Options pour une réforme institutionnelle durable de l’enregistrement des lobbyistes municipaux au Canada

  • 13 fĂ©vrier 2017
  • Patrick J. Smith

Note : Ă€ l’origine, cet article a Ă©tĂ© publiĂ© en anglais Ă  l’hiver 2016 dans le magazine Influencing BC (volume 6, numĂ©ro 2). Il est publiĂ© Ă  nouveau avec l’autorisation de l’auteur et de la revue.

La transparence dĂ©mocratique a pris une nouvelle tangente au cours des dernières dĂ©cennies et le public a des attentes de plus en plus Ă©levĂ©es lorsqu’il est question de son droit Ă  l’information, et de la reddition de compte. Cette transparence englobe la règlementation des lobbyistes exerçant dans les sphères de la gouvernance les plus Ă©levĂ©es. Cette vague de rĂ©forme, qui continue de croĂ®tre, touche maintenant aussi les administrations municipales. Cet article prĂ©sente quelques-unes des leçons que certaines provinces canadiennes ont tirĂ©es de la façon de mettre en place un rĂ©gime de règlementation pour le lobbyisme local.

Quelles sont les solutions de rechange? Cinq options se dĂ©marquent :

Option 1 :

Le statu quo – ou ne rien faire du tout. En toute vraisemblance, il n’y a rien de plus facile que de ne rien faire.

Avantages : Il s’agit de l’option la plus Ă©conomique, sans consĂ©quences financières immĂ©diates. Il semble Ă©galement s’agir de la plus facile. C’est souvent l’option par dĂ©faut du gouvernement. Pour modifier l’ordre du jour public, il faut surmonter l’inertie systĂ©mique, les appuis internes existants et les prĂ©fĂ©rences liĂ©es au statu quo.

InconvĂ©nients : La solution la plus Ă©conomique n’est pas toujours la meilleure, et la plus facile est souvent la plus ardue Ă  long terme. L’adoption du statu quo peut Ă©galement faire en sorte que l’on passe Ă  cĂ´tĂ© de nouvelles tendances importantes, notamment en ce qui a trait aux attentes de transparence et de confiance du public. Le coĂ»t politique aussi peut ĂŞtre très Ă©levĂ©.

Options 2 :

Un pour tous – ou l’option quĂ©bĂ©coise. ConfrontĂ© Ă  la possibilitĂ© que ses 1 111 administrations municipales aient besoin de lois et règlementation locales de lobbyisme, le QuĂ©bec a optĂ© pour un seul modèle : un code de lobbyisme unique pour toutes les municipalitĂ©s. Les autres provinces n’ont pas emboĂ®tĂ© le pas.

Avantages : Le principal avantage de l’approche du QuĂ©bec est la simplicitĂ© administrative et la durabilitĂ©. Les lobbyistes des administrations municipales doivent respecter les mĂŞmes règles de transparence en matière d’enregistrement et de reddition de compte. Les règlements sont maintenant en place depuis une quinzaine d’annĂ©es. Un bureau centralisĂ© est responsable du « contrĂ´le » et de la conformitĂ© des administrations municipales, qu’il s’agisse de grands centres urbains, de municipalitĂ©s ou de villages.

InconvĂ©nients : L’un des inconvĂ©nients est que la lĂ©gislation provinciale ne reflète pas les rĂ©elles diffĂ©rences et les dĂ©fis que suppose, par exemple, une faible population, un vaste territoire gĂ©ographique ou une collectivitĂ© isolĂ©e. Pour plusieurs conseils municipaux et intĂ©rĂŞts commerciaux locaux de petites collectivitĂ©s qui adoptent des politiques favorisant l’achat de produits locaux, cela peut crĂ©er des casse-tĂŞtes Ă©thiques oĂą une approche de lobbyisme plus nuancĂ©e serait nĂ©cessaire. Les disparitĂ©s concrètes qui existent entre le lobbyisme (et les lobbyistes) Ă  l’Ă©chelle locale, provinciale et nationale constituent possiblement l’un des aspects les plus importants de cette option. Robert Wechsler, de City Ethics, nous rappelle dans « The Regulation of Local Lobbying » que le lobbyisme Ă  l’Ă©chelle locale (sauf dans les plus grandes municipalitĂ©s) est principalement l’affaire de propriĂ©taires d’entreprise et d’agents d’organisation, et non de lobbyistes professionnels. Ainsi, les codes de lobbyisme local ne devraient pas relever des codes provinciaux ou fĂ©dĂ©raux, sans quoi le lobbyisme demeurera en grande partie secret, ce qui frustrerait les aspirations de transparence.

Option 3 :

Tous pour tous – ou l’option ontarienne. L’Ontario s’est engagĂ© sur une tout autre voie que le QuĂ©bec en fournissant aux municipalitĂ©s des rĂ©gimes rĂ©glementaires individuels de lobbyisme, Ă  tout le moins dans les grands centres. Ă€ la fin des annĂ©es 1990, en rĂ©action Ă  la consigne provinciale visant la fusion des six municipalitĂ©s de la communautĂ© urbaine de Toronto, des changements ont Ă©tĂ© apportĂ©s aux politiques locales d’approvisionnement et aux systèmes informatiques de la ville. Des problèmes se sont rĂ©vĂ©lĂ©s lors de grandes acquisitions d’ordinateurs et de transactions contractuelles d’envergure. Cette situation a requis l’intervention du gouvernement provincial. Puis, une solution s’appliquant Ă  l’Ă©chelle de la province a Ă©tĂ© envisagĂ©e, ce qui a menĂ© Ă  la crĂ©ation d’une sĂ©rie de nouveaux bureaux de reddition de compte, y compris d’un registre de lobbyistes, pour la ville fusionnĂ©e de Toronto.

Avantages : L’avantage initial dans le cas de Toronto est que l’intervention, qui a joui d’un fort appui public, s’est faite dans le cadre de la crise Ă©thique d’un grand centre urbain. Le fait que Toronto (population en 2016 : 2 652 000 habitants) ait eu la capacitĂ© fiscale et administrative de mener de telles rĂ©formes de reddition de compte a Ă©galement constituĂ© un avantage, ce qui ne serait pas le cas pour la plupart des quelque 400 collectivitĂ©s ontariennes. L’Ontario compte près de la moitiĂ© des 50 villes du Canada dont la population est supĂ©rieure Ă  100 000 habitants. La province a permis aux plus grandes collectivitĂ©s d’Ă©tablir leurs propres rĂ©gimes d’enregistrement et de dĂ©ontologie avec peu de surveillance provinciale dans le processus.

InconvĂ©nients : En permettant Ă  chaque municipalitĂ© d’adopter ses propres règlements d’enregistrement de lobbyistes, de nombreuses administrations municipales de petite taille ont Ă©tĂ© confrontĂ©es Ă  des surcharges de travail. Aussi, si les 444 rĂ©gimes de lobbyisme Ă©taient considĂ©rĂ©s comme lĂ©gitimes, avec chacun leurs propres règles et règlementations, cela paralyserait les sociĂ©tĂ©s de lobbyisme, hormis les plus sophistiquĂ©es d’entre elles ou celles qui ne travaillent que dans une seule municipalitĂ©. Les plus grandes administrations municipales de l’Ontario – Ottawa, Hamilton et Brampton en date d’aujourd’hui – ont adoptĂ© des règlementations diffĂ©rentes. La question qui se pose est la suivante : est-ce que le modèle de rĂ©gime individuel se dĂ©veloppera seul ou il laissera la plupart des administrations municipales de l’Ontario sans règlementation de lobbyisme?

Option 4 :

Équarrir le cercle? Un rĂ©gime pour certains, un autre pour le reste? – ou une possible option hybride de la Colombie-Britannique. Puisque l’Ontario a dĂ©jĂ  crĂ©Ă© quatre rĂ©gimes de lobbyisme pour de grandes villes et que plusieurs autres sont en dĂ©veloppement, qu’adviendra-t-il des quelque 400 administrations municipales restantes? Les exigences en matière d’efficacitĂ© et d’Ă©quitĂ© administratives suggèrent un modèle global, car 83 pour cent du territoire de l’Ontario n’est pas constituĂ© en municipalitĂ©. La majoritĂ© des administrations locales comptent une population de moins de 25 000 habitants. Ainsi, sous le rĂ©gime d’une loi permissive (sauf Ă  Toronto), plus de grandes villes (p. ex., celles ayant plus de 100 000 habitants) dont la capacitĂ© est supĂ©rieure pourraient mettre au point leurs propres rĂ©gimes de lobbyisme alors qu’aucune règlementation gĂ©nĂ©rale ne s’appliquerait au reste de la province.

Avantages : Il y a possiblement des leçons comparatives Ă  tirer des rĂ©gimes de lobbyisme d’administrations municipales de partout au Canada. Le modèle hybride peut fonctionner. Il est possible qu’aussi peu que 10 ou 12 rĂ©gions municipales oĂą se trouvent de grandes villes profitent d’un tel rĂ©gime tandis que le reste ne serait assujetti Ă  aucune règlementation provinciale.

InconvĂ©nients : Les modèles hybrides, compte tenu de leur nature, peuvent ajouter de la confusion Ă  tout mĂ©lange rĂ©glementaire. Qui paierait pour les frais de supervision locale ou provinciale? Qui s’occuperait de la rĂ©solution de diffĂ©rends? Que ferait l’industrie de plus en plus professionnelle du lobbyisme en rĂ©action Ă  un système si mĂ©tissĂ©? Qu’en est-il de la confiance du public envers des rendements variĂ©s?

Option 5 :

Un système double, possiblement un modèle C.-B./Canada. Une variante des modèles du QuĂ©bec et de l’Ontario pourrait ĂŞtre administrativement instructive – surtout pour les lobbyistes – et les registraires pourraient garantir la cohĂ©rence entre les diffĂ©rentes règlementations. Il s’agirait d’un système double regroupant une règlementation provinciale des lobbyistes ET un code municipal avec des nuances locales. Ce système s’appliquerait Ă  toutes les administrations municipales, avec un registraire adjoint de lobbyistes pour l’administration municipale.

Avantages : S’il existait un modèle provincial autonome de lobbyisme pour les administrations municipales, ce double rĂ©gime lĂ©gislatif engloberait plusieurs des prĂ©occupations que posent les conseillers municipaux, mais dans un rĂ©gime conçu spĂ©cialement pour les administrations municipales de la C.-B. et du Canada.

InconvĂ©nients : La C.-B. a eu de la difficultĂ© Ă  apporter des rĂ©ponses lĂ©gislatives Ă  certaines questions, comme le financement d’Ă©lections d’administrations municipales. Cela peut reprĂ©senter un dĂ©fi puisque les municipalitĂ©s comptent des populations allant de quelques habitants Ă  600 000 personnes. Toutefois, il semble administrativement possible de surmonter ce dĂ©fi.

Recommandations

Option 5 : Selon moi, l’adoption d’un rĂ©gime pour les grands lobbyistes provinciaux et d’un autre qui tient compte des diffĂ©rences locales de lobbyisme aiderait Ă  faire avancer les choses. Le temps est venu de penser Ă  l’enregistrement des lobbyistes au Canada. Sa mise en Ĺ“uvre dĂ©terminera ses rĂ©percussions sur la rĂ©forme de la transparence.

Patrick J. Smith est le directeur du programme de l’institut de la gouvernance de l’UniversitĂ© Simon Fraser ainsi qu’un professeur du programme d’Ă©tudes supĂ©rieures en urbanisme.