Une invitation à la prudence : un enquêteur à l’instance est nommé dans l’affaire Sears

  • 14 août 2018
  • JJ Burnell et Richard Bars

Le 2 mars 2018, le juge Hainey, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a accordé une ordonnance portant nomination du cabinet Lax O’Sullivan Lisus Gottlieb LLP en qualité d’enquêteur à l’instance dans des procédures menées conformément à la LACC auxquelles Sears Canada est partie. L’enquêteur à l’instance a pour mandat d’enquêter sur les droits et les réclamations des entités de Sears Canada ou de n’importe lequel de leurs créditeurs à l’encontre de toute partie. Désigné fonctionnaire judiciaire, l’enquêteur à l’instance est expressément chargé d’enquêter sur des questions impliquant des administrateurs et administratrices, cadres de direction et actionnaires actuels ou passés. L’ordonnance autorise l’enquêteur à l’instance à rendre compte de ses conclusions au comité des créanciers et au contrôleur. En revanche, elle ne l’autorise pas à déposer des réclamations mais ne lui interdit pas non plus de demander au tribunal de lui accorder une autorisation en ce sens. L’ordonnance prévoit spécifiquement que le contrôleur doit informer, en détail et en toute confidentialité, l’enquêteur à l’instance des [traduction] « opérations pertinentes » telles qu’elles sont déterminées dans le 11e rapport remis à la Cour par le contrôleur. Ces opérations recouvrent notamment (1) un dividende de 102 millions de dollars versé à certains actionnaires de Sears Canada le 31 décembre 2012, (2) un dividende de 509 millions de dollars versé à certains actionnaires de Sears Canada le 6 décembre 2013, et (3) la renonciation, par Sears Canada, à son droit exclusif d’utiliser la marque de commerce Craftsman au Canada au profit de Stanley Black & Decker en mars 2017.

Avant que la Cour ne rende cette ordonnance, les retraités de Sears Canada ont déposé une requête visant la nomination de l’honorable Frank Newbould, c.r. en qualité de fiduciaire à l’instance. La requête était motivée par l’état du régime de retraite de Sears Canada dont le manque de financement atteignait presque 270 millions de dollars. Les retraités ont souligné qu’en 2005, Sears Canada s’est retrouvée sous le contrôle d’un fonds de couverture américain, ESL Investments Inc., dirigé par Edward Lampert. Les retraités soutiennent qu’ESL permettait à Edward Lampert de contrôler directement et indirectement les actions de Sears Canada pendant la période en question et que c’était lui le principal bénéficiaire du versement des dividendes. Les affaires commerciales de Sears Canada ont ultérieurement commencé à péricliter au point d’atteindre la mise en faillite et la liquidation survenues en 2017.

Les retraités affirmaient que les mesures prises avant l’insolvabilité de Sears Canada justifiaient la nomination d’un fiduciaire à l’instance pour déterminer si ces mesures avaient un lien avec l’insolvabilité, se traduisant par des causes d’action qui pourraient permettre aux créanciers d’être payés. Les versements de dividendes aux actionnaires approuvés par le conseil d’administration, à commencer par ceux versés en 2005 et s’élevant à plus de 1,5 milliard de dollars, et atteignant un total à peine inférieur à 3 milliards de dollars à la fin 2013, faisaient partie des mesures contestées.

Les retraités soutenaient qu’un fiduciaire à l’instance nommé par la Cour pourrait [traduction] « examiner et envisager la multitude de voies possibles pour le contentieux » qui seraient adéquates compte tenu de la situation. Il pourrait en outre obtenir les commentaires des créanciers et des personnes intéressées et élaborer un cadre de gouvernance en vue d’une consultation, et présenter des recommandations pour aller de l’avant.

Les avocats de Sears Holdings Corporation et de Sears Roebuck and Co. se sont opposés à la nomination d’un fiduciaire à l’instance en tant qu’officier de justice. Ils se sont en outre opposés au mandat proposé aux termes duquel le fiduciaire enquêterait sur des allégations étrangères aux entités de Sears Canada, mais qui ne peuvent être établies que par des créanciers individuels. Citant les préoccupations au sujet des réclamations à l’encontre de tiers, y compris les détenteurs d’actions, ils cherchaient à obtenir des garanties de base quant à l’équité procédurale et en matière de fond dans le contexte de tout litige subséquent. Les actionnaires que sont Edward Lampert et ESL ont fait leurs un grand nombre de ces préoccupations. Sears Holdings Corporation et Sears Roebuck and Co. ont souligné qu’une ordonnance de nomination d’un fiduciaire à l’instance serait une ordonnance d’un tout nouveau genre et qu’en vertu des procédures menées conformément à la LACC il n’existait aucune compétence pour armer un conseiller manquant d’impartialité avec les pouvoirs d’un officier de justice lui permettant d’enquêter sur les réclamations des créanciers à l’encontre des détenteurs d’actions, de prodiguer des conseils à leur égard et éventuellement de les mener à bien. Répondant à ces objections, les retraités ont soutenu que Sears Holdings Corporation et ESL n’avaient pas qualité pour s’opposer à la requête en tant que détenteurs d’actions. Ils ont en outre soutenu que la requête avait été dénaturée par lesdites parties dans l’expression de leur opposition.

Dans une ordonnance modifiée portant nomination d’un enquêteur à l’instance en date du 26 avril 2018, publiée en raison des préoccupations soulevées à propos de documents tombant sous le sceau du secret, la Cour a ordonné un certain nombre de mesures de protection procédurales applicables à [traduction] « des documents tombant sous le sceau du secret pouvant être communiqués ».

Plus récemment, l’avocat du représentant des employés a déposé un avis de requête visant à la destitution des administrateurs et administratrices de Sears Canada exerçant encore leurs fonctions.  La requête est présentée au motif que ces derniers se trouveront en position de conflit d’intérêts puisqu’ils ont une obligation fiduciaire envers Sears Canada d’agir dans l’intérêt supérieur de la société, mais qu’ils pourraient également faire l’objet d’une enquête de l’enquêteur à l’instance concernant les opérations contestées. Qui plus est, si les administrateurs et administratrices continuent à exercer leurs fonctions, ils pourraient avoir accès à des renseignements essentiels à propos de possibles poursuites à leur encontre.

En raison du caractère novateur de la nomination et du mandat de l’enquêteur à l’instance, les créanciers et leurs avocats scruteront les évolutions de ce dossier. Cependant, seul l’avenir dira si cette nomination sera confinée aux faits particuliers de l’espèce ou si elle viendra s’ajouter en tant qu’outil utile à la panoplie des créanciers ordinaires ou si elle se traduira par une modification du comportement des conseils d’administration en cas de lourd passif au titre des régimes de retraite, ou les deux.

JJ Burnell est associé et Richard Bars est stagiaire dans le cabinet MLT Aikins, de Winnipeg