Concrétisation d’intentions : jurisprudence récente en matière de partage de pensions

  • 13 juillet 2017
  • Natasha Monkman

En dĂ©pit de dispositions lĂ©gislatives visant Ă  faciliter les partages de pension lors de ruptures de mariages et Ă  accĂ©lĂ©rer l’aboutissement de tels partages, d’intĂ©ressants litiges continuent Ă  se prĂ©senter. Les affaires rĂ©centes McKearney-Morgan v. Morgan, 2016 NSSC 79 et Stephens v. Stephens, 2016 ONSC 367 constituent deux exemples de tels litiges, dans le cadre desquels le tribunal a Ă©tĂ© appelĂ© Ă  faire exĂ©cuter des ordonnances judiciaires existantes, dans le but de donner effet Ă  l’intention initiale des parties.

McKearney-Morgan v. Morgan

Après un mariage de courte durĂ©e, les Ă©poux se sont divorcĂ©s et ont obtenu une ordonnance de divorce ainsi qu’un jugement portant sur les mesures accessoires. L’ordonnance Ă©tablissait que le rĂ©gime de pension offert par l’employeur du dĂ©fendeur devait faire l’objet d’un partage en parts Ă©gales, ce qui correspond au traitement accordĂ© Ă  un bien matrimonial, en application du paragraphe 4(1) de la Matrimonial Property Act (loi sur les biens matrimoniaux) de la Nouvelle-Écosse. Dans son ordonnance, la Cour suprĂŞme de la Nouvelle-Écosse accordait Ă  la demanderesse 35 % de la totalitĂ© des prestations de retraite cumulĂ©es jusqu’Ă  la date de la sĂ©paration des Ă©poux, y compris les cotisations de retraite versĂ©es avant le mariage. La part de la demanderesse Ă©tait Ă©valuĂ©e Ă  44 818,90 $.

L’ordonnance n’a pas prĂ©cisĂ© de quelle manière la demanderesse pouvait s’assurer d’obtenir sa part des prestations de pension. L’administrateur du rĂ©gime a refusĂ© d’exĂ©cuter l’ordonnance, compte tenu de dispositions de la Pension Benefits Act (loi sur les prestations de pension) de la Nouvelle-Écosse, qui imposent aux partages de pensions Ă  la source une limite supĂ©rieure de 50 pour cent des prestations de retraite cumulĂ©es pendant le mariage. L’administrateur du rĂ©gime a consultĂ© l’autoritĂ© responsable de la rĂ©glementation des rĂ©gimes de pension en Nouvelle-Écosse et, en fin de compte, a transfĂ©rĂ© Ă  la demanderesse 2 822 $, soit le maximum autorisĂ© en vertu de la Pension Benefits Act. Dans l’ordonnance, le dĂ©fendeur n’avait pas Ă©tĂ© dĂ©signĂ© fiduciaire et, en l’absence d’une nouvelle ordonnance judiciaire, il refusait de se charger de veiller Ă  restituer Ă  la demanderesse sa pleine part. La demanderesse a dĂ©posĂ© une requĂŞte en exĂ©cution de l’ordonnance.

La Cour a conclu que la Matrimonial Property Act et la Pension Benefits Act n’Ă©taient pas en conflit car la Pension Benefits Act ne rĂ©git pas le droit aux prestations mais prĂ©voit plutĂ´t un mĂ©canisme de partage des prestations de pension. La Cour a jugĂ© que le refus de l’administrateur du rĂ©gime d’exĂ©cuter l’ordonnance dĂ©coulait de la confusion entre le [traduction] « droit aux prestations » et les [traduction] « fonctions administratives » prĂ©vus dans la Pension Benefits Act. La Cour a prĂ©cisĂ© que la dĂ©cision quant au droit aux prestations en application de la Matrimonial Property Act relevait de sa propre compĂ©tence, alors qu’il incombait Ă  l’administrateur du rĂ©gime de veiller Ă  l’application de ce droit une fois Ă©tabli.

NĂ©anmoins, la Pension Benefits Act rĂ©gissait les gestes posĂ©s par l’administrateur du rĂ©gime, et l’autorisation d’un partage Ă  la source Ă©tabli en fonction du 35 pour cent de la totalitĂ© de la valeur de rachat des prestations cumulĂ©es contrevenait Ă  cette loi en raison de la limite supĂ©rieure qui est imposĂ©e aux partages de pensions, c’est-Ă -dire le 50 pour cent des prestations de retraite cumulĂ©es pendant la durĂ©e de la relation du couple. La Cour a acceptĂ© que l’administrateur du rĂ©gime Ă©tait limitĂ© dans ses gestes par le seuil de 50 pour cent imposĂ© par la Pension Benefits Act et que la Cour n’Ă©tait pas habilitĂ©e Ă  rendre une ordonnance de fiducie portant sur le solde de la part de la demanderesse qui obligerait l’administrateur du rĂ©gime Ă  en ĂŞtre fiduciaire.

La Cour a exprimĂ© sa frustration au sujet de la corrĂ©lation entre les lois concernĂ©es et a indiquĂ© que l’autoritĂ© responsable de la rĂ©glementation des rĂ©gimes de pension devrait recommander au gouvernement de la Nouvelle-Écosse de modifier les dispositions lĂ©gislatives applicables afin de [traduction] « veiller Ă  ce qu’une interprĂ©tation harmonieuse en soit possible » et de [traduction] « donner aux participants des rĂ©gimes de retraite les moyens de se conformer aux ordonnances judiciaires rendues sous le rĂ©gime de la Matrimonial Property Act ».

En l’absence d’une intervention de la lĂ©gislature permettant de remĂ©dier Ă  ce problème, la Cour a Ă©tabli une fiducie Ă  l’Ă©gard de la partie de l’ordonnance qui n’avait pas Ă©tĂ© rĂ©glĂ©e jusque-lĂ  et a ordonnĂ© au dĂ©fendeur d’assurer le rĂ´le de fiduciaire. La Cour a cependant qualifiĂ© d’insuffisante cette voie de recours, car la satisfaction du droit de la demanderesse dĂ©pend de la coopĂ©ration du dĂ©fendeur.

Stephens v. Stephens

Dans cette affaire, et compte tenu du ratio de transfert de 73,1 pour cent du rĂ©gime concernĂ©, l’administrateur du rĂ©gime avait Ă©tabli la valeur de la pension du dĂ©fendeur Ă  445 681,68 $. Par la suite, les Ă©poux avaient conclu une entente de règlement en se fondant sur cette Ă©valuation.

Environ deux ans plus tard, l’administrateur du rĂ©gime a avisĂ© les parties qu’il avait incorrectement appliquĂ© le ratio de transfert Ă  l’Ă©valuation de la pension du dĂ©fendeur – la totalitĂ© de la valeur des prestations aurait dĂ» ĂŞtre Ă©tablie Ă  609 687,67 $. Ayant dĂ©jĂ  reçu un transfert de fonds correspondant Ă  sa part de pension calculĂ©e sur la foi de l’Ă©valuation erronĂ©e, la demanderesse a dĂ©posĂ© une requĂŞte demandant la modification de la disposition de l’entente de règlement qui portait sur les prestations de pension et le paiement d’une somme additionnelle qui tiendrait compte de l’augmentation de la valeur de la pension du dĂ©fendeur.

Le dĂ©fendeur a fait valoir que l’ordonnance judiciaire initiale ne prĂ©voyait aucun autre paiement de compensation une fois que la demanderesse a reçu le transfert de fonds. La Cour supĂ©rieure de justice de l’Ontario a relevĂ© que le paragraphe 67.3(10) de la Loi sur les rĂ©gimes de retraite de l’Ontario prĂ©voit qu’une fois qu’un transfert est effectuĂ© du rĂ©gime de retraite, un conjoint qui ne participe pas au rĂ©gime ne peut plus en rĂ©clamer d’autres sommes Ă  l’Ă©gard du conjoint qui y participe.

Ayant conclu qu’un montant rĂ©duit avait Ă©tĂ© appliquĂ© par erreur, la Cour a toutefois jugĂ© qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas d’une situation oĂą la demanderesse « rĂ©clam[ait] quoi que ce soit d’autre ». Elle corrigeait plutĂ´t une erreur qui avait Ă©tĂ© commise en raison de l’information inexacte qui avait Ă©tĂ© fournie par l’administrateur du rĂ©gime. La Cour a dĂ©terminĂ© que rien n’interdisait Ă  la demanderesse de chercher Ă  recevoir sa pleine part de la pension du dĂ©fendeur et d’obtenir le solde auquel elle avait droit compte tenu de l’Ă©valuation exacte des prestations de retraite, une issue qui concordait avec les intentions premières des parties. Le paragraphe 67.3(10) n’aurait pas pour effet d’empĂŞcher la correction d’une sous-Ă©valuation, mĂŞme lorsqu’un transfert de la part du conjoint non-participant au rĂ©gime a dĂ©jĂ  eu lieu.

En résumé

Dans les deux causes, les tribunaux ont cherchĂ© Ă  faire en sorte que les intentions des parties soient concrĂ©tisĂ©es. Dans l’arrĂŞt McKearney-Morgan v. Morgan, le tribunal a conclu que la lĂ©gislation sur les pensions n’appuyait pas les intentions des parties en ce qui concerne le partage Ă  la source des prestations de retraite, et il en est rĂ©sultĂ© l’imposition d’une obligation fiduciaire sur l’Ă©poux participant jusqu’Ă  ce que le droit Ă  pension de l’Ă©pouse non-participante soit satisfait. Dans Stephens c. Stephens, la Cour a jugĂ© que l’existence de dispositions prĂ©voyant des distributions finales ne devrait pas empĂŞcher la correction d’erreurs paraissant dans l’ordonnance initiale, faute de quoi les intentions des parties en seraient ainsi contrecarrĂ©es.

Natasha Monkman est avocate salariée chez Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP à Toronto