des services financiers spĂ©cialisĂ©s dans le secteur agricole. Ă€ la diffĂ©rence de la plupart de ses concurrentes du secteur privĂ©, elle n’acceptait pas de dĂ©pĂ´ts du public pour financer ses prĂŞts.

Après que l’appelante eut produit ses dĂ©clarations de TPS/TVH en tant que sociĂ©tĂ© rĂ©gie par les dispositions gĂ©nĂ©rales du Règlement sur les IFDP, l’Agence du revenu du Canada a procĂ©dĂ© Ă  une rĂ©Ă©valuation au motif qu’elle Ă©tait une sociĂ©tĂ© de prĂŞts, et donc qu’elle Ă©tait assujettie Ă  un pourcentage d’attribution supĂ©rieur Ă  celui prĂ©vu pour les sociĂ©tĂ©s rĂ©gies par les dispositions gĂ©nĂ©rales.

L’appelante s’est pourvue en appel Ă  la Cour canadienne de l’impĂ´t en faisant valoir que le terme sociĂ©tĂ© de prĂŞts n’Ă©tait pas explicitement dĂ©fini dans la LTA ou dans le Règlement sur les IFDP, et devait ĂŞtre interprĂ©tĂ© dans le sens que lui donnent les lois fĂ©dĂ©rales et provinciales rĂ©gissant les sociĂ©tĂ©s de fiducie et de prĂŞt. Or, ces lois dĂ©finissent explicitement la sociĂ©tĂ© de prĂŞts comme une entitĂ© rĂ©glementĂ©e qui accorde des prĂŞts financĂ©s par des dĂ©pĂ´ts du public.

La Cour a fondĂ© son interprĂ©tation du terme sociĂ©tĂ© de prĂŞts sur une analyse TCT, Ă  savoir une analyse textuelle, contextuelle et tĂ©lĂ©ologique prĂ©sentĂ©e par la Cour suprĂŞme du Canada dans l’arrĂŞt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54. Ayant ainsi pris position, la Cour canadienne de l’impĂ´t a conclu que le terme sociĂ©tĂ© de prĂŞts utilisĂ© dans le Règlement sur les IFDP dĂ©signait toute sociĂ©tĂ© ayant pour activitĂ© principale d’accorder des prĂŞts.

En instance supĂ©rieure, la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale a procĂ©dĂ© Ă  sa propre analyse TCT dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Texte : Le fait qu’un terme soit dĂ©fini d’une certaine manière dans d’autres lois ne signifie pas que ce terme ait un sens lĂ©gal Ă©tabli, surtout quand les autres lois visent un objet fondamentalement diffĂ©rent. Les lois citĂ©es par l’appelante ont pour objet l’enregistrement des sociĂ©tĂ©s de fiducie et de prĂŞt dans les ressorts oĂą elles font des affaires, ce qui diffère beaucoup de l’objet du Règlement sur les IFDP, qui est de taxer les sociĂ©tĂ©s uniformĂ©ment, indĂ©pendamment d’oĂą elles ont pignon sur rue au Canada. Rien dans le libellĂ© n’indique que le terme sociĂ©tĂ© de prĂŞts signifierait quoi que ce soit d’autre qu’une sociĂ©tĂ© accordant des prĂŞts.

Contexte : Si le Parlement avait eu l’intention de restreindre la portĂ©e du terme sociĂ©tĂ© de prĂŞts au sens d’entitĂ© rĂ©glementĂ©e acceptant des dĂ©pĂ´ts, il aurait pu le faire explicitement. Rien n’indique qu’il ait voulu taxer les institutions financières selon leur statut rĂ©glementaire. Au contraire, la manière dont le Parlement dĂ©crit les types d’institutions financières dĂ©signĂ©es indique une classification fondĂ©e sur la nature de leurs activitĂ©s.

Objet : L’interprĂ©tation du terme sociĂ©tĂ© de prĂŞts dans le sens d’une sociĂ©tĂ© ayant comme principale activitĂ© d’accorder des prĂŞts cadre avec l’objet des règles de la MAS, soit de dissuader les institutions financières d’acquĂ©rir tous leurs intrants dans les provinces non participantes.

Par consĂ©quent, la cour d’appel a dĂ©boutĂ© l’appelante et confirmĂ© qu’au sens du Règlement sur les IFDP, le terme sociĂ©tĂ© de prĂŞts dĂ©signait toute sociĂ©tĂ© dont l’activitĂ© principale est de consentir des prĂŞts.

Le Règlement sur les IFDP et les règles de la MAS sont dĂ©jĂ  assez complexes, sans qu’il faille tenir compte des dĂ©finitions d’autres lois fĂ©dĂ©rales ou provinciales dont l’objet est fondamentalement diffĂ©rent. En l’absence d’une dĂ©finition explicite dans la LTA et ses règlements, les dĂ©cisions de la Cour canadienne de l’impĂ´t et de la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale dĂ©montrent la rigueur de la doctrine de l’analyse TCT, et ces instances semblent ĂŞtre parvenues Ă  une conclusion raisonnable sur les questions tranchĂ©es.

Robert G. Kreklewetz et Steven Raphael sont avocats chez Millar Kreklewetz LLP Ă  Toronto.