Réduction des hostilités? On sait maintenant ce que le nouveau régime d’offre publique d’achat signifie pour les fusions et acquisitions

  • 19 mai 2016
  • Ann MacAulay

Le Canada possède désormais un régime d’offre publique harmonisé grâce à la mise en œuvre, par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, de l’instrument national 62-104 intitulé « Offres publiques d’achat et de rachat » (Take-Over Bids and Issuer Bids). À partir du 9 mai, toutes les offres publiques d’achat non exonérées sont assorties d’une période d’offre de 105 jours, d’une exigence minimum d’offre de 50 % et d’une exigence de prorogation de 10 jours afin de permettre à d’autres parties prenantes de présenter une offre.

L’extension de la période minimum de dépôt pour les offres publiques d’achat (OPA) de 35  à 105 jours offre une période plus certaine en cas d’OPA hostile, égalisant « le pouvoir de négociation dont dispose le conseil visé face à une OPA hostile », déclare Frederic Duguay, du cabinet Hansell LLP à Toronto. « Cela donne au conseil de l’entreprise visée un meilleur délai pour évaluer l’offre, rechercher d’autres offres et présenter des recommandations à ses actionnaires quant à la question de savoir s’ils devraient accepter ou non cette offre particulière ou une solution de rechange stratégique proposée par le conseil. »

Deux exceptions limitent le délai accru pour présenter une offre : le conseil de l’entreprise visée peut publier un communiqué de presse indiquant que la période de dépôt des offres est plus courte, mais d’au moins 35 jours, et est acceptée par le conseil, ou il peut indiquer dans un communiqué de presse qu’il a convenu d’une transaction de rechange.

Les conseils ne seront plus tenus de mettre en place un régime de droits de souscription ou « pilule empoisonnée » pour gagner du temps. Par le passé, les initiateurs d’une OPA hostile s’adressaient généralement aux organes de réglementation afin de faire cesser le régime et pouvaient obtenir une ordonnance dans les 45 à 60 jours. Les nouvelles règles « codifient à toutes fins utiles les dispositions permises concernant l’offre communément présentes dans la pilule empoisonnée », affirme John Emanoilidis, codirecteur de la section axée sur les fusions et acquisitions de Torys LLP à Toronto.

Le fait de proroger la période légale de 35 jours générait souvent des incertitudes, mais les parties devraient désormais s’attendre à une période maximum de 105 jours. « Outre l’octroi de plus de temps, cela donne également au conseil visé un pouvoir supérieur de négociation avec l’initiateur de l’OPA hostile, car la modification de la règle a également octroyé au conseil la capacité de raccourcir cette période de 105 jours à 35 jours », déclare Me Emanoilidis.

Il prédit qu’un initiateur d’offre verra l’avantage d’une meilleure collaboration avec le conseil visé et tentera de négocier un marché amiable, car cela lui permettra de bénéficier d’un délai plus court. « Manifestement, une période plus longue accroît l’incertitude liée à la transaction puisque l’initiateur de l’OPA hostile se trouve exposé pendant plus longtemps à la possibilité de la conclusion d’une autre, plus favorable », dit-il. Il était « relativement facile pour un initiateur d’offre de passer outre le conseil et de simplement demander aux organes de réglementation de mettre fin à la pilule. » Un délai plus long peut également se traduire par des coûts de financement accrus.

La condition des 50 % répond à la préoccupation selon laquelle les actionnaires peuvent s’être sentis obligés de répondre à une offre, déclare Me Emanoilidis. « Et dans certains cas, en fonction du profil des actionnaires de l’entreprise cible, il sera très difficile, pour ne pas dire impossible, de concrétiser une OPA hostile si, par exemple, un actionnaire important s’y oppose. »

Me Duguay anticipe une réduction du nombre des OPA hostiles en raison de l’augmentation du temps et des conditions minimums applicables aux appels d’offres qui ne sont pas appuyées par le conseil ou la direction de l’entreprise cible. L’initiateur de l’offre fait face à une plus grande incertitude, car les conseils disposent de beaucoup plus de temps pour communiquer avec les actionnaires. « Vous souhaitez toujours réduire autant que possible cette incertitude liée à la transaction. Par conséquent, si vous pouvez collaborer avec la cible avant et parvenir à une fusion négociée appuyée par le conseil, cela élimine cette incertitude en grande partie. En tant qu’initiateur d’une OPA hostile, ce serait le résultat dont vous rêvez. »

Nombreux sont ceux qui pensaient que le régime antérieur favorisait les initiateurs d’offres. « Le conseil se retrouvait dans une posture difficile, devant rapidement tenter de produire une mise à prix ou trouver une transaction de rechange pour les actionnaires, car une transaction était déjà disponible, qui leur offrait une valeur », déclare Me Duguay. Et d’ajouter que les actionnaires d’une société se sentaient souvent obligés d’accepter une offre particulière étant donné qu’une autre transaction pourrait ne pas leur avoir offert une aussi bonne valeur.

Me Duguay effectuera un exposé (uniquement en anglais) intitulé Corporate Governance: The Role of Directors en collaboration avec Genevieve Pinto, du cabinet McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. à Vancouver, dans le cadre de la Série 2016 « Maîtres en pratique » proposée par l’ABC. Le programme de cette année, intitulé L’anatomie d’une transaction (Anatomy of a Deal  - offert uniquement en anglais), comporte 16 modules portant sur tous les aspects d’une opération de fusion et d’acquisition, examinée du début à la fin au moyen d’un scénario conçu par Jake Bullen, associé chez Cassels Brock & Blackwell.

Les modifications importantes apportées par le nouveau régime « atteignent le bon équilibre », affirme Me Emanoilidis, offrant aux conseils « un pouvoir plus réel pour négocier face à un initiateur d’OPA hostile, mais préservant en fin de compte le droit des actionnaires de décider collectivement de l’issue d’un appel d’offres dans un délai déterminé ».

Bien qu’il doute des répercussions qu’auront les changements sur l’activité globale dans ce domaine, il pense que les transactions « qui autrement auraient pu être hostiles pourraient commencer sur une base amiable plus tôt qu’avant, car les règles sont prévues pour encourager un initiateur d’OPA hostile à négocier ».

Cependant, d’autres juristes spécialisés dans les fusions et acquisitions soutiennent que le nouveau régime pourrait, en fait, encourager des mesures plus agressives. Les changements « pourraient se traduire par un recours accru à la course aux procurations et à des tactiques d’intimidation par les acquéreurs pour acquérir les émetteurs d’instruments dans des cas où ils l’auraient autrement fait par voie d’OPA hostile », selon ce qu’affirment Walied Soliman, Orestes Pasparakis et Trevor Zeyl dans un article publié uniquement en anglais sur le site Web de Norton Rose Fulbright S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Le décrivant comme un « régime plus strict applicable aux offres publiques d’achat », ils affirment qu’un acquéreur en puissance pourrait « avoir recours à des tactiques activistes plus traditionnelles pour effectuer une acquisition, tels que la mise en œuvre de campagnes d’agitation, le déclenchement de courses aux procurations ou l’utilisation de tactiques d’intimidation comme l’utilisation de “prises de l’ours” appuyées par les actionnaires (c’est-à-dire, la présentation d’une offre d’un prix excédant le cours de négociation afin de restreindre les options de la cible) ».

L’hypothèse selon laquelle le délai allongé diminuera le nombre des OPA hostiles n’a pas été confirmée. Et comme l’affirme Me Emanoilidis, « [L]es règles continuent à permettre aux actionnaires d’avoir le dernier mot quant au succès d’une offre. Par conséquent, les conseils disposeront de plus de temps et de pouvoirs accrus, mais à la fin de la période de 105 jours, si une majorité des actionnaires accepte la transaction, elle aura lieu ».

Ann MacAulay est rédactrice à Toronto.