Les défenseurs du bien-être des animaux se voient refuser la qualité pour agir dans l'intérêt public pour demander le contrôle judiciaire d’un permis accordé à un parc zoologique

  • 16 mars 2020
  • Christopher Wirth et Shamim Fattahi

Par le rĂ©cent rejet de la demande d’autorisation de pourvoi par la Cour suprĂŞme du Canada [2019] SCCA No 295, l’arrĂŞt rendu par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire Zoocheck Canada Inc. v. Alberta (Minister of Agriculture and Forestry), 2019 ABCA 208 (disponible uniquement en anglais) a Ă©tĂ© confirmĂ©. Cet arrĂŞt confirmait la dĂ©cision d’un juge siĂ©geant en cabinet de refuser la qualitĂ© pour agir dans l’intĂ©rĂŞt public Ă  un groupe de dĂ©fense qui cherchait Ă  obtenir un contrĂ´le judiciaire d’une dĂ©cision du ministre de l’Environnement et des Parcs de l’Alberta par laquelle il renouvelait le permis d’un parc zoologique.

Contexte

Des groupes de dĂ©fenseurs du bien-ĂŞtre des animaux, Zoocheck, s’inquiĂ©taient depuis longtemps des conditions de vie d’un Ă©lĂ©phant appelĂ© Lucy au parc zoologique Edmonton Valley Zoo. En vertu de la Wildlife Act, RSA 2000, c W-10 ils ont demandĂ© que soit dĂ©clarĂ©, dans une demande prĂ©liminaire, qu’ils avaient la qualitĂ© pour agir pour demander un contrĂ´le judiciaire.

Le juge siĂ©geant en cabinet a rejetĂ© leur demande prĂ©liminaire au motif qu’ils avaient Ă©chouĂ© Ă  satisfaire aux exigences pour obtenir la qualitĂ© pour agir dans l’intĂ©rĂŞt public. Appliquant le critère Ă©noncĂ© par la Cour suprĂŞme du Canada Ă  l’Ă©gard de la qualitĂ© pour agir dans l’intĂ©rĂŞt public, le juge siĂ©geant en cabinet s’est posĂ© les questions suivantes : (1) Une question grave qui relève des tribunaux devait-elle ĂŞtre tranchĂ©e? (2) Les demandeurs avaient-ils un intĂ©rĂŞt rĂ©el dans le dĂ©nouement de l’affaire? (3) L’action proposĂ©e Ă©tait-elle un moyen raisonnable et efficace de saisir la Cour de la question?

Se penchant sur les deux premiers facteurs, le juge siĂ©geant en cabinet a expliquĂ© qu’ils doivent ĂŞtre considĂ©rĂ©s dans le contexte de la dĂ©cision mĂŞme qu’il Ă©tait demandĂ© Ă  la Cour d’examiner. Dans cette affaire, la Wildlife Act et ses règlements applicables portaient sur la logistique, notamment l’octroi de licences, et n’avaient pas pour objectif de tenir lieu de lĂ©gislation de protection des animaux. Le bien-ĂŞtre de Lucy constituait la vĂ©ritable prĂ©occupation des demandeurs et leur intĂ©rĂŞt dans le permis accordĂ© au parc zoologique Ă©tait purement accessoire Ă  leur objectif de dĂ©mĂ©nagement de l’Ă©lĂ©phant. Par consĂ©quent, dans le contexte d’un contrĂ´le judiciaire de la dĂ©cision du ministre de renouveler le permis du parc zoologique, les demandeurs n’avaient pas soulevĂ© de questions graves qui relèvent des tribunaux et n’avaient aucun intĂ©rĂŞt rĂ©el dans le dĂ©nouement de l’affaire. Le juge siĂ©geant en cabinet a Ă©galement rejetĂ© l’allĂ©gation des demandeurs selon laquelle le permis n’aurait pas dĂ» ĂŞtre renouvelĂ© parce que le parc zoologique ne respectait pas les normes applicables Ă  ces parcs puisque le règlement avait expressĂ©ment exclu les normes connexes Ă  la protection des animaux.

Pour ce qui est du troisième facteur, le juge siĂ©geant en cabinet a conclu que Zoocheck n’avait pas Ă©tabli que sa demande de contrĂ´le judiciaire de la dĂ©cision de renouveler le permis du parc zoologique Ă©tait un moyen raisonnable et efficace de saisir la Cour de la question du bien-ĂŞtre de Lucy. En l’occurrence, les demandeurs auraient pu avoir recours Ă  un mĂ©canisme plus appropriĂ©, Ă  savoir le dĂ©pĂ´t d’une plainte conformĂ©ment Ă  l’Animal Protection Act, RSA 2000 c A-41. Qui plus est, certains des pouvoirs publics albertains chargĂ©s du bien-ĂŞtre des animaux avaient choisi de ne pas entamer de poursuites concernant Lucy.

Le juge siĂ©geant en cabinet avait Ă©galement rejetĂ© la demande au motif que la demande mĂŞme de contrĂ´le judiciaire constituait un abus de procĂ©dure car il s’agissait d’une contestation parallèle visant une procĂ©dure antĂ©rieure entamĂ©e pour tenter de rĂ©gler les prĂ©occupations quant au bien-ĂŞtre de Lucy.

Les demandeurs ont interjetĂ© appel de la dĂ©cision du juge siĂ©geant en cabinet devant la Cour d’appel de l’Alberta.

DĂ©cision de la Cour d’appel de l’Alberta

Ă€ la majoritĂ©, la Cour d’appel a rejetĂ© l’appel, confirmant la dĂ©cision du juge siĂ©geant en cabinet de refuser aux demandeurs la qualitĂ© pour agir dans l’intĂ©rĂŞt public. La majoritĂ© a soulignĂ© que la dĂ©cision d’accorder ou de refuser la qualitĂ© pour agir dans l’intĂ©rĂŞt public relève du pouvoir discrĂ©tionnaire et commande la dĂ©fĂ©rence d’une cour d’appel. Une cour d’appel ne peut interfĂ©rer avec une telle dĂ©cision que lorsque le tribunal de première instance s’est fondĂ© sur un principe erronĂ© ou a omis d’accorder suffisamment d’importance Ă  toutes les considĂ©rations pertinentes, ce que les appelants n’ont pas Ă©tabli en l’espèce. Le juge siĂ©geant en cabinet a appliquĂ© le bon critère pour trancher la question de savoir si la qualitĂ© pour agir dans l’intĂ©rĂŞt public devait ĂŞtre accordĂ©e aux appelants, et a examinĂ© les facteurs combinĂ©s en faisant preuve de la souplesse requise. La dĂ©cision du juge avait par consĂ©quent droit Ă  la dĂ©fĂ©rence.

Toutefois, en ce qui a trait Ă  l’abus de procĂ©dure, la majoritĂ© a affirmĂ© que le juge siĂ©geant en cabinet avait errĂ© lorsqu’il avait conclu que la demande de qualitĂ© pour agir dans l’intĂ©rĂŞt public prĂ©sentĂ©e par Zoocheck Ă©tait une contestation parallèle visant une procĂ©dure antĂ©rieure.  Alors que certains des points soulevĂ©s dans la demande actuelle Ă©taient similaires Ă  ceux prĂ©sentĂ©s dans la procĂ©dure antĂ©rieure, les demandes visaient des parties diffĂ©rentes et exigeaient le recours Ă  des critères juridiques diffĂ©rents.

La Cour suprĂŞme du Canada a rĂ©cemment rejetĂ© la demande d’autorisation de pourvoi.

Enseignements

Cette affaire indique les possibles glissements vers une application plus stricte du critère utilisĂ© pour accorder la qualitĂ© pour agir dans l’intĂ©rĂŞt public. Les parties qui cherchent Ă  obtenir ladite qualitĂ© pour agir doivent pouvoir Ă©tablir que les questions prĂ©sentĂ©es Ă  la cour sont graves et relèvent des tribunaux. Elles doivent en outre dĂ©montrer qu’elles ont un intĂ©rĂŞt rĂ©el dans le dĂ©nouement de l’affaire, non seulement au sens gĂ©nĂ©ral de cette notion, mais dans le contexte de la dĂ©cision mĂŞme qu’elles demandent Ă  la cour d’examiner. Qui plus est, les cours d’appel continueront Ă  faire preuve de dĂ©fĂ©rence Ă  l’Ă©gard du pouvoir discrĂ©tionnaire confĂ©rĂ© aux tribunaux de première instance quant Ă  l’octroi ou au rejet de la qualitĂ© pour agir dans l’intĂ©rĂŞt public, Ă  condition que les principes appropriĂ©s aient Ă©tĂ© appliquĂ©s.


Christopher Wirth est associé et Shamim Fattahi est stagiaire au sein du cabinet Keel Cottrelle LLP.