Principes Gladue : les cas de faute professionnelle

  • 21 octobre 2022
  • Christopher Wirth

Dans l’affaire Law Society of Ontario v. McCullough, 2022 ONLSTH 63 (Section de première instance du Tribunal du Barreau), une formation du Tribunal du Barreau (la « formation ») a pour la première fois pris en considĂ©ration les origines autochtones d’une avocate pour Ă©tablir la sanction Ă  infliger pour faute professionnelle, en l’occurrence un dĂ©tournement de fonds fiduciaires.

Le contexte

Le Barreau de l’Ontario (le « Barreau ») a fait valoir que Helen McCullough (l’« avocate ») avait commis une faute professionnelle en dĂ©tournant plus de 100 000 $ d’un compte en fiducie mixte pour payer les dĂ©penses courantes de son cabinet, et qu’elle n’avait pas tenu ses livres et dossiers selon les règles. L’avocate ayant admis la faute, la formation devait Ă©tablir la sanction.

La décision du Tribunal du Barreau

Le comitĂ© d’appel du Tribunal avait dĂ©jĂ  Ă©tabli que la sanction de base pour dĂ©tournement par un juriste Ă©tait la rĂ©vocation de permis et qu’il n’y avait lieu de faire exception en cas de malhonnĂŞtetĂ© avĂ©rĂ©e que dans des circonstances extraordinaires.

Le Tribunal avait dĂ©jĂ  concĂ©dĂ© une telle exception dans d’autres affaires en autorisant une remise de permis au lieu d’ordonner une rĂ©vocation, mais cette sanction demeurait la moins sĂ©vère rĂ©pertoriĂ©e Ă  ce jour.

En l’espèce, toutefois, la formation a tenu compte de l’expĂ©rience de l’avocate comme femme autochtone Ă  la lumière de l’arrĂŞt R. v. Gladue, 1999 CanLII 679, oĂą la Cour suprĂŞme du Canada a Ă©tabli les Ă©lĂ©ments Ă  considĂ©rer au moment de dĂ©terminer la peine d’une personne autochtone en matière pĂ©nale. La formation a jugĂ© qu’il y avait lieu pour le Tribunal du Barreau de l’Ontario de suivre les principes ainsi Ă©noncĂ©s lorsqu’un juriste autochtone est mis en cause et de les placer dans le contexte des engagements institutionnels de rĂ©conciliation.

Reçue au Barreau de l’Ontario en 1998 Ă  41 ans, la mise en cause a 65 ans au moment de l’affaire. Elle pratique dans une petite collectivitĂ©, principalement en droit de la famille, notamment en protection de l’enfance, pour une clientèle dont la majoritĂ© bĂ©nĂ©ficient de l’aide juridique et dont un bon pourcentage sont autochtones. Sous l’angle des principes Gladue, la formation a signalĂ© les caractĂ©ristiques suivantes de la situation de l’avocate :

  • l’incidence de son arrachement culturel Ă  son identitĂ© et Ă  sa communautĂ© autochtone;
  • les efforts qu’elle a faits pour surmonter ses difficultĂ©s, ses dĂ©savantages et la violence qu’elle a subie comme jeune femme, pour enfin rĂ©ussir Ă  devenir avocate Ă  41 ans;
  • le fait que, en entamant sa carrière, elle a adoptĂ© quatre nièces et neveux qui avaient tous des besoins spĂ©ciaux complexes, afin de leur Ă©pargner le rĂ©gime de protection de l’enfance;
  • le stress majeur qu’elle Ă©prouvait au moment de sa faute, en raison de son rĂ´le de pourvoyeuse auprès d’autres membres de sa famille;
  • le fait qu’elle offre ses services comme titulaire de permis Ă  une clientèle considĂ©rable constituĂ©e en grande partie de parents autochtones ayant besoin de reprĂ©sentation dans des instances de protection de l’enfance.

Compte tenu de ces circonstances extraordinaires, le Barreau ne rĂ©clamait pas la sanction de base, soit la rĂ©vocation de permis. Ayant convenu que la sanction devait inclure une suspension et des restrictions de pratique, les parties ne s’entendaient pas sur la durĂ©e de la suspension : le Barreau plaidait pour une durĂ©e de douze mois compte tenu de la gravitĂ© de la faute et dans une optique dissuasive, tandis que l’avocate proposait quatre mois.

Finalement, la formation a ordonnĂ© une suspension de huit mois assortie de restrictions de pratique pendant un an suivant son retour en exercice, tout en obligeant la mise en cause Ă  rencontrer un AĂ®nĂ© ou un « enseignant traditionnel » pendant sa suspension. L’avocate a Ă©galement dĂ» verser des dĂ©pens de 5 000 $ au Barreau.

La conclusion

C’est la première fois qu’une formation du Tribunal du Barreau de l’Ontario applique les principes Gladue dans une affaire de faute professionnelle en raison des origines autochtones de la personne mise en cause. Il est probable que le Tribunal maintienne cette orientation dans des circonstances similaires. Il y a donc lieu pour les conseils disciplinaires des autres ordres professionnels de s’attendre Ă  des requĂŞtes en ce sens lorsque la personne en faute appartient Ă  la communautĂ© autochtone.


Christopher Wirth est associĂ© chez Keel Cottrelle LLP.