Changements climatiques : le temps est aux normes de déclaration d’information

  • 22 fĂ©vrier 2016
  • Doug Beazley

L’accord de Paris pour le climat, adoptĂ© Ă  la fin 2015, connaĂ®t des lendemains difficiles dans les mĂ©dias : l’euphorie laisse soudain place au pessimisme, les critiques se dĂ©sintĂ©ressant maintenant de la portĂ©e de l’entente pour se pencher sur ses limites.

« Ne vous inquiĂ©tez pas, Ă©crivait une ONG amĂ©ricaine sur Twitter le 14 dĂ©cembre dernier, l’Accord de Paris est non contraignant – et donc inoffensif. »

Pas tout Ă  fait. Il est vrai que, contrairement au Protocole de Kyoto, l’Accord de Paris ne prĂ©voit aucune sanction pour les pays qui ne respectent pas leurs promesses de rĂ©duction des Ă©missions de carbone. Mais dans les faits, les sanctions de Kyoto Ă©taient tout aussi inopĂ©rantes. Selon Stepan Wood, professeur de droit de l’environnement Ă  la facultĂ© Osgoode Hall, l’Accord de Paris Ă©tant un document politique, c’est en clouant les coupables au pilori qu’on le fera appliquer.

Sous Kyoto, l’application se faisait de haut en bas. Alors, si on veut corriger le tir, il faut inverser l’approche – et c’est lĂ  que les tribunaux entrent en jeu.

Les simples citoyens et les ONG peuvent-ils recourir au système judiciaire pour demander des comptes aux gouvernements et aux sociĂ©tĂ©s quant Ă  leur empreinte carbone? Oui : la pratique existe dĂ©jĂ . En juin, la cour de district de La Haye a donnĂ© raison Ă  la fondation Urgenda, concluant que l’État nĂ©erlandais avait failli Ă  son devoir de diligence envers l’environnement en nĂ©gligeant de prendre des mesures adĂ©quates pour la rĂ©duction des Ă©missions. Elle a ordonnĂ© Ă  l’État de rĂ©duire les Ă©missions nationales d’au moins 25 % par rapport aux niveaux de 1990. Trois mois plus tard, la haute cour de Lahore accusait Ă  son tour le Pakistan de n’avoir pas mis en Ĺ“uvre sa politique sur les changements climatiques.

Si ces dĂ©cisions ont suscitĂ© beaucoup d’intĂ©rĂŞt dans le milieu du droit de l’environnement (surtout l’affaire Urgenda, un gouvernement s’y Ă©tant vu contraint par un tribunal d’appliquer sa propre politique), leur pertinence dans le cadre juridique canadien reste Ă  prouver. D’après John Terry, qui est associĂ© du cabinet Torys et enseigne le droit des changements climatiques Ă  l’UniversitĂ© de Toronto, l’un des principaux problèmes tient Ă  l’habituelle rĂ©ticence des juges canadiens Ă  intervenir dans les questions qu’ils estiment politiques.

« Peut-ĂŞtre est-ce dĂ» au fait que son pays se situe en majeure partie sous le niveau de la mer, mais le tribunal nĂ©erlandais a semblĂ© parfaitement sĂ»r de pouvoir rendre un jugement dans ce domaine, fait-il observer. Ici, une cause comme celle d’Urgenda est loin d’ĂŞtre gagnĂ©e d’avance. »

Un autre problème est celui de la causalitĂ© directe. Dans l’affaire Urgenda, les Pays-Bas ont Ă©tĂ© accusĂ©s d’avoir « agi avec nĂ©gligence envers la sociĂ©tĂ© », une notion absente du droit canadien.

« Le cĹ“ur du problème, quand on opte pour la dĂ©marche judiciaire, c’est de dĂ©montrer le lien entre la cause et l’effet, explique Stepan Wood. Nous n’en sommes pas encore lĂ . Au Canada, l’État ne peut ĂŞtre reconnu coupable de manquement Ă  son devoir de diligence du fait de ses politiques – seulement de ses actions. »

Le jugement Urgenda Ă©tait aussi fondĂ© en partie sur le droit constitutionnel des NĂ©erlandais Ă  un environnement propre : un droit sans Ă©quivalent chez nous.

NĂ©anmoins, il existe d’autres avenues pour protester contre les gouvernements et les entreprises qui nĂ©gligent leurs responsabilitĂ©s environnementales. Certains affirment qu’on pourrait invoquer la loi sur la nuisance publique Ă  cet effet, ce qui ne règle toujours pas le problème de la preuve des dommages ou prĂ©judices directs. Our Children’s Trust, une ONG amĂ©ricaine, poursuit actuellement le gouvernement fĂ©dĂ©ral et les États de son pays dans le but de les obliger Ă  intensifier leur lutte contre les changements climatiques; elle s’appuie sur la doctrine du mandat public de la common law amĂ©ricaine, en vertu de laquelle le gouvernement peut ĂŞtre tenu responsable d’actions ayant une incidence sur les biens naturels communs. Cependant, l’angle du mandat public ne pèse pas bien lourd dans la jurisprudence canadienne : tout comme l’argument de la nuisance publique, il est toujours en attente d’une cause type.

De leur cĂ´tĂ©, Stepan Wood et d’autres soutiennent que le meilleur moyen d’obliger les Ă©metteurs Ă  respecter leurs engagements est d’exploiter le facteur le plus puissant dans les relations humaines : l’argent.

Ă€ l’heure actuelle, les changements climatiques et la gestion des risques d’entreprise sont d’ailleurs des sujets brĂ»lants dans le domaine du droit des valeurs mobilières. L’automne dernier, Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, a proposĂ© la rĂ©daction d’un code de divulgation volontaire ayant pour but d’informer les investisseurs de l’intensitĂ© des effets (ou de la menace) du rĂ©chauffement planĂ©taire sur leur investissement. Ă€ titre de prĂ©sident du Conseil de stabilitĂ© financière du G20, il a confiĂ© la direction du projet Ă  Michael Bloomberg, ex-maire de New York.

Les changements climatiques peuvent dĂ©prĂ©cier une sociĂ©tĂ© de bien des façons. Par exemple, les plafonds d’Ă©mission imposĂ©s par les États peuvent gruger les bĂ©nĂ©fices ou, dans le secteur de l’Ă©nergie, empĂŞcher l’exploitation de ressources de carbone. Les conditions mĂ©tĂ©orologiques extrĂŞmes, elles, peuvent endommager les infrastructures, ou encore entraver l’approvisionnement en matières entrantes comme l’eau.

Ainsi, les sociĂ©tĂ©s qui nient ou minimisent ces risques pourraient devenir les cibles de campagnes de dĂ©sinvestissement ou de poursuites – ce qui pourrait affaiblir le cours de leur action et donner lieu par la suite Ă  des recours collectifs, s’il peut ĂŞtre prouvĂ© que les dirigeants n’ont pas jouĂ© franc-jeu avec leurs actionnaires.

En 2009, Laura Zizzo fondait le premier cabinet d’avocats canadien spĂ©cialisĂ© dans les changements climatiques. Aujourd’hui, elle dirige Zizzo Strategy, une sociĂ©tĂ©-conseil qui aide les entreprises Ă  se prĂ©munir contre les retombĂ©es de ces changements. Selon elle, très peu de sociĂ©tĂ©s canadiennes ont une « comprĂ©hension profonde » de l’incidence du rĂ©chauffement planĂ©taire sur leurs responsabilitĂ©s envers leurs actionnaires.

« L’idĂ©e d’obliger les sociĂ©tĂ©s Ă  dĂ©clarer leur exposition aux changements climatiques semble effectivement en attirer plus d’un, note-t-elle. On pourrait voir naĂ®tre des actions collectives en matière de valeurs mobilières, ou encore des mesures rĂ©glementaires provinciales. »

Au Canada, les entreprises sont gĂ©nĂ©ralement tenues de signaler les risques importants qui guettent l’investissement de leurs actionnaires, mais les risques dĂ©coulant des changements climatiques sont mal dĂ©finis. En 2010, les AutoritĂ©s canadiennes en valeurs mobilières ont bien publiĂ© un avis pour rappeler aux entreprises l’importance de divulguer ces risques. Le hic, c’est que la loi sur les valeurs mobilières relève des provinces, et non du fĂ©dĂ©ral. Il n’existe aucune norme nationale, et l’administration canadienne ne semble guère animĂ©e d’une volontĂ© d’en adopter une dans l’immĂ©diat.

Pour sa part, le secteur de l’Ă©nergie semble voir se dessiner une sorte de norme nationale de dĂ©claration contraignante. « Un certain alignement des provinces serait nĂ©cessaire, croit Alex Ferguson, vice-prĂ©sident aux politiques Ă  l’Association canadienne des producteurs pĂ©troliers. Selon moi, l’Ă©tablissement d’un ensemble de règles Ă  l’Ă©chelle nationale serait bien accueilli [par l’industrie de l’Ă©nergie]. Mais il faudrait s’assurer de les comparer Ă  celles de [la Securities and Exchange Commission des États-Unis]. »

Stepan Wood abonde dans le mĂŞme sens : la solution passe selon lui par la crĂ©ation d’une norme nationale ayant force exĂ©cutoire, menĂ©e par le gouvernement fĂ©dĂ©ral. « Il faut Ă©viter de placer les entreprises bien intentionnĂ©es dans une position risquĂ©e. »

Doug Beazley est journaliste Ă  Ottawa.