Votre ĂŞtre tout entier : Prendre soin de votre pratique, Ă  commencer par son actif le plus important

  • 05 juillet 2014
  • Jason Scott Alexander

De nombreux avocats dĂ©cident d’exercer seul ou de constituer une petite pratique en vue d’atteindre un meilleur Ă©quilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle, mais ils constatent que ce genre d’Ă©quilibre est inatteignable puisque la difficultĂ© d’Ă©difier une pratique avec peu de personnel de soutien tout en essayant de passer du temps avec leurs jeunes familles – ou avec leurs parents âgĂ©s – leur gruge beaucoup de temps.

Surcharge des rĂ´les

Mme Linda Duxbury, Ph. D., est professeure Ă  la facultĂ© Sprott des affaires de l’UniversitĂ© Carleton Ă  Ottawa, oĂą elle est une chercheuse reconnue Ă  l’Ă©chelle internationale en matière d’Ă©quilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle et une pionnière dans le domaine de la santĂ© organisationnelle. Lorsqu’elle a commencĂ© Ă  recueillir des donnĂ©es sur le sujet en 1991, elle l’a Ă©noncĂ© de la façon dont le font la plupart des universitaires : le travail nuit Ă  la famille et la famille nuit au travail. « Mais après avoir effectuĂ© la recherche pendant plusieurs annĂ©es, j’en suis arrivĂ©e Ă  la conclusion que c’est bĂŞtement une question de charge de travail », dĂ©clare Mme Duxbury.

Le problème de la profession juridique rĂ©side dans le fait qu’elle se fonde sur les heures facturables – ce qu’elle appelle un paramètre explicite qui impose une pression indue aux avocats en raison de l’attente d’une rĂ©compense matĂ©rielle pour chaque heure supplĂ©mentaire.

« Dans bien d’autres sociĂ©tĂ©s que j’examine, le paramètre n’est pas explicite; il fait partie de la culture. Vous obtenez toujours le mĂŞme comportement, mais celui-ci n’atteint pas le mĂŞme niveau toxique que lorsque les heures sont explicitement liĂ©es Ă  l’Ă©valuation, dĂ©clare Mme Duxbury. Et la barre est fixĂ©e au sommet des heures facturables, Ă  40 heures par semaine, ce qui ne laisse pas de temps pour toutes les autres choses non facturables qu’il faut faire. On s’attend donc Ă  ce que vous travailliez pendant 60 heures, seulement pour garder votre emploi. »

Mme Duxbury dĂ©clare que nous en sommes au point oĂą un important changement psychologique s’impose. Selon sa recherche, les jeunes ont vu le mariage de leurs parents Ă©chouer par suite des longues heures qu’ils ont consacrĂ©es au travail – et ont constatĂ© que ces longues heures de travail acharnĂ© ne confèrent aucune protection contre les coupures de postes. Ils sont dĂ©terminĂ©s Ă  ne pas suivre cet exemple.

Mais se lancer Ă  son compte ne constitue pas la rĂ©ponse non plus, dĂ©clare Mme  Duxbury.

« C’est un mythe que de croire que si vous exploitez votre propre pratique, vous aurez automatiquement un meilleur Ă©quilibre. En fait, si vous exploitez votre propre entreprise, sauf si vous ĂŞtes prĂŞt Ă  accepter une importante rĂ©duction de revenu, vous n’aurez pas de meilleur Ă©quilibre. »

Penser Ă  vous

Dans son nouveau livre intitulĂ© Is Work Killing You? (House of Anansi Press), l’expert en gestion du stress, M. David Posen d’Oakville, en Ontario, rĂ©partit ainsi les rĂ´les de la vie : le travail, la famille et soi-mĂŞme. Pour les gens qui font du bĂ©nĂ©volat, un quatrième rĂ´le serait la collectivitĂ©.

Il y a dĂ©sĂ©quilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle lorsque que ces rĂ´les s’entrechoquent – gĂ©nĂ©ralement, lorsque le travail obtient tout le temps et l’Ă©nergie dont il a besoin dans une semaine moyenne, tandis que les autres parties de la vie se contentent de ce qui reste. Il avertit que ce genre de conflit, si on le laisse perdurer, se transforme souvent en stress chronique.

Selon lui, un certain niveau de bon stress contribue Ă  la performance, mais lorsque le stress continue d’augmenter, vous « vous retrouvez en situation de dĂ©tresse, oĂą la performance commence Ă  diminuer, tout comme la productivitĂ©, et oĂą vous commencez Ă  subir des symptĂ´mes », dĂ©clare M. Posen. La fatigue peut mener Ă  l’Ă©puisement, qui peut pour sa part mener Ă  la maladie, notamment une crise cardiaque et un accident vasculaire cĂ©rĂ©bral.

« Je demande toujours aux patients, sentez-vous que la situation est sans espoir, que vous ne pouvez rien faire et vous sentez-vous pris au piège? Il faut vraiment faire attention Ă  ce genre de sentiments et de symptĂ´mes. Lorsque les gens ont l’impression d’ĂŞtre sur un tapis roulant sans pouvoir en dĂ©barquer, qu’ils n’ont pas le temps de prendre des vacances, qu’ils ignorent s’ils peuvent continuer Ă  avancer […] ils ont dĂ©jĂ  depuis longtemps franchi la frontière » de la dĂ©tresse, avertit-il.

Auto Ă©valuation

Selon la confĂ©rencière et guide professionnelle de Vancouver Lisa Martin, crĂ©atrice des programmes Lead + Live Better et auteure de « Briefcase Mom » (Cornerview Press), l’Ă©puisement professionnel est le plus grave danger qui guette ceux qui ne tiennent pas compte de leur ĂŞtre tout entier.

« Constituent des signes classiques le fait de travailler de plus en plus longtemps pour effectuer le mĂŞme travail, la tension et l’irritabilitĂ© inhabituelles, l’absence de communication, l’inertie et l’indĂ©cision prolongĂ©e, le non-respect des Ă©chĂ©ances et les comportements d’Ă©vitement », dĂ©clare Mme Martin.

Elle insiste sur l’importance de pondĂ©rer proactivement le travail par du repos. Inscrivez des temps morts Ă  votre agenda – et prenez-les. Lorsque vous le faites, vous vous sentez rĂ©Ă©nergisĂ©, vous prenez une meilleure dĂ©cision et vous favorisez de meilleures relations.

Et ne tâchez pas d’ĂŞtre parfait. Plus vous exigez la perfection de vous-mĂŞme et de ceux qui vous entourent, plus la vie paraĂ®t dĂ©sorganisĂ©e et ingĂ©rable.

« La perfection met fin aux carrières. Lorsque vous tentez de faire en sorte que tout soit parfait, vous vous agrippez inĂ©vitablement trop. Vous ne dĂ©lĂ©guez pas et ne laissez pas les choses aller. Votre fiertĂ© peut vous empĂŞcher d’admettre que vous avez besoin d’aide. En vue de contrĂ´ler tout ce qui vous entoure, vous ratez des occasions de croĂ®tre et de prendre des risques. »

Selon elle, il faut viser la rĂ©ussite ou mĂŞme l’amĂ©lioration plutĂ´t que d’insister sur la perfection.

« Si vous visez l’amĂ©lioration plutĂ´t que la perfection, vous disposerez de plus de temps pour accomplir des tâches importantes pour votre carrière, comme le rĂ©seautage, l’Ă©laboration de stratĂ©gies, l’Ă©tablissement d’un profil et l’annonce de vos rĂ©alisations », dĂ©clare Mme Martin.

M. Posen affirme que l’un des meilleurs conseils qu’il a reçus au dĂ©but de sa pratique Ă©tait de dĂ©buter de la mĂŞme façon qu’il voulait continuer.

Faisant rĂ©fĂ©rence au nombre excessif souvent irrĂ©aliste d’heures facturables que s’imposent de nombreux jeunes avocats, M. Posen dit ceci : « Informez les gens dès le dĂ©part de ce qu’ils obtiendront, et vous dĂ©cidez Ă  l’avance du genre de vie que vous voulez avoir ».

Mme Duxbury met l’accent sur le fait que personne ne vous donnera l’Ă©quilibre. C’est plutĂ´t une chose que vous devez atteindre par vous-mĂŞme. « Lorsque je parle aux gens et que je leur dit, vous savez, sur votre lit de mort, qu’allez-vous dire? Mon Dieu, ne m’emportez-pas maintenant car des courriels m’attendent? », dit-elle en riant.

Jason Scott Alexander est un rĂ©dacteur pigiste d’Ottawa spĂ©cialisĂ© en droit des mĂ©dias d’avant-garde et de la technologie.