Selon Alex Johnston, directrice administrative de Catalyst Canada, la nouvelle rĂ©glementation qui oblige les entreprises Ă divulguer le nombre de femmes siĂ©geant Ă leur conseil d’administration est un premier pas dans la bonne direction pour l’Ă©galitĂ© des sexes.
En dĂ©cembre 2014, les organismes de rĂ©glementation des valeurs mobilières de sept provinces et de deux territoires ont mis en Ĺ“uvre la nouvelle politique de divulgation du ratio homme-femme dans les conseils d’administration. Les personnes morales du Manitoba, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, du Nunavut, de l’Ontario, du QuĂ©bec, de la Saskatchewan, de Terre-Neuve-et-Labrador et des Territoires du Nord-Ouest doivent dĂ©sormais rendre publiques leurs politiques internes sur la reprĂ©sentation des femmes dans leur conseil.
Cette politique – Mme Johnston parle du modèle « se conformer ou s’expliquer » – doit s’attaquer Ă la sous-reprĂ©sentation des femmes dans les conseils d’administration : selon les estimations actuelles, la gent fĂ©minine occupe de 10 Ă 20 pour cent des sièges au Canada.
Mme Johnston dit observer déjà un « changement notable, dû en partie à la nouvelle réglementation ».
« Les entreprises doivent rendre compte de leurs objectifs et de leurs stratĂ©gies Ă ce chapitre. Si elles ne peuvent les divulguer, elles doivent en expliquer les raisons, prĂ©cise Mme Johnston, qui siège par ailleurs au conseil d’administration de Desjardins Groupe d’assurances gĂ©nĂ©rales. Je crois que c’est une première Ă©tape rĂ©ussie et que c’Ă©tait la bonne dĂ©cision pour nous, au Canada. »
Au cours des six premiers mois, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario a reçu près de 1 000 divulgations. Dans un discours prononcĂ© en juin devant la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, Howard Weston, prĂ©sident de la Commission, a expliquĂ© que la politique ne visait pas « la simple divulgation. Elle vise Ă favoriser un dialogue constructif dans les plus hautes sphères, parmi les dirigeants des grandes sociĂ©tĂ©s du pays. »
Les rĂ©sultats variaient notablement aux dires de M. Weston, que nous n’avons pu rencontrer en entrevue.
« Au premier coup d’Ĺ“il, nous avons constatĂ© que certaines sociĂ©tĂ©s fournissaient non seulement des renseignements complets, mais avaient Ă©galement une bonne reprĂ©sentation fĂ©minine aux postes de commande et se montraient prĂŞtes Ă se fixer des objectifs plus ambitieux pour s’amĂ©liorer sans cesse, a-t-il soulignĂ© dans son discours. Mais il y en a d’autres qui se contentent, au mieux, de respecter techniquement l’exigence de divulgation et qui ne reflètent pas notre objectif ni les rĂ©sultats attendus. »
C’est ce qui inquiète la sĂ©natrice CĂ©line Hervieux-Payette, qui juge qu’on en fait trop peu pour atteindre la paritĂ© et que les organismes de rĂ©glementation des valeurs mobilières n’ont pas adoptĂ© la bonne stratĂ©gie.
« On l’a essayĂ© ailleurs et ça n’a rien donnĂ© », commente Mme Hervieux-Payette, auteure d’un projet de loi d’initiative parlementaire visant Ă augmenter la reprĂ©sentation des femmes dans les conseils d’administration.
De nombreux pays ont testé différentes approches en ce sens.
La Norvège, que beaucoup considèrent comme le chef de file en la matière, a abandonnĂ© la divulgation volontaire depuis un bon moment, au profit des quotas. Depuis 2008, la loi oblige la plupart des sociĂ©tĂ©s ouvertes Ă compter au moins 40 pour cent de femmes dans leurs conseils d’administration, Ă dĂ©faut de quoi elles risquent des sanctions pouvant aller jusqu’Ă la dissolution.
L’Espagne, la France, l’Islande, les Pays-Bas, l’Italie et la Belgique ont aussi adoptĂ© des lois exigeant une meilleure reprĂ©sentation fĂ©minine dans les conseils. En Australie, comme au Canada, c’est le modèle « se conformer ou s’expliquer » qui prĂ©vaut.
« Il existe trois Ă©coles de pensĂ©e dans le monde : la formule « se conformer ou s’expliquer » du Canada, les quotas de la Scandinavie et de certains pays d’Europe, et l’approche volontaire du Royaume-Uni, explique Mme Johnston. Chacune d’elles produit des rĂ©sultats, la fixation d’objectifs Ă©tant le dĂ©nominateur commun. En encourageant les entreprises Ă adopter des objectifs et Ă les atteindre, nous avons parcouru la plus grande partie du chemin. »
Le mouvement pour la paritĂ© des sexes n’est pas qu’une question d’Ă©galitĂ© : de nombreuses Ă©tudes font Ă©tat d’une rentabilitĂ© avantageuse lorsque les femmes s’en mĂŞlent. Dans ses propres analyses des Ă©tudes disponibles, Catalyst, un organisme sans but lucratif qui soutient la prĂ©sence des femmes en affaires, a observĂ© que parmi les 500 premières entreprises des États-Unis, celles comptant plus de femmes dans leur conseil d’administration dament le pion Ă leurs rivales.
Cela n’Ă©tonne pas Mme Hervieux-Payette, selon qui « notre Ă©conomie se porterait mieux » si les femmes Ă©taient davantage reprĂ©sentĂ©es.
Selon les Ă©tudes, les entreprises gagnaient les avantages suivants : hausse de la croissance boursière, meilleure rentabilitĂ© d’exploitation et moindre risque d’insolvabilitĂ©.
« On parle de plus en plus d’Ă©quipes fortes et de l’importance de la prise de dĂ©cisions; il faut encourager les dĂ©bats et les discussions. La diversitĂ© des opinions y fait pour beaucoup, souligne Mme Johnston. Il n’y a pas de domaine oĂą les femmes et les hommes ont des opinions et des expĂ©riences diamĂ©tralement opposĂ©es. Ils ont beaucoup de points en commun. Mais il est bon d’avoir des perspectives variĂ©es sur un sujet, et la reprĂ©sentation des deux sexes y contribue grandement. »
Susan B. Barber, c.r., prĂ©sidente du conseil d’administration de SaskEnergy et ex‑prĂ©sidente du conseil d’administration de l’UniversitĂ© de Regina, affirme que le mouvement en faveur d’une meilleure reprĂ©sentation des femmes a sa place.
« Quand le conseil d’administration est formĂ© d’un groupe homogène – on a en tĂŞte une majoritĂ© d’hommes blancs d’âge mĂ»r –, il risque d’y avoir consensus sur les dĂ©cisions, explique-t-elle. Selon moi, la diversitĂ© des points de vue, qui rĂ©sulte de la diversitĂ© des sexes, ne peut que dĂ©velopper la pensĂ©e critique et mener Ă des approches variĂ©es quand vient le temps d’Ă©tudier un problème ou d’analyser une question. »
Mme Barber, associĂ©e chez McDougall Gauley LLP Ă Regina, croit que l’augmentation du nombre de femmes dans les conseils d’administration amènera la prise de meilleures dĂ©cisions.
« Je ne suis pas vraiment en faveur des quotas, mais je souhaite sincèrement qu’on porte une attention plus soutenue Ă la reprĂ©sentation fĂ©minine dans les conseils d’administration », ajoute-t-elle.
Carolynne Burkholder-James est avocate adjointe chez Heather Sadler Jenkins LLP à Prince George, en Colombie-Britannique. Elle contribue régulièrement à EnPratique.