Régime coopératif national de réglementation des marchés des capitaux

  • 08 janvier 2019
  • Carolynne Burkholder

La plus haute cour du Canada a autorisĂ© l’adoption d’une approche plus unifiĂ©e de la rĂ©glementation des valeurs mobilières Ă  l’Ă©chelle du pays. Cependant, selon les experts, la crĂ©ation d’un organe de rĂ©glementation des valeurs mobilières fondĂ© sur la coopĂ©ration devra surmonter maints obstacles.

Dans une dĂ©cision unanime rendue en novembre 2018, la Cour suprĂŞme du Canada a conclu au caractère constitutionnel du rĂ©gime coopĂ©ratif de rĂ©glementation des marchĂ©s des capitaux (RCRMC), infirmant une dĂ©cision de la Cour d’appel du QuĂ©bec selon laquelle le rĂ©gime excĂ©dait la compĂ©tence du gouvernement fĂ©dĂ©ral pour prendre des dĂ©cisions en matière de commerce.

Le RCRMC vise Ă  remplacer le rĂ©gime de rĂ©glementation des valeurs mobilières en place dans les rĂ©gions qui y participent par un cadre rĂ©glementaire unifiĂ©. 

Il comprend une loi modèle qui deviendrait la lĂ©gislation applicable dans l’ensemble des provinces et territoires participant, ainsi qu’une loi fĂ©dĂ©rale, permettant au gouvernement canadien de rĂ©glementer les risques systĂ©miques qui touchent les marchĂ©s des capitaux.

Dans l’absolu, le RCRMC instaurerait ce que John M. Tuzyk appelle [traduction] « un guichet unique », soit une approche pancanadienne unifiĂ©e de la rĂ©glementation des valeurs mobilières.

Toutefois, l’associĂ© dans le cabinet Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l., basĂ© Ă  Toronto, fait remarquer que certaines provinces n’ont pas acceptĂ© de participer au RCRMC.

Le rĂ©gime coopĂ©ratif est actuellement appuyĂ© par le gouvernement fĂ©dĂ©ral ainsi que par les gouvernements de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick, de l’ĂŽle-du-Prince-Édouard, de la Saskatchewan et du Yukon.

Ses dĂ©fenseurs disent du RCRMC qu’il va crĂ©er un système plus efficient pour les marchĂ©s des capitaux en simplifiant la rĂ©glementation afin de protĂ©ger les investisseurs et de gĂ©rer le risque systĂ©mique.

Cependant, des experts comme Me Tuzyk conviennent que le RCRMC devra surmonter maints obstacles quant Ă  sa mise en Ĺ“uvre et Ă  son fonctionnement Ă  l’avenir.

Contexte

L’idĂ©e d’un organe national de rĂ©glementation des valeurs mobilières existe depuis plus de 80 ans, dit Barbara Hendrickson, chef de la direction et fondatrice de BAX Securities Law Ă  Toronto.

« Il s’agit d’un domaine de rĂ©glementation dans lequel les gens demandent depuis longtemps que des changements soient faits », dit Mme Hendrickson, qui reconnaĂ®t que l’Association du Barreau canadien est l’un des chefs de file de la promotion de ce changement.

En 1935, la Commission royale d'enquĂŞte sur les Ă©carts de prix recommandait que le Canada Ă©tablisse une commission nationale des valeurs mobilières. Depuis lors, nombreuses ont Ă©tĂ© les tentatives de dĂ©veloppement d’un cadre pancanadien pour les marchĂ©s des capitaux. 

« Les organes provinciaux de rĂ©glementation des valeurs mobilières ont travaillĂ© pendant longtemps pour unifier leurs règles quant Ă  ce qui a Ă©tĂ© dĂ©crit comme des instruments nationaux », dĂ©clare Me Tuzyk.

En vertu de ce système, les organes provinciaux de rĂ©glementation des valeurs mobilières utilisaient un système de passeport accordant Ă  chaque Ă©metteur une « compĂ©tence principale », explique-t-il.

« L’idĂ©e derrière le système de passeport Ă©tait que les organes provinciaux de rĂ©glementation se fonderaient largement sur la gestion effectuĂ©e par l’organe de rĂ©glementation principal. Si vous faisiez affaire dans une province et qu’elle vous accordait une autorisation, une autre province se fierait largement Ă  cela et ne rĂ©aliserait pas d’enquĂŞte ou d’examen approfondi, sans pour autant abandonner sa compĂ©tence », explique Me Tuzyk.

Il ajoute que le rĂ©gime s’est fissurĂ© lorsque l’Ontario a refusĂ© de participer au système de passeport pour tenter d’amener le reste du Canada Ă  crĂ©er un organe national de rĂ©glementation des valeurs mobilières. 

Puis, en 2011, la Cour suprĂŞme du Canada a rejetĂ© la crĂ©ation d’un organe fĂ©dĂ©ral de rĂ©glementation des valeurs mobilières.

Ă€ l’Ă©poque, la Cour a conclu que le gouvernement fĂ©dĂ©ral ne possĂ©dait pas la compĂ©tence constitutionnelle nĂ©cessaire pour crĂ©er un organe national de rĂ©glementation puisque les provinces Ă©taient compĂ©tentes pour prendre les dĂ©cisions quotidiennes concernant les marchĂ©s des capitaux.

Andrea Laing, aussi associĂ©e dans le cabinet Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l., dĂ©clare qu’Ă  la lumière d’une lecture minutieuse de la dĂ©cision rendue par la Cour suprĂŞme du Canada en 2011, elle n’a pas Ă©tĂ© surprise par la dĂ©cision unanime rendue en 2018.

« Je ne considère pas les deux arrĂŞts comme Ă©tant diamĂ©tralement opposĂ©s », dit-elle. « Ă€ mon avis, la seconde dĂ©cision est fermement ancrĂ©e sur les bases posĂ©es en 2011 lorsque la Cour suprĂŞme a rejetĂ© l’idĂ©e de lĂ©gislation fĂ©dĂ©rale en matière de valeurs mobilières. »

La première affaire a posĂ© les bases d’un rĂ©gime coopĂ©ratif de rĂ©glementation des valeurs mobilières auquel participeraient le gouvernement fĂ©dĂ©ral et les gouvernements provinciaux en suggĂ©rant « qu’ils pourraient collaborer dans des domaines hors de leur compĂ©tence lĂ©gislative », dit Me Laing, qui exerce dans les domaines du contentieux des sociĂ©tĂ©s et du commerce Ă  Toronto.

DĂ©fis qui se posent au RCRMC

Les experts sont tous d’accord : mĂŞme si le RCRMC a Ă©tĂ© rĂ©putĂ© constitutionnel, il reste de nombreux obstacles Ă  surmonter.

Chacune des provinces qui souhaitent faire partie du cadre coopĂ©ratif de rĂ©glementation des valeurs mobilières devra dĂ©sormais adopter la lĂ©gislation normalisĂ©e qui remplacera les lois actuelles sur les valeurs mobilières. 

« Chaque rĂ©gion doit adopter une lĂ©gislation rigoureusement similaire Ă  celle des autres, sans quoi le rĂ©gime ne pourra pas fonctionner correctement », affirme Me Tuzyk.

Cela pourrait ĂŞtre difficile, dit Me Laing, « en raison d’un haut degrĂ© de renouvellement du leadership au palier provincial ».

« L’une des choses que nous attendons de voir, c’est si les provinces qui avaient, au dĂ©part, appuyĂ© le système coopĂ©ratif souhaitent continuer Ă  le faire », ajoute-t-elle.

En outre, le rejet de l’organe de rĂ©glementation des valeurs mobilières par certaines des provinces constitue l’une des principales difficultĂ©s prĂ©sentĂ©es par le RCRMC.

« Certaines provinces, principalement l’Alberta et le QuĂ©bec, ne voient pas d’un Ĺ“il très favorable la participation du gouvernement fĂ©dĂ©ral Ă  la rĂ©glementation des valeurs mobilières et souhaitent que ces activitĂ©s continuent Ă  relever exclusivement de la compĂ©tence provinciale », dit Me Tuzyk.

Me Hendrickson, qui a exercĂ© dans les domaines du droit des valeurs mobilières et des sociĂ©tĂ©s pendant plus de 20 ans, dĂ©crit le RCRMC sous sa forme actuelle comme une « collection de mesures disparates ».

« Les deux provinces rĂ©calcitrantes, soit l’Alberta et le QuĂ©bec, pourraient gĂŞner les efforts de crĂ©ation d’un rĂ©gime canadien de rĂ©glementation des valeurs mobilières », dit-elle. « Si vous considĂ©rez le Canada d’un point de vue international, vous allez devoir traiter avec trois entitĂ©s. »

Selon Me Tuzyk, il s’agit d’une difficultĂ© que devra surmonter le nouveau rĂ©gime de rĂ©glementation des valeurs mobilières.

« L’inconnu, c’est la mesure dans laquelle ce nouvel organe de rĂ©glementation harmonisera l’administration avec celles des provinces qui n’y participeront pas. Nous ne savons pas quelle sera l’interface entre le nouvel organe de rĂ©glementation et les provinces comme le QuĂ©bec et l’Alberta et les autres qui n’ont pas encore dĂ©cidĂ© de participer et dont il semble improbable qu’elles le fassent », dit-il. « Il y a un risque que la situation soit pire qu’avant que l’Ontario ne se retire du système de passeport. »

Carolynne Burkholder est avocate dans le cabinet Heather Sadler Jenkins LLP Ă  Prince George (Colombie-Britannique).