La criminalité financière, le financement d’activités terroristes, le blanchiment d’argent et la Chine

  • 04 mai 2017
  • Christine Duhaime

S’il existe un domaine du droit qui semble le moins connu par les membres mêmes de la profession, c’est bien la criminalité financière. Cette dernière recouvre notamment le blanchiment d’argent, le financement d’activités terroristes, la fraude fiscale, les délits d’initié, la corruption, le jeu clandestin, le trafic de drogues et la prostitution. 

Nous les qualifions de crimes financiers en raison des opérations financières connexes à l’activité criminelle. Ainsi, nous décrivons la fraude fiscale comme un crime financier car l’un de ses éléments est le blanchiment d’argent, les impôts non acquittés constituant des produits d’un crime. Les montants versés au titre de l’impôt qui devraient dormir dans le compte bancaire de l’ARC pourraient se trouver dans un compte situé aux îles Caïman. À petite échelle, une personne, qui travaille dans une boîte de nuit et est payée au pourboire et ne déclare pas ce revenu à l’ARC, ni ne paie d’impôt sur ledit revenu, peut être réputée s’adonner au blanchiment d’argent au même titre que le bandit qui fait du trafic de drogues. 

Loi applicable et répercussions sur les juristes

En vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, certains acteurs du secteur financier tels que les banques, les courtiers immobiliers et les casinos doivent surveiller et déclarer certaines opérations financières, y compris celles qui sont suspectes, au CANAFE, l'unité du renseignement financier du gouvernement fédéral. Outre les rapports devant être faits au CANAFE, ces « gardiens » sont tenus de mettre en œuvre des procédures de vérification de l’identité avant d’accepter un client; procédures appelées intégration (« on-boarding », en anglais). 

Au Canada, les juristes ont été, au départ, désignés comme gardiens par la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Cependant, les contestations constitutionnelles se sont traduites par une exonération de cette exigence. L’argument en faveur d’une exonération reposait en partie sur l’hypothèse que nous possédons déjà nos propres exigences de contrôle, qui sont toutefois moins strictes que celles posées par la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. C’est une question qui a tellement été débattue dans les médias que le gouvernement fédéral envisage de réécrire une partie de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes pour la rendre applicable aux juristes. L’Australie est en train de faire la même chose. Cependant, étendre la portée de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes aux juristes n’est pas sans poser problème. Cela pourrait porter atteinte au secret professionnel et à la confidentialité et accorder au gouvernement fédéral un pouvoir sur la profession juridique qu’il ne possède pas à l’heure actuelle, ainsi qu’imposer des exigences de conformité qui pourraient obliger certains petits cabinets à mettre la clef sous la porte. La conformité à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes est onéreuse et s’élève en moyenne à 1 million de dollars par an. Je pense qu’il est possible d’atteindre le compromis suivant : si les barreaux renforcent notre régime de lutte contre le blanchiment d’argent et exigent de tous les juristes qu’ils suivent une formation sur le régime renforcé, cela réduira les pressions exercées par le public pour que la portée de la loi soit étendue aux juristes.

Obligations des juristes de divulguer le financement des activités terroristes et sanctions

Bien que la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes n’exige pas des juristes qu’ils déclarent les opérations financières, nous sommes tenus de déclarer certaines autres opérations financières à la GRC et au SCRS. Il s’agit des opérations impliquant un terroriste, un groupe terroriste, une personne inscrite, un groupe inscrit, une entité ou une personne sanctionnée. Le financement des activités terroristes et les sanctions sont le domaine le plus généralement méconnu des juristes dans le contexte de la criminalité financière. La plupart des cabinets juridiques semblent ne pas savoir qu’ils sont tenus, en droit pénal, de veiller à ne pas faciliter ce genre d’opérations financières. Le site Web de Sécurité publique Canada contient de multiples listes de terroristes et de personnes sanctionnées avec lesquelles il est illégal de traiter et dont les comptes doivent être gelés. Ces obligations sont indépendantes de l’exonération applicable aux juristes concernant d’autres exigences de divulgation que leur impose la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

La Chine, la criminalité financière et ses incidences en Colombie-Britannique

Les produits de la corruption venant de Chine qui touchent le marché immobilier sont un sujet brûlant de l’actualité à Vancouver s’agissant de la criminalité financière. Les commentaires selon lesquels les déplacements de fonds entre la Chine et Vancouver comportent parfois des produits de la criminalité sont véridiques. La BBC a publié un reportage (disponible uniquement en anglais) selon lequel la Banque centrale de Chine a déclaré en 2011 qu’entre le milieu des années 1990 et 2008, plus de 120 milliards de dollars américains de produits de la corruption avaient quitté la Chine illégalement pour réapparaître dans seulement quatre pays, y compris le Canada.

Qu’il s’agisse de produits de la corruption ou de produits de la criminalité, ces fonds qui sortent illégalement de Chine se retrouvent illégalement, et à leur insu, dans les comptes de fiducie des juristes car ce sont eux qui concluent les transactions immobilières, créent les sociétés et les fiducies, conçoivent les structures de propriété bénéficiaire ou prodiguent des conseils quant à des transactions de fusion et acquisition.

Traitement des acteurs étrangers suspects par les cabinets juridiques

Des ressortissants chinois qui figurent sur une liste de personnes recherchées par Interpol car elles ont perpétré de graves crimes sont venus nous demander conseil. Alors que nous avons refusé de les conseiller pour diverses raisons, chacune d’entre elles possède des manoirs à Vancouver, avait eu recours aux services de cabinets juridiques en matière commerciale et fiduciaire et possédait de multiples comptes bancaires, tout en figurant sur la liste des personnes recherchées par Interpol. 

Par comparaison, les grands cabinets juridiques américains sont plus prudents que nous ne le sommes, ici au Canada. Notre expérience révèle que nos homologues américains n’accepteront pas de se charger des dossiers de personnes ou de sociétés chinoises lorsque leur identité, y compris la propriété bénéficiaire, ne peut être déterminée. Ils adoptent cette pratique non seulement en raison des risques que cela ferait courir à leur réputation, mais, ce qui est encore plus important, parce que si un cabinet ne peut déterminer avec certitude l’identité d’une personne ou les propriétaires bénéficiaires d’une entité, il ne peut en aucun cas s’acquitter de son obligation légale de vérifier qu’il ne traite pas avec un terroriste ou avec une entité sanctionnée. Si le cabinet refuse de se charger de leur dossier, il n’accepte aucun fond de leur part. Bien que le Canada possède des lois similaires sur le terrorisme et les sanctions, les cabinets juridiques de ce pays n’ont pas adopté la même approche.

La profession profiterait largement d’une formation approfondie sur les exigences que nous imposent de multiples lois fédérales lorsque nous traitons des opérations financières afin de nous assurer de ne pas être perçus comme facilitant le blanchiment d’argent.

Christine Duhaime est avocate en criminalité financière spécialisée en droit relatif à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et en recouvrement d’actifs étrangers. Elle exerce dans le cabinet Duhaime Law de Vancouver et a fondé le Digital Finance Institute. Elle a été avocate dans le dossier de la China CITIC Bank pour recouvrer des actifs pour une banque d’État chinoise à Vancouver.