La Cour suprême précise la rectification

  • 25 mai 2017
  • Robert G. Kreklewetz et John G. Bassindale

Introduction

Dans les dĂ©cisions HĂ´tels Fairmont Inc. (2016 CSC 56) et Groupe Jean Coutu (PJC) inc. (2016 CSC 55), la Cour suprĂŞme du Canada a clarifiĂ© le droit de la rectification; clarification du reste fort nĂ©cessaire. Bien que le rĂ©sultat puisse ĂŞtre dĂ©cevant tant pour les contribuables que pour les juristes fiscalistes, ces arrĂŞts remettent l’Ontario sur un pied d’Ă©galitĂ© avec le reste du pays en affirmant qu’une demande de rectification doit ĂŞtre appuyĂ©e par une intention dĂ©taillĂ©e.

Fairmont

Les faits de l’affaire Fairmont sont comme suit. En 2002-2003, Fairmont s’est engagĂ©e dans une opĂ©ration de couverture en devises Ă©trangères. En 2006, elle est acquise et privatisĂ©e. Grâce Ă  une planification fiscale, elle a Ă©vitĂ© une perte sur les opĂ©rations de change bien que le traitement de la possible exposition de ses filiales ait Ă©tĂ© remis Ă  plus tard. En 2007, Fairmont a pris des dispositions pour mettre fin Ă  l’opĂ©ration de couverture afin de vendre deux hĂ´tels. Cependant, ses conseillers fiscaux, s’Ă©tant mal souvenus du plan fiscal de 2006, ont accidentellement dĂ©clenchĂ© des gains sur les opĂ©rations de change, qui ont Ă©tĂ© dĂ©couverts lors d’un audit rĂ©alisĂ© par l’ARC.

La Cour supĂ©rieure et la Cour d’appel de l’Ontario ont toutes deux accordĂ© une rectification Ă  Fairmont, se fondant sur l’arrĂŞt Juliar ((2000, 50 OR (3d) 728, demande d’autorisation de pourvoi devant la CSC rejetĂ©e, [2000] SCCA No. 621). Dans l’arrĂŞt Juliar, il a Ă©tĂ© Ă©tabli que la rectification est possible lorsque les parties (i) avaient [traduction] « une intention commune constante » qu’une opĂ©ration ne soit pas immĂ©diatement sujette Ă  l’imposition, et (ii) avaient choisi le mauvais moyen pour atteindre ce rĂ©sultat. Puisque Fairmont avait une intention commune constante de procĂ©der « sans incidences fiscales ou comptables », les tribunaux infĂ©rieurs ont permis la rectification afin de corriger le choix du moyen pour le faire.

Le juge Brown de la CSC, a commencĂ© par examiner la rectification et a conclu qu’elle pouvait ĂŞtre utilisĂ©e pour corriger un instrument juridique afin de le faire correspondre au vĂ©ritable accord entre les parties. La CSC a ensuite examinĂ© l’arrĂŞt Juliar rendu par la Cour d’appel de l’Ontario et a soulignĂ© que le raisonnement dans cette affaire « prĂ©sente plusieurs difficultĂ©s », a considĂ©rablement Ă©largi la portĂ©e des cas oĂą la rectification peut ĂŞtre sollicitĂ©e en Ontario et « autorisĂ© une planification fiscale rĂ©troactive inadmissible ».

En infirmant la dĂ©cision Juliar, la CSC a affirmĂ© qu’il ne suffit pas d’avoir une intention gĂ©nĂ©rale constante de neutralitĂ© fiscale pour justifier la rectification. La partie qui veut effectuer une rectification est tenue d’Ă©tablir Ă  la fois une erreur dans la consignation de l’accord dans un instrument juridique (tel qu’un contrat) et la façon dont l’instrument devrait ĂŞtre rectifiĂ© pour consigner correctement ce que les parties avaient l’intention de faire.

La CSC a affirmĂ© que la rectification ne peut ĂŞtre accordĂ©e lorsque l’accord entre les parties constituait une intention gĂ©nĂ©rale imprĂ©cise. Ă€ cet Ă©gard, elle a citĂ© Lord Denning : [traduction] « la rectification concerne les contrats et les documents, et non les intentions ».

Appliquant le droit aux faits, la CSC a conclu que la demande de rectification de Fairmont « aurait dĂ» ĂŞtre rejetĂ©e, puisqu’elles n’ont pu dĂ©montrer qu’elles avaient conclu une entente antĂ©rieure dont les modalitĂ©s Ă©taient dĂ©terminĂ©es et dĂ©terminables ».

Groupe Jean Coutu

Dans le deuxième arrĂŞt, Groupe Jean Coutu, l’appelante Ă©tait une sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise qui souhaitait geler la valeur de sa filiale amĂ©ricaine Ă  des fins comptables, tout en rĂ©duisant les consĂ©quences fiscales nĂ©gatives. Après avoir obtenu des conseils auprès de professionnels, la sociĂ©tĂ© a signĂ© une sĂ©rie de transactions planifiĂ©es. Malheureusement, les conseillers de la sociĂ©tĂ© avaient oubliĂ© de tenir compte du revenu Ă©tranger accumulĂ©, tirĂ© de biens, ce qui s’est traduit par une inclusion de revenu imprĂ©vue. Recevant un avis de cotisation aux fins de l’impĂ´t sur le revenu d’un montant très Ă©levĂ©, la sociĂ©tĂ© a demandĂ© l’Ă©quivalent en droit civil de la « rectification » Ă  la Cour supĂ©rieure du QuĂ©bec, se fondant sur l’article 1425 du Code civil du QuĂ©bec qui prĂ©voit que l’interprĂ©tation contractuelle devrait ĂŞtre axĂ©e sur l’intention commune des contractants, et non sur l’expression littĂ©rale de ladite intention.

La Cour supĂ©rieure du QuĂ©bec a accueilli la requĂŞte de l’appelante, mais la Cour d’appel du QuĂ©bec a infirmĂ© la dĂ©cision et affirmĂ© que les parties cherchaient Ă  rĂ©Ă©crire l’histoire fiscale. La Cour d’appel a conclu que l’intention de la sociĂ©tĂ© que la transaction soit neutre du point de vue fiscal « n’Ă©tait pas suffisamment dĂ©terminĂ©e pour justifier la modification d’une entente » convenue pour Ă©viter les consĂ©quences fiscales imprĂ©vues.

Le juge Wagner de la CSC a examinĂ© les dispositions du droit civil en matière de rectification et conclu : « une intention gĂ©nĂ©rale de neutralitĂ© fiscale ne peut, en l’absence d’une opĂ©ration juridique prĂ©cise et d’une prestation, ou de prestations, dĂ©terminĂ©e ou dĂ©terminable, donner lieu Ă  une intention commune [...] et justifier la modification des documents Ă©crits constatant cette entente ».

La CSC a appliquĂ© le critère de droit civil Ă  la rectification aux faits de l’espèce et a dĂ©crit la malencontreuse situation de la sociĂ©tĂ© comme une dans laquelle « l’erreur rĂ©side dans les transactions dont les parties ont convenu, non dans la façon dont elles ont Ă©tĂ© exprimĂ©es ». Selon la CSC, Ă©tant donnĂ© que les documents Ă©crits exprimaient correctement les transactions particulières convenues, aucune modification n’Ă©tait possible en vertu de l’article 1425.

Il importe de souligner que le juge Wagner a discutĂ© la façon dont la dĂ©cision de la CSC dans l’affaire Groupe Jean Coutu correspondait Ă  la politique fiscale. Ă€ cet Ă©gard, il a indiquĂ© (i) selon l’un des principes fondamentaux du rĂ©gime fiscal canadien « les consĂ©quences fiscales dĂ©coulent des rapports juridiques Ă©tablis par les contribuables ou des transactions juridiques dont ils ont convenu », (ii) selon le principe Ă©tabli par l’arrĂŞt Duke of Westminster, « les contribuables ont le droit d’organiser leurs affaires de manière Ă  rĂ©duire le plus possible l’impĂ´t qu’ils ont Ă  payer » et (iii) Ă  la lumière de ces principes, les contribuables qui n’organisent pas correctement leurs affaires pourraient payer plus d’impĂ´ts.

En dernière analyse, le message confĂ©rĂ© par l’arrĂŞt Groupe Jean Coutu est le suivant, la rectification ne sera gĂ©nĂ©ralement pas Ă  la disposition des contribuables qui ont convenu d’un plan fiscal particulier puis font face Ă  une consĂ©quence fiscale imprĂ©vue. Les consĂ©quences fiscales dĂ©coulent des dĂ©cisions prises par les contribuables, et non de leurs intentions, motivations ou objectifs.

Commentaire

Ces affaires clarifient la portĂ©e de la rectification, plus particulièrement en Ontario oĂą la Cour supĂ©rieure devait appliquer la jurisprudence Juliar de la Cour d’appel. Nous savons maintenant qu’une intention gĂ©nĂ©rale d’Ă©viter l’impĂ´t ne suffira pas pour obtenir une autorisation de rectification. Par consĂ©quent, nous nous attendons Ă  une diminution du nombre d’affaires sur ce sujet, particulièrement en Ontario, mais aussi Ă  un accroissement des litiges portĂ©s devant la Cour canadienne de l’impĂ´t. Ă€ tout le moins, il deviendra plus essentiel d’avoir gain de cause devant cette dernière sur les aspects techniques d’un dossier puisque les contribuables ne pourront plus se fonder sur les principes de l’arrĂŞt Juliar pour rĂ©clamer une rectification.

Les juristes fiscalistes devraient ne pas oublier que malgrĂ© son rejet de la rectification dans l’affaire Groupe Jean Coutu, la CSC a confirmĂ© que la rectification peut comporter l’insertion de transactions supplĂ©mentaires, mĂŞme si elles avaient Ă©tĂ© convenues Ă  l’origine, mais omises par erreur pour une raison quelconque au moment de la mise en Ĺ“uvre. Cet aspect de la dĂ©cision de la CSC pourrait s’avĂ©rer utile Ă  l’avenir dans les affaires comportant des Ă©lĂ©ments excĂ©dant la simple « correction ».

Robert G. Kreklewetz est associé et John G. Bassindale est avocat dans le cabinet Millar Kreklewetz LLP