Projet de loi 38 : une fausse solution à la pénurie de main-d’œuvre des cadres au gouvernement

  • 21 novembre 2019
  • Cristelle Sary

Québec fait actuellement cheminer un mini-projet de loi no. 38 de quatre pages : Loi modifiant certaines lois instituant des régimes de retraite du secteur public (PL 38). La page 4 de ce projet de loi est la plus intéressante, car elle permet aux cadres retraités du gouvernement de retourner travailler au gouvernement et de continuer de recevoir leur pension; ce qui n’était pas possible avant. C’est encourageant pour la main-d’œuvre d’expérience du gouvernement, mais il y a un seul problème, ce travailleur d’expérience ne peut pas contribuer au régime de retraite. Pour y contribuer, il doit suspendre sa pension.

Le travailleur retraité du gouvernement a un choix à faire : (A) recevoir sa pension et son salaire; ou (B) cesser de recevoir sa pension et recevoir seulement son salaire, tout en gagnant des prestations pour service courant au régime de retraite. Ce travailleur d’expérience devrait avoir droit à un troisième choix : recevoir sa pension, son salaire et continuer d’acquérir des prestations dans le régime de retraite. Cette option n’est pas permise par le PL 38 et elle n’est pas permise par la législation fiscale fédérale et québécoise.  Il reste à savoir si le gouvernement compense le manque à gagner de la contribution employeur par un dédommagement salarial lors de l’embauche de ce travailleur d’expérience qui choisit l’option (A) afin de compenser la contribution de l’employeur qui est normalement faite à un régime de retraite à prestations déterminées.

Actuellement, au Québec, nous sommes en manque de main-d’œuvre flagrant. Notre taux de chômage s’établit à 4,8 % en septembre 2019. Nous cherchons à augmenter la main-d’œuvre par l’entremise de l’immigration, cependant, nous avons des travailleurs d’expérience (en moyenne de 55 ans et plus) qualifiés, expérimentés et compétents à portée de la main qui peuvent travailler dès maintenant. Cette main-d’œuvre qualifiée peut compléter le bon labeur qu’apporte l’immigration.

L’espérance de vie à la naissance en 2017 est en moyenne de 82 ans. En 1977, cette espérance de vie est de 73 ans. Ce quasi 10 ans de plus n’est pas automatiquement passé à la retraite. Statistique Canada rapporte que le taux d’activité des personnes âgées de 55 à 64 ans est passé de 47 % en 1996 à 66 % en 2016. Les Canadiens de 55 ans et plus sont plus susceptibles de travailler qu’avant et sont aussi plus susceptibles de prendre leur retraite à un âge avancé.

Si le gouvernement sert d’exemple pour ses citoyens et met de l’avant une formule voulant stimuler les travailleurs retraités désireux de reprendre le travail au service de l’État, il devrait amorcer un travail sérieux pour repenser la réintégration de tous les travailleurs d’expérience sur le marché du travail québécois.

Une approche globale à cette main-d’œuvre est requise et une réforme de tous les domaines législatifs qui touchent les travailleurs d’expérience doit être amorcée plus tôt que tard. La législation en droit du travail, en droit des régimes de retraite, des avantages sociaux, en faillite et insolvabilité et en droit fiscal doit être révisée pour motiver les travailleurs d’expérience à revenir au travail. 

La réforme globale devra revoir rigoureusement l’impact de la législation fiscale fédérale et québécoise sur les travailleurs d’expérience afin que le retour ou le maintien au travail soit encouragé, entre autres, en :

  • permettant la participation continue aux régimes à prestations déterminées, tout en permettant la perception immédiate de la pension, gagnée à la sueur du front souvent pendant plus de 25 ans;
  • révisant et repoussant possiblement à plus tard l’obligation de verser son REÉR dans un FERR, avant la fin de l’année d’atteinte de ses 71 ans, étant donné que les travailleurs d’expérience demeurent sur le marché du travail plus longtemps;
  • révisant et harmonisant le fractionnement de revenu de pension au niveau fédéral et québécois. Entre autres, le fédéral peut s’inspirer du Québec et exiger l’atteinte de l’âge de 65 ans afin de bénéficier du fractionnement. Cela aura pour effet de décourager la retraite hâtive;
  • révisant et harmonisant le crédit d’impôt applicable au revenu de retraite au niveau fédéral et québécois afin d’encourager le retour au travail des travailleurs d’expérience, et cela, tout en respectant la population des retraités qui ne peuvent pas retourner travailler (invalidité, maladie, etc.) ou qui ne le veulent pas;
  • révisant l’offre d’assurances collectives aux travailleurs d’expérience afin que, par exemple, l’offre d’assurance invalidité soit prolongée jusqu’à 70 ans.

Bref, financièrement, ça doit valoir la peine pour les retraités de demeurer ou de revenir au travail.

Mis à part les aspects juridiques à réviser pour stimuler le retour au travail des travailleurs d’expérience, le gouvernement doit aussi lutter contre l’âgisme. Cette forme de discrimination pernicieuse plane dans notre société et constitue actuellement une barrière importante à l’emploi. Cela étant dit, nous sommes un peuple de contradiction, car nous n’avons pas hésité à porter au pouvoir en 2018, un comptable, entrepreneur et politicien de 61 ans : le premier ministre François Legault. Ce dernier, après un an au service des Québécois, a reçu un taux d’approbation de 74 % des Québécois, selon la firme Léger. Une campagne de sensibilisation s’impose.