Une carrière en solo : prendre une décision

  • 16 avril 2014

S'embarquer dans la pratique autonome du droit est sans doute le rêve le plus fréquent parmi les membres de la profession juridique. La plupart des avocats avoueront qu'ils ou elles y ont déjà songé à un moment donné. La perspective exaltante d'être son proper patron, de fixer son propre horaire de travail et de ne pas avoir à respecter des politiques de bureau, d'éviter des charges bureaucratiques et les impératifs de nature administrative qu'un autre peut vous imposer n'est pas négligeable. Si votre situation actuelle vous incite à vous tourner vers la pratique autonome, sachez cependant que ce n'est pas forcément la panacée miracle et que l'herbe n'est pas systématiquement plus verte ailleurs; c'est seulement et avant tout un mode de fonctionnement différent.

La pratique autonome consiste en fait à troquer un ensemble de responsabilités et de problèmes pour un autre. Que vous préfériez les problèmes et les responsabilités inhérents à la pratique autonome à ceux que vous vivez actuellement est presque entièrement function de votre personnalité et de ce que vous recherchez.

Les avantages de la pratique autonome sont faciles à décrire, mais chacun des avantages comporte son revers, c'est-à-dire un ou plusieurs inconvénients inévitables. Bien évidemment, le plus grand avantage est que vous devenez ainsi votre propre patron. Vous n'êtes redevable qu'envers vous-même, vous prenez toutes les décisions et vous en récoltez tous les bénéfices. En revanche, vous ne pouvez compter que sur vous-même, et si vous prenez une mauvaise décision, vous serez le seul à blâmer. En étant à votre propre compte, vous fixez votre emploi du temps comme bon vous semble, vous dépensez votre propre argent, vous dirigez votre entreprise à votre façon et vous décidez d'accepter ou de refuser les dossiers que vous voulez. Ce mode de fonctionnement permet d'éliminer de nombreuses pressions, mais il faut savoir qu'il en crée inévitablement d'autres, quoique différentes.

Étant donné que la pratique autonome ne convient pas à tous, voici une série de questions qu'il faudra vous poser avant de décider si cette formule vous convient.

Suis-je indépendant et discipliné?

L'une des plus grandes difficultés de la pratique autonome est justement la solitude. Certes, vous partagez votre bureau avec un secrétaire et éventuellement un parajuridique ou un ou deux avocats à votre service et peut-être même avec d'autres avocats occupant les bureaux. Mais en tant qu'avocat vous êtes et demeurez seul. Vous assumez l'entière responsabilité de toutes les décisions que vous prenez et quand bien même vous auriez développé un excellent réseau d'avocats et d'amis pour faire ensemble du remue-méninges, fêter vos victoires et vous réconforter en cas de défaites, il n'en reste pas moins que la responsabilité incombe à vous seul. Si cette perspective vous terrifie plus qu'elle ne vous excite, alors pensez-y à deux fois avant de faire le grand saut.

Suis-je intéressé aux détails financiers?

Si vous ĂŞtes du genre « pur et dur » de la pratique du droit et n'avez que mĂ©pris pour les questions d'ordre administratif, attendez-vous Ă  subir un choc de taille. Les tâches administratives occuperont une grande partie de votre emploi du temps. La plupart des avocats peuvent dĂ©lĂ©guer ces tâches ou carrĂ©ment les ignorer, ce qui vous sera possible dans certains cas. Mais pour l’essentiel, il faut que vous sachiez vous en occuper vous-mĂŞme ou alors vous devez engager une personne qui s'en chargera et que vous surveillerez de près. La plupart des problèmes financiers ou des mesures disciplinaires dont les avocats Ă  leur compte font l'objet dĂ©coulent de leur nĂ©gligence ou de leur mĂ©diocre gestion des dĂ©tails administratifs.

Il faut savoir comment procéder aux déductions fiscales sur les registres des traitements et salaires, connaître les dates d'échéance, savoir à qui les verser et les conséquences en cas d'omission. II faut aussi savoir engager du personnel et le congédier, connaître le type d'assurance requis et être au fait d'une foule d'autres questions relatives à l'embauche de personnel. Vous devez en outre savoir tenir un système de comptabilité et souscrire à des garanties qui vous permettront d'éviter les erreurs. Et enfin, vous devez savoir comment louer un bureau, choisir l'équipement nécessaire et savoir l'installer. En bref, vous êtes l'acteur de deux rôles aussi importants soit entrepreneur et avocat.

Vous pouvez engager du personnel et des conseillers extemes pour vous aider, mais en dernier ressort, c'est Ă  vous qu'il incombe que tout fonctionne dans les règles et avec efficacitĂ©. Rappelez-vous que c'est vous qui devrez payer le prix de vos erreurs. Si vous Ă©prouvez un certain plaisir Ă  gĂ©rer une entreprise, alors il se peut que la pratique autonome vous soit destinĂ©e; par contre, si vous ĂŞtes rĂ©ticent Ă  vous Ă©carter de la pratique du droit « pure et dure », il est peu probable que vous vous Ă©panouissiez Ă  votre compte.

Ai-je toutes les données en mains?

Être un excellent avocat ne vous garantit pas automatiquement la réussite comme avocat à son compte. Il faut pour ce faire disposer de toutes les données et faire preuve de bon sens pour déceler les cas qui profiteront à votre entreprise et ceux qui lui seront néfastes. Le simple fait que des personnes veuillent devenir des clients est a priori flatteur. Cependant, s'ils risquent d'être insolvables et que vous ne vous en rendez pas compte, vous pourriez finir par travailler pour eux gratuitement et vous trouver dans l'incapacité de payer vos factures.

II faut également que vous soyez en mesure d'identifier les tendances du marché susceptibles d'influencer votre entreprise. Par exemple, si vous envisagez de vous lancer dans le domaine de l'indemnisation des accidents de travail ou des lésions corporelles, renseignez-vous sur le risque que représente une mesure de réforme pour le succès de votre entreprise. Si vous tenez à privilégier plutôt les transactions immobilières, qu'arrivera-t-il si le marché périclite? Ou encore si vous faites dépendre votre pratique d'un seul gros client, que se passera-t-il si ce client décide d'installer ailleurs son entreprise ou fait faillite?

Pour un avocat à son compte, il n'est pas facile de passer d'un champ de pratique à un autre; monter une nouvelle clientèle et des sources de références pour un différent type de travail peut exiger plus de temps que vos ressources financières ne le permettent.

Suis-je capable de me vendre?

Certains avocats sont des gagnants naturels vers qui la clientèle semble irrésistiblement attirée; d'autres, en revanche, malgré des compétences identiques, éprouvent une certaine difficulté à faire leur propre promotion. Il fut un temps où il suffisait à un praticien autonome de posséder du talent pour être certain de se voir référer des dossiers par des collègues et ainsi garantir le succès de sa pratique. Cependant, le marché des services juridiques est de plus en plus compétitif il faut à présent pour survivre être capable de se vendre. Si la perspective de vendre vos services et vos talents vous met mal à l'aise, la pratique autonome risque de vous poser des difficultés.

Quel est mon seuil de tolérance au risque?

Exercer de façon autonome signifie que votre pratique envahira votre existence 24 heures sur 24, 365 jours par année. À certains moments, si l'entreprise connaît une passe difficile, vous manquerez d'argent pour payer vos factures. Cependant, après vous être lancé à fond dans la pratique autonome, il peut être difficile d'abandonner cet investissement et de vous trouver un emploi.

Prendre une décision

Car il ne faut pas oublier que votre clientèle dépend de vous et que vous avez pris des engagements financiers à long terme en matière de location des bureaux et de l'équipement. Si votre entreprise connaît une baisse de productivité, il vous faudra faire preuve d'une certaine force de caractère et d'objectivité pour évaluer la situation avec lucidité, pour décider des changements à y apporter et pouvoir ensuite les mettre à exécution et tenir le coup jusqu'à ce que les effets positifs s'en fassent sentir. Si la perspective de tout perdre vous plonge dans un état de panique tel que vous perdiez toute vision rationnelle, vous aurez de la difficulté à résoudre les crises qu'une pratique autonome risque de subir presque inévitablement. Par contre, si vous êtes du genre à faire face à l'adversité, vous serez à même d'affronter les périodes moins prospères et les coups durs et de continuer à apprécier les bons moments qui font de la pratique autonome une aventure gratifiante.

AdaptĂ©e de « Une carrière en solo : un Guide de l’ABC destinĂ© aux juristes qui exercent le droit Ă  leur compte au Canada. »