La lettre, l’esprit… et la plume!

  • 10 novembre 2015
  • Kim Nayyer

Certains avocats se mettent à la rédaction – ce qui peut leur rapporter beaucoup. Je ne parle pas ici de la rédaction qu’ils font par obligation professionnelle, mais plutôt de celle qu’ils font par choix. Ils peuvent sortir leur plume pour une foule de raisons personnelles ou professionnelles, et c’est à tout coup une excellente idée.

Je m’en vais au marché

Si certains jugent qu’écrire des articles, des billets de blogue ou des chroniques dans le but de s’attirer des clients est un geste intéressé, je crois plutôt que l’activité est enrichissante – il suffit de la considérer d’un point de vue positif et constructif. La rédaction permet de bâtir un profil professionnel authentique en montrant ses forces et son intérêt pour un sujet donné. Elle permet d’exprimer sa passion pour un domaine de pratique, laquelle se traduit en bribes d’information pertinente pour le lecteur.

Bien sûr, la motivation première ou même le but ultime de l’exercice peut demeurer la promotion de ses services sur le marché, mais pour réaliser son objectif, l’avocat doit s’ériger en spécialiste de son domaine. Cette prétention doit découler d’un intérêt véritable; autrement, elle ne vaut guère plus qu’un argumentaire de vente.

Les idées, ça se discute

Le marketing, en quelque sorte, peut profiter autant à l’universitaire qu’à l’avocat en exercice. Si l’un cherche à se présenter comme le conseiller idéal aux yeux d’un client potentiel, l’autre peut lancer un débat de fond sur un enjeu et alimenter la réflexion de ses confrères. D’excellents raisonnements sont notamment véhiculés dans les billets de blogue et les courts textes ou documents de travail publiés sur des sites Web comme celui du SSRN. Paul Daly a d’ailleurs récemment signé un article où il vantait les textes brefs et publics pour leur capacité à stimuler l’engagement des universitaires et même à influencer la magistrature. Les publications dans les blogues et autres forums publics interactifs ne font peut-être pas l’objet d’une révision par les pairs, mais elles ont l’avantage de rejoindre un vaste lectorat et d’engendrer des débats animés.

ABlawg.ca, populaire blogue d’une faculté de droit, montre brillamment comment les universitaires peuvent utiliser le Web pour susciter la réflexion et la discussion. (En fait, il existe plusieurs excellents blogues de facultés de droit.) Justement, dans un billet mis en ligne à l’été 2015, une collaboratrice d’ABlawg examine la contribution des blogues du genre pour l’enseignement du droit : embauche de jeunes professeurs, possibilité de commenter les dernières décisions, hausse de l’intérêt, occasions de participation des étudiants, etc.

Une empreinte cohérente

Toute personne qui vise à convaincre ne serait-ce que quelques avocats de se mettre à la rédaction professionnelle doit aussi offrir cette mise en garde : soyez conscient des traces que vous laissez. Faites attention à ce que vous écrivez, et particulièrement en ligne, car nous savons qu’aujourd’hui, vous risquez fort bien d’utiliser ce moyen. Si on présente souvent cet avertissement – comme je l’ai moi-même fait –, ce n’est pas sans raison. Nos règlements professionnels nous aident à déterminer quoi écrire et ne pas écrire, en ligne ou dans du matériel promotionnel… mais il est parfois trop tard. On lit souvent des histoires catastrophiques de personnes sans prétention qui ont écrit un commentaire de trop sur un blogue, un réseau social ou même dans un journal ou une infolettre. Ce sont évidemment des situations que nous voulons tous éviter.

Heureusement, des mesures préventives existent. La plus simple est probablement de se dire : « En n’écrivant rien du tout, je ne risque pas de mettre les pieds dans le plat. » La solution suivante, qui demande un peu plus d’efforts, consiste à viser l’obscurité publique, à des fins de protection de la vie privée ou de gestion de l’impression. Oui, l’argumentaire en faveur du droit à l’oubli est fondé. Mais de plus en plus, on voit de la vertu dans le fait d’assumer son empreinte numérique, quelle qu’elle soit.

Une autre tactique consiste à saisir l’occasion d’agir de façon proactive, et même préventive, sur son image virtuelle. Dans notre milieu, les exemples de professionnels dont l’excellente réputation se trouve rehaussée par une plume habile ne manquent pas. Pour le constater, il suffit de lire quelques entrées de juristes, d’universitaires ou autres sur lawblogs.ca. Par des propos bien pesés, informés et intéressants, les avocats peuvent arriver à dresser un profil ou un portfolio authentique, positif et si solide qu’une poignée de gazouillis hors contexte ne saurait les ébranler.

Dans mon cours de recherche et de rédaction avancées, je demande à mes étudiants d’écrire un billet noté et de participer à une discussion de groupe non notée, le tout dans le confort et la sécurité d’un blogue privé. Une fois les travaux corrigés et le cours terminé, j’invite les participants (qui sont alors souvent nouvellement diplômés) à publier leurs textes dans un ou deux forums publics. Leurs réactions à la question complexe de l’image virtuelle sont toutes aussi variées que valides. Certains n’ont vraisemblablement aucune envie d’entamer leur présence professionnelle en ligne avec un billet rédigé dans le cadre d’un cours universitaire ou dirigé par leur enseignante. D’autres souhaitent séparer travaux scolaires et présence Web, qu’elle soit professionnelle ou autre. D’autres encore voient la pertinence des plateformes elles-mêmes et de la contribution aux échanges sur le droit. Enfin, certains considèrent une telle publication comme l’occasion de commencer à bâtir leur profil d’avocat.

C’est en forgeant qu’on devient (un meilleur) forgeron

Selon Bryan Garner, rédacteur, observateur et lexicographe juridique, les avocats doivent écrire, apprendre et pratiquer avant d’atteindre la qualité de rédaction qu’ils pensaient produire à leurs débuts. (Son texte porte en grande partie sur l’effet Dunning-Kruger, selon lequel une personne inexpérimentée surestime souvent ses compétences. Celle-ci ne reconnaîtrait sa méprise qu’après avoir été effectivement formée dans le domaine donné.)

L’auteur fait référence à la théorie de Malcolm Gladwell, selon laquelle il faut s’exercer pendant 10 000 heures pour maîtriser une technique. Il semble à tout le moins juste d’affirmer que, pour tout type d’activité, on s’améliore grâce à l’exercice et la rétroaction formatrice. Il faudra travailler pour obtenir cette dernière, mais pour ce qui est du premier, ce ne sont pas les occasions qui manquent.

Kim Nayyer est bibliothécaire universitaire associée en droit et professeure agrégée adjointe à la Faculté de droit de l’Université de Victoria.

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