Règlements et caractère raisonnable

  • 02 fĂ©vrier 2024
  • Joshua Ginsberg

La dĂ©cision rendue par la Cour suprĂŞme dans Canada (Ministre de la CitoyennetĂ© et de l’Immigration) c. Vavilov1 a modifiĂ© la notion de contrĂ´le judiciaire en faisant du caractère raisonnable un critère d’examen dans la plupart des cas et de l’examen du caractère raisonnable un outil plus pĂ©nĂ©trant et « robuste » que par le passĂ©. L’arrĂŞt Vavilov a bloquĂ© bon nombre des avenues du « contrĂ´le selon la norme de la dĂ©cision correcte » que le dernier arrĂŞt de principe avait laissĂ©es ouvertes2, mais a allĂ©gĂ© le fardeau Ă  satisfaire par les requĂ©rants demandant le contrĂ´le judiciaire sur le fond d’une mesure administrative pour faire valoir la norme de la dĂ©cision correcte, allĂ©geant du mĂŞme coup le temps et les formalitĂ©s consacrĂ©s au dĂ©bat sur la norme de contrĂ´le.

Toutefois, l’arrĂŞt Vavilov laisse certaines questions sans rĂ©ponse ou ambiguĂ«s, notamment celle de savoir si la nouvelle norme du caractère raisonnable s’applique Ă  l’examen de la rĂ©glementation. Les règlements se distinguent des autres dĂ©cisions administratives parce qu’ils ont souvent l’aspect d’une loi, sans en ĂŞtre. Ils rĂ©sultent de l’exercice stratĂ©gique d’un pouvoir statutaire dĂ©lĂ©guĂ©, Ă  l’instar d’autres mesures administratives. Il demeure qu’avant l’arrĂŞt Vavilov, la Cour suprĂŞme traitait, dans sa jurisprudence, la rĂ©vision des règlements diffĂ©remment des autres dĂ©cisions relevant d’un pouvoir statutaire dĂ©lĂ©guĂ©. Dans Katz Group Canada Inc. c. Ontario (SantĂ© et Soins de longue durĂ©e), la Cour suprĂŞme a appliquĂ© une norme de l’hyperdiffĂ©rence voulant qu’un règlement ne puisse ĂŞtre invalidĂ© qu’en lien avec une question stricte de bien-fondĂ©, c’est-Ă -dire qu’un règlement ne peut ĂŞtre dĂ©clarĂ© ultra vires que s’il est « complètement Ă©tranger » Ă  l’objet de la loi3. L’arrĂŞt Vavilov a fait table rase et remplacĂ© cette norme par un critère gĂ©nĂ©ral d’examen du caractère raisonnable. Laquelle de ces normes s’applique Ă  l’examen des règlements?

La plupart des instances et des observateurs semblent s’entendre pour dire que depuis Vavilov, le caractère raisonnable s’applique Ă  l’examen des règlements, mais d’aucuns sont plutĂ´t d’avis que c’est toujours Katz qui s’applique. Le prĂ©sent article se veut un examen des arguments avancĂ©s par les deux camps, la conclusion Ă©tant que certains principes et certaines considĂ©rations doctrinales militent en faveur de l’examen des règlements selon caractère raisonnable. En outre, peu d’attention a Ă©tĂ© accordĂ©e dans la jurisprudence rĂ©cente Ă  un autre motif d’examen dit « traditionnel », mentionnĂ© en passant dans Katz et pas du tout dans Vavilov : le non-respect d’une condition statutaire dictĂ©e par un prĂ©cĂ©dent. Il s’agit d’un motif distinct du critère du bien-fondĂ©, et il se rapproche particulièrement bien du caractère raisonnable, Ă©tant donnĂ© qu’il implique habituellement l’analyse documentaire factuelle et l’analyse des motifs. Les conditions qui font prĂ©cĂ©dent aux règlements sont prĂ©valentes dans les affaires de droit environnemental. Or, les tribunaux qui examinent ces règlements semblent avoir du mal Ă  savoir quelle norme appliquer. Par souci de clartĂ©, et eu Ă©gard Ă  la règle de droit, ils devraient s’en remettre Ă  l’arrĂŞt Vavilov et Ă  sa norme du caractère raisonnable.

Le reste de cet article est disponible en anglais seulement.


Joshua Ginsberg est directeur d’Ecojustice, une clinique de droit environnemental.

 

Notes de fin

1 2019 CSC 65 [« Vavilov »].

2 Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [« Dunsmuir »].

3 Katz Group Canada Inc. c. Ontario (SantĂ© et Soins de longue durĂ©e), 2013 CSC 64 [« Katz »], paragraphe 28.