La délicate question de l’inhumation

  • 22 aoĂ»t 2017
  • Mark Weintraub, c.r., et Jordan Thompson

Les questions relatives Ă  la gestion de dĂ©pouilles humaines et de lieux de sĂ©pulture peuvent faire intervenir d’importants facteurs Ă©motionnels, culturels et juridiques. Dans l’ensemble du Canada, la plupart des textes lĂ©gislatifs provinciaux pertinents confèrent Ă  l’exĂ©cuteur testamentaire la capacitĂ© de dĂ©cider de la manière dont sera traitĂ© le corps du dĂ©funt et de l’endroit oĂą seront dĂ©posĂ©s les restes. Cependant, la loi britanno-colombienne a adoptĂ© une approche particulière, qui tient compte des volontĂ©s du dĂ©funt en ce qui concerne la disposition de sa dĂ©pouille.

L’article 6 de la Cremation, Interment and Funeral Services Act (Loi sur la crĂ©mation, l’inhumation et les services funĂ©raires – la LCISF) exige de la personne qui est habilitĂ©e Ă  gĂ©rer la disposition de la dĂ©pouille, qu’elle respecte une prĂ©fĂ©rence que le dĂ©funt aura exprimĂ©e par Ă©crit si a) cette prĂ©fĂ©rence est indiquĂ©e dans un testament ou dans un contrat de prĂ©voyance portant sur des services funĂ©raires ou des services de cimetière, b) le respect de cette prĂ©fĂ©rence s’avĂ©rerait conforme aux exigences de la Human Tissue Gift Act (Loi sur les dons de tissus humains) et c) le respect de cette prĂ©fĂ©rence ne serait ni dĂ©raisonnable, ni irrĂ©alisable, ni prĂ©judiciable.

Sous rĂ©serve de la prĂ©fĂ©rence exprimĂ©e par le dĂ©funt, et dans le cas oĂą un exĂ©cuteur testamentaire aura Ă©tĂ© nommĂ©, la question de l’inhumation sera en règle gĂ©nĂ©rale gĂ©rĂ©e par ce dernier. Si aucun reprĂ©sentant successoral n’est dĂ©signĂ© dans le testament, le paragraphe 5(1) de la LCISF dresse une liste qui permet de dĂ©terminer la prioritĂ© entre les diffĂ©rentes personnes qui sont habilitĂ©es Ă  prendre des dĂ©cisions relativement aux dernières dispositions. Si la personne en tĂŞte de liste n’est pas disponible pour donner des instructions ou n’est pas disposĂ©e Ă  le faire, le droit passe Ă  la prochaine personne sur la liste, conformĂ©ment au paragraphe 5(2) de la LCISF, selon l’ordre suivant : conjoint ou conjointe, enfant adulte, petit-enfant adulte, etc.

Des conflits peuvent naĂ®tre lorsqu’une personne est d’avis qu’elle devrait avoir le contrĂ´le sur la dĂ©pouille ou le lieu de sĂ©pulture du dĂ©funt. Le paragraphe 5(4) de la LCISF autorise une personne invoquant un droit exclusif de contrĂ´le sur la disposition de restes humains ou de cendres rĂ©sultant d’une crĂ©mation Ă  demander Ă  la Cour suprĂŞme de la Colombie-Britannique une ordonnance concernant ce droit. La loi Ă©nonce les critères que doit appliquer la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande prĂ©sentĂ©e en vertu du paragraphe 5(4). Dans le cas d’une telle demande, la Cour doit tenir compte des droits de toutes les personnes intĂ©ressĂ©es et notamment prendre en considĂ©ration, sans limitation, les sensibilitĂ©s des proches du dĂ©funt; les règles, pratiques et croyances relatives Ă  toute conviction religieuse du dĂ©funt; toute directive raisonnable donnĂ©e par le dĂ©funt; et la question Ă  savoir si le conflit en l’espèce relève d’un sentiment d’hostilitĂ© entre les membres de la famille ou d’un changement d’idĂ©e capricieux quant au mode de disposition de la dĂ©pouille.

La question du contrĂ´le des cendres d’un ĂŞtre cher a Ă©tĂ© examinĂ©e par la Cour suprĂŞme de la Colombie-Britannique dans l’arrĂŞt Re Popp Estate (2001 BCSC 183). La dĂ©cision a Ă©tĂ© rendue en fonction de la Cemetery and Funeral Services Act (Loi sur les services de cimetière et les services funĂ©raires) – maintenant abrogĂ©e – dont l’effet Ă©tait semblable Ă  celui de la LCISF. Dans Popp Estate, le corps de la conjointe dĂ©cĂ©dĂ©e avait Ă©tĂ© incinĂ©rĂ©, et le conjoint – qui Ă©tait l’exĂ©cuteur testamentaire – a enterrĂ© les cendres de son Ă©pouse avec ceux de sa mère dans une parcelle de cimetière qui avait Ă©tĂ© dĂ©signĂ©e pour ses parents. Le conjoint avait prĂ©vu d’en retirer les cendres de son Ă©pouse lorsque son père dĂ©cĂ©derait. Environ cinq annĂ©es plus tard, la sĹ“ur de la dĂ©funte a prĂ©sentĂ© une demande d’exhumation de l’urne cinĂ©raire et de son transfert dans un columbarium. Selon de nombreux membres de la famille de la dĂ©funte, celle-ci avait souhaitĂ© que ses cendres soient placĂ©es dans un columbarium et leur avait fait part de la crainte qu’elle Ă©prouvait Ă  l’idĂ©e que sa dĂ©pouille se retrouve sous terre.

La Cour a examinĂ© la question Ă  savoir si la demande d’exhumation relevait d’un sentiment d’hostilitĂ© entre les membres de la famille ou d’un revirement capricieux. La Cour s’est fondĂ©e sur le sens ordinaire de l’adjectif « capricieux » et a jugĂ© irrĂ©gulier et imprĂ©visible le projet du conjoint de retirer les cendres de son Ă©pouse de la parcelle du cimetière sans avoir planifiĂ© ce qu’il en ferait par la suite. La Cour a dĂ©cidĂ© d’intervenir et d’ordonner l’exhumation des cendres et leur transfert dans un columbarium, afin de faire en sorte qu’elles se trouvent en un lieu de dernier repos dĂ©finitif.

Dans l’arrĂŞt Wiebe c. Bronstein (2013 BCSC 1041), le demandeur – qui n’Ă©tait pas l’exĂ©cuteur testamentaire – a prĂ©sentĂ© une requĂŞte en vertu du paragraphe 5(4) de la LCISF, visant un droit de contrĂ´le exclusif quant Ă  l’inscription apparaissant sur une pierre tombale juive. La Cour a acceptĂ© la preuve voulant que la tradition juive prescrive pour un dĂ©funt une cĂ©rĂ©monie de « dĂ©voilement » qui a lieu environ une annĂ©e après le dĂ©cès, et que ce soit Ă  ce moment que la pierre tombale est installĂ©e Ă  l’emplacement de la sĂ©pulture. Le demandeur a soutenu, sans succès, que le dĂ©voilement de la plaque commĂ©morative faisait partie intĂ©grale du processus d’inhumation et devait donc tomber sous le coup de l’article 5 de la LCISF.

La dĂ©cision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrĂŞt Kartsonas c. Kartsonas Estate (2010 BCCA 336) portait sur le conflit engendrĂ© par la question Ă  savoir qui aurait le contrĂ´le sur les funĂ©railles et sur la disposition de la dĂ©pouille du dĂ©funt. Les enfants du dĂ©funt souhaitaient que leur père soit enterrĂ© suivant les prĂ©ceptes de la religion grecque orthodoxe, mais la nièce du dĂ©funt n’Ă©tait pas d’accord. En se fondant sur le libellĂ© de la LCISF, la Cour a privilĂ©giĂ© le tĂ©moignage des enfants et leur a accordĂ© le droit exclusif sur le contrĂ´le de la disposition de la dĂ©pouille de leur père, conformĂ©ment Ă  leurs croyances religieuses.

Cette jurisprudence est rĂ©vĂ©latrice de la nature hautement conflictuelle des diffĂ©rends qui peuvent survenir relativement aux questions d’inhumation. Afin d’essayer de rĂ©soudre ces conflits très difficiles, il faudrait – dans la mesure du possible – s’assurer les services d’un mĂ©diateur.

Mark Weintraub, c.r., est associé et Jordan Thompson est stagiaire chez Clark Wilson LLP