O-Net, une cause « baromètre » pour l’examen d’investissements étrangers

  • 22 février 2016
  • Carolynne Burkholder-James

Une société chinoise, au cœur d’un décret en conseil plutôt mystérieux qui bloque des investissements en invoquant des considérations de sécurité nationale, demande à la Cour fédérale de se pencher sur la décision du gouvernement.

Joshua Krane, un expert en examen des investissements étrangers, affirme que de nombreux investisseurs étrangers surveillent de près le premier cas en litige de sécurité nationale du Canada.

En 2015, O-Net Communications Group Ltd., un développeur de composantes de réseautage optique issu de la Chine, a acquis pour le montant de cinq millions de dollars la société montréalaise ITF Technologies inc., qui se spécialise dans la fabrication de composantes et de modules optiques. Cependant, le Cabinet fédéral a émis au mois de juillet un décret en conseil en vertu duquel il exigeait qu’O-Net se départisse de la société canadienne dans les 180 jours.

Ce décret ne donnait pas les raisons derrière les préoccupations de sécurité nationale qui avaient motivé le gouvernement à prendre cette décision. Selon certains spécialistes, les produits que vend ITF Technologies inc. à l’armée canadienne pourraient constituer un facteur.

Selon Me Krane, un avocat de Toronto qui travaille chez Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L., s.r.l., la demande d’examen judiciaire d’O-Net, présentée au mois d’août 2015, sera un indicateur de tendance sur l’obligation qu’a le gouvernement de divulguer les motifs des décisions qu’il prend lorsqu’il est question de sécurité nationale.

Dans le cadre de cette demande, O-Net prétend que le gouvernement a enfreint son droit d’équité procédurale en ne dévoilant pas la raison de son inquiétude par rapport à la sécurité nationale. Entretemps, le gouvernement a défendu son silence et a refusé de révéler la raison pour laquelle il a ordonné à O-Net de se départir de la société.

O-Net n’a pas répondu à notre appel de commentaires pour le présent article.

Selon la Loi sur Investissement Canada, le gouvernement fédéral a le droit d’examiner les acquisitions d’entreprises canadiennes par des investisseurs ou sociétés sous contrôle étranger.

Si un investissement outrepasse un certain seuil monétaire, l’investisseur étranger doit présenter une demande d’approbation au gouvernement, qui examine ensuite l’investissement afin d’établir s’il représente un « avantage net » pour le Canada. Pour ce faire, il prend en considération divers facteurs, comme ses conséquences sur l’emploi, les exportations, l’innovation et la rémunération au Canada.

Le gouvernement approuve presque toujours un investissement en se fondant sur les plans et les engagements de l’investisseur étranger, dit Me Krane.

« Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des investissements au Canada sont approuvés », déclare-t-il.

Le dernier investissement étranger que le gouvernement a rejeté pour des raisons d’avantage net a eu lieu en 2010 lors de la tentative de prise de contrôle agressive de la Potash Corporation of Saskatchewan par BHP Billiton ltée.

Toutefois, un amendement de 2009 à la Loi sur Investissement Canada permet également au gouvernement fédéral d’examiner tout investissement étranger – indépendamment de son ampleur – en invoquant des questions de sécurité nationale.

Même si l’acquisition d’ITF Technologies inc. par O-Net n’était pas assez importante pour provoquer un examen de l’avantage net, elle a quand même été considérée comme « préjudiciable » à la sécurité nationale au vu de la Loi.

« Contrairement aux États-Unis, où la loi correspondante précise les critères ou les types d’investissements susceptibles de soulever des préoccupations en matière de sécurité nationale, la Loi sur Investissement Canada est vague. Voilà pourquoi nous ne savons pas ce qu’il adviendra de cette affaire », soutient Me Krane.

Omar Wakil, un associé de Torys S.E.N.C.R.L. de Toronto, est d’accord, mais affirme qu’en pratique l’approche du Canada en matière d’évaluation des risques de sécurité nationale est en harmonie avec celle des États-Unis. Par exemple, il faut partir du principe que le gouvernement examine l’investissement afin de déterminer s’il augmente la dépendance du Canada à des fournisseurs étrangers de biens ou de services essentiels.

Le gouvernement détermine également si l’acquisition étrangère pourrait entraîner un transfert de technologie ou d’expertise qui va à l’encontre des intérêts canadiens ou qui crée un risque d’espionnage ou de sabotage, explique Me Wakil.

L’affaire O-Net pourrait apporter des éclaircissements si la Cour fédérale ordonne au gouvernement d’étayer son raisonnement.

« O-Net est une cause dont la solution fait jurisprudence et qui permet de voir ce que les tribunaux sont prêts à faire », dit Joshua Krane. « Le manque de transparence de la Loi sur Investissement Canada a suscité de nombreux commentaires et les investisseurs se demandent souvent pourquoi le gouvernement prend telle ou telle décision. Cette affaire apportera des réponses à certaines questions concernant l’obligation du gouvernement de dévoiler les raisons de ses décisions de sécurité nationale. »

« Je crois que les investisseurs surveillent de près cette affaire », ajoute-t-il.

En outre, le changement de gouvernement fédéral lors de l’élection d’octobre 2015 pourrait avoir d’importantes répercussions sur les examens d’investissements étrangers.

« Selon ce que les dirigeants libéraux ont dit pendant la campagne, il existe une perception voulant que le Canada tente de faire preuve de plus d’ouverture envers les investisseurs étrangers », affirme-t-il. « Je crois qu’on attend du gouvernement qu’il accueille des investisseurs étrangers et je ne m’attends pas à ce qu’il adopte des règlements qui font obstacle aux investissements étrangers. »

Me Wakil, lui aussi expert en examen des investissements étrangers, ne croit pas que l’affaire O-Net mènera à une divulgation accrue des rouages internes du processus d’examen de sécurité nationale. Néanmoins, convient-il, il est probable que les libéraux adoptent une approche différente en matière d’investissements étrangers.

L’ancien gouvernement conservateur utilisait un « processus décisionnel centralisé » qui était dans une grande mesure motivé par des préoccupations que suscitaient la Chine et d’autres pays, précise Me Wakil.

« Bien que la politique des libéraux sur les investissements évoluera au fil du temps, des signes avant-coureurs donnent à penser qu’une approche différente sera adoptée. Justin Trudeau a dit qu’il ferait preuve d’ouverture à l’endroit des investissements mondiaux. »

Même si les déclarations de M. Trudeau à ce sujet s’articulent autour d’examens traditionnels de l’avantage net, Me Wakil s’attend à ce que le nouveau gouvernement préconise une approche de sécurité nationale distincte.

« Il est peu probable que le nombre d’examens change sous le règne des libéraux, mais il existe peut-être une plus grande volonté d’approuver les investissements à certaines conditions – plutôt que de les empêcher – en se fondant sur une évaluation nuancée des risques », affirme-t-il.

« Dans l’ensemble, explique Me Krane, le gouvernement doit trouver l’équilibre entre son désir d’attirer des investisseurs et la nécessité d’assurer la sécurité nationale. Cependant, tout bien considéré, le Canada a intérêt à encourager les investissements étrangers et je ne crois pas que cela va changer. »

Carolynne Burkholder-James est une ancienne journaliste et une avocate chez Heather Sadler Jenkins LLP, de Prince George (C.-B.).