Résumé jurisprudentiel : les calculs actuariels ne sont pas exigés pour prouver l’existence du régime de prestations d’un employé

  • 09 juin 2017
  • Dante Manna, Stewart McKelvey

Rein v Alberta (Human Rights Commission), 2016 ABQB 386  (disponible uniquement en anglais)

Juge Pentelchuk

Sandeep Dhir, c.r. et Lindsey Miller pour la requérante, Gloria Rein

Janice Ashcroft, c.r. pour l’intimĂ©e, Alberta Human Rights Commission

Simon Renouf, c.r. pour les intimés, AUPE et Unifor Local 880

18 juillet 2016

La requĂ©rante, Gloria Rein, a demandĂ© le contrĂ´le judiciaire de la dĂ©cision rendue par la Commissaire en chef de la Commission des droits de la personne de l’Alberta (Alberta Human Rights Commission) portant rejet de sa plainte en matière de droits de la personne au sujet du rĂ©gime collectif de prestations de santĂ© et d’assurance vie de son employeur qui met fin Ă  la couverture au moment oĂą un employĂ© atteint son soixante-cinquième anniversaire. Selon la plainte, la condition d’admissibilitĂ© au rĂ©gime fondĂ©e sur l’âge constitue une discrimination interdite.

Résumé

En vertu de la fonction de « gardienne » que lui confère la lĂ©gislation, la Commissaire en chef a rejetĂ© la plainte, au stade prĂ©liminaire, au motif d’absence de fondement. Cette fonction lui donne le pouvoir discrĂ©tionnaire de rejeter une plainte Ă  condition que la preuve ne fournisse aucune base raisonnable pour passer Ă  l’Ă©tape suivante (Mis v Alberta Human Rights Commission, 2001 ABCA 212 (disponible uniquement en anglais)).

La Commissaire en chef a conclu que le rĂ©gime tomberait probablement sous le coup de l’exonĂ©ration lĂ©gale visant les rĂ©gimes d’assurance adoptĂ©s de bonne foi. Le paragraphe 7(2) de l’Alberta Human Rights Act lève l’interdiction fondĂ©e sur l’âge et sur la situation familiale pour [traduction] « l’exploitation d’un rĂ©gime de retraite ou de pension adoptĂ© de bonne foi, ou les modalitĂ©s de tout rĂ©gime d’assurance collective ou de l’employĂ© adoptĂ© de bonne foi. »

La Cour suprĂŞme du Canada a examinĂ©, dans l’affaire Potash (Nouveau-Brunswick (Commission des droits de la personne) c. Potash Corporation of Saskatchewan Inc., 2008 CSC 45 au para. 41), le critère juridique utilisĂ© pour dĂ©terminer si un rĂ©gime est adoptĂ© de bonne foi. Un rĂ©gime est effectif s’il s’agit d’un « rĂ©gime lĂ©gitime, adoptĂ© de bonne foi et ne visant pas Ă  porter atteinte Ă  des droits protĂ©gĂ©s ». En revanche, les rĂ©gimes factices qui privent arbitrairement les membres de leurs droits ne sont pas des rĂ©gimes adoptĂ©s de bonne foi (2016 ABQB 386 au para. 46) (disponible uniquement en anglais).

La Commissaire en chef, dans sa dĂ©cision Ă©crite, a renvoyĂ© Ă  l’arrĂŞt Potash et Ă  la preuve avant de conclure, sans offrir de motifs supplĂ©mentaires, que le rĂ©gime est un rĂ©gime adoptĂ© de bonne foi. La dĂ©cision (2016 ABQB 386) affirme simplement au para. 30 :

[TRADUCTION] « L’information appuie le fait que le rĂ©gime a Ă©tĂ© adoptĂ© de bonne foi et que son objet n’est pas de priver ses membres de droits protĂ©gĂ©s. »

Dans le contexte du contrĂ´le judiciaire, la requĂ©rante a contestĂ© la brièvetĂ© de la dĂ©cision, allĂ©guant en outre l’insuffisance de la preuve pour Ă©tablir la bonne foi de l’adoption du rĂ©gime. La Cour a examinĂ© les renseignements dĂ©posĂ©s devant la Commissaire en chef, dont les suivants (para. 39) :

le régime même, fourni par un grand assureur réputé, et qui contient une gamme complète de prestations;

les renseignements, y compris les dispositions de la convention collective, concernant une demande de remboursement des dépenses de santé à la seule disposition des employés ayant 65 ans ou plus;

un courriel adressĂ© par le prĂ©sident du syndicat Ă  la requĂ©rante pour expliquer les raisons sous-tendant l’exonĂ©ration fondĂ©e sur l’âge;

un avis juridique rĂ©digĂ© pour le syndicat portant sur le bien-fondĂ© des plaintes ou griefs allĂ©guant une discrimination fondĂ©e sur l’âge dĂ©posĂ©es en raison de l’exclusion de la couverture du rĂ©gime des employĂ©s de plus de 65 ans.

Ă€ la lumière de ce qui prĂ©cède, la juge du contrĂ´le judiciaire a affirmĂ© que la dĂ©cision de la Commissaire en chef Ă©tait raisonnable et a rejetĂ© la demande sans autre forme de motif. Elle a simplement affirmĂ© au paragraphe 56 : [traduction] « Ă€ mon avis, il est tout Ă  fait raisonnable, Ă  la lumière de ces renseignements, que la Commissaire en chef ait conclu que le rĂ©gime est fondĂ© sur la bonne foi et que, par consĂ©quent, le retrait des prestations offertes Ă  un employĂ© lorsqu’il atteint 65 ans ne constitue pas une discrimination au sens du paragraphe 7(2) de l’Alberta Human Rights Act ».

Aucune preuve de la nĂ©cessitĂ© de la restriction fondĂ©e sur l’âge ne figurait dans la liste susmentionnĂ©e. La Commissaire en chef a affirmĂ© au paragraphe 28 (2016 ABQB 386) : [traduction] « La preuve de la bonne foi n’exige pas de calculs actuariels conçus pour Ă©tablir que le rĂ©gime doit contenir les restrictions soi-disant discriminatoires pour ĂŞtre financièrement viable ».

La juge du contrĂ´le judiciaire n’a pas contredit cette interprĂ©tation, mais a affirmĂ© la dĂ©cision de la Commissaire en chef.

Conclusion

L’importance de cette dĂ©cision rĂ©side dans ce qu’il n’est pas nĂ©cessaire de prouver pour Ă©tablir que le rĂ©gime est de bonne foi. Au stade prĂ©liminaire, très peu de preuve pour dĂ©montrer la bonne foi est exigĂ©e et la Commissaire en chef a rejetĂ© la plainte avec une grande Ă©conomie de motifs. Appliquant la norme plus rigoureuse du caractère raisonnable, la juge du contrĂ´le judiciaire n’a pas cherchĂ© Ă  combler le manque de motifs. Alors qu’elle affirme qu’il Ă©tait raisonnable pour la Commissaire en chef de conclure que le rĂ©gime avait Ă©tĂ© adoptĂ© de bonne foi en se fondant sur la preuve dont elle disposait, elle impose un fardeau de la preuve relativement lourd Ă  la requĂ©rante qui doit Ă©tablir que la structure du rĂ©gime a pour objet de priver les membres de droits protĂ©gĂ©s. La condition d’admissibilitĂ© aux prestations fondĂ©e sur l’âge est, en elle-mĂŞme insuffisante pour justifier une enquĂŞte plus poussĂ©e.

La juge du contrĂ´le judiciaire a Ă©galement tenu compte de la dĂ©cision minoritaire exprimĂ©e dans l’arrĂŞt Potash (au para. 45) selon laquelle les limites d’âge doivent ĂŞtre justifiĂ©es comme [traduction] « Ă©tant raisonnablement nĂ©cessaires eu Ă©gard au fonctionnement et Ă  la viabilitĂ© du rĂ©gime ». Elle a cependant soulignĂ© que la dĂ©cision de la majoritĂ© n’avait pas conclu Ă  une telle exigence. Cela confirme qu’aucune justification supplĂ©mentaire fondĂ©e sur le « fonctionnement » du rĂ©gime ne sera exigĂ©e pour Ă©tablir la bonne foi d’une restriction fondĂ©e sur l’âge.

Cette affaire, tout comme d’autres, telles que Foster v Nova Scotia (Human Rights Board of Inquiry), 2015 NSCA 66 (disponible uniquement en anglais), qui porte sur une autre plainte ayant Ă©chouĂ© (en l’espèce une clause de retraite obligatoire insĂ©rĂ©e dans un rĂ©gime de retraite) suggère que le seuil de la preuve nĂ©cessaire pour Ă©tablir qu’un rĂ©gime est adoptĂ© de bonne foi est infĂ©rieur. Les personnes qui dĂ©posent des plaintes doivent prĂ©senter des preuves supplĂ©mentaires pour Ă©tablir que le rĂ©gime pourrait ĂŞtre factice sous peine de courir le risque de voir leur plainte rejetĂ©e sans autre forme de procès.

PrĂ©parĂ© par : Dante Manna, Stewart McKelvey