Le mot d’ordre en droit des affaires pour 2015 : marcher droit

  • 01 dĂ©cembre 2014
  • Becky Rynor

En 2015, les cabinets d’avocats peuvent s’attendre Ă  ĂŞtre sous la loupe plus que jamais. Autant celle de leurs clients, qui exerceront des pressions sur les prix, que celle des pouvoirs publics et des autoritĂ©s internationales, qui resserrent les règles contre la corruption. PrĂ©visions de quatre acteurs spĂ©cialisĂ©s en droit des sociĂ©tĂ©s et en droit commercial.

Elizabeth Maiden, associée chez Soloway Wright, s.r.l., Ottawa

Droit des copropriĂ©tĂ©s, droit des affaires, droit des sociĂ©tĂ©s, droit immobilier et droit de l’amĂ©nagement immobilier

La formule des honoraires hybrides « deviendra une rĂ©alitĂ© Ă©conomique » en 2015, sous l’influence des clients qui rĂ©clament des honoraires fixes ou des tarifs pondĂ©rĂ©s.

« Les grandes entreprises, qui dĂ©pensent une fortune en services juridiques, veulent Ă©conomiser. Nos clients nous demandent maintenant des devis. Avant, on recevait un dossier, on se mettait Ă  travailler, et on facturait sans se poser de questions. Aujourd’hui, on nous demande de prĂ©parer des soumissions, et on nous met en concurrence avec d’autres cabinets. »

Selon Elizabeth Maiden, c’est un « vĂ©ritable dĂ©fi » : « Chaque cabinet a son rĂ©gime de rĂ©munĂ©ration, et les nouvelles formules de facturation compliquent les choses : comment adapter la rĂ©munĂ©ration des avocats Ă  la facturation d’honoraires fixes, compte tenu des Ă©carts potentiellement importants entre le montant annoncĂ© et le travail effectivement rĂ©alisĂ©? »

« On en est lĂ , et les avocats qui pensent pouvoir s’en tenir Ă  la tarification horaire sans se prĂ©occuper de cette nouvelle rĂ©alitĂ© risquent de perdre des clients. »

Barbara Hendrickson, fondatrice de BAX Securities Law, Toronto

Depuis la rĂ©cession, les clients surveillent leurs factures, et les mandats auparavant confiĂ©s aux grands cabinets atterrissent aujourd’hui sur le bureau des cabinets plus modestes. Selon Barbara Hendrickson, c’est une tendance qui perdurera pour deux raisons : d’abord, les avocats d’expĂ©rience choisissent ces cabinets parce que « les grands n’ont pas les moyens de les retenir »; ensuite, les clients de ces cabinets ne veulent pas payer le gros prix associĂ© aux grandes firmes.

« Les clients se rendent compte qu’ils auront accès Ă  la mĂŞme expĂ©rience, Ă  un moindre coĂ»t, chez les cabinets plus modestes, parce que ceux-ci ont moins de coĂ»ts indirects. Certaines affaires, au Canada, seront toujours confiĂ©es aux gros cabinets, en raison des assurances ou de l’effectif qu’il faut mettre Ă  contribution pour une transaction importante devant ĂŞtre conclue rapidement … Mais bien des dossiers portant sur les valeurs mobilières ou les finances d’entreprises ne requièrent pas forcĂ©ment un bataillon d’avocats. C’est pourquoi, Ă  mon avis, la tendance se gĂ©nĂ©ralisera. »

Me Hendrickson constate elle aussi que « les clients veulent des garanties. Ils veulent savoir d’avance combien ils paieront,  ils ne veulent payer que pour le travail strictement nĂ©cessaire, et ils ne sont plus prĂŞts Ă  assumer les frais de la formation des stagiaires et des avocats dĂ©butants. »

John Boscariol, chef du groupe du droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy TĂ©trault, s.r.l., Ottawa

Selon John Boscariol, en 2015, les entreprises canadiennes se prĂ©occuperont davantage des lois anticorruption et des problèmes de corruption Ă  l’Ă©tranger.

« Ă€ l’Ă©chelle internationale, on rejette dĂ©sormais l’adage voulant qu’« Ă  Rome, on fait comme les Romains », prĂ©cise-t-il. On reconnaĂ®t que la corruption n’est pas seulement le fait des habitants des pays en dĂ©veloppement qui demandent des pots-de-vin, mais aussi celui des entreprises qui jouent le jeu. »

Il mentionne des mesures rĂ©centes, notamment le dĂ©pĂ´t de la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif du Canada, l’adoption d’une politique de responsabilitĂ© sociale des entreprises en novembre, et la dĂ©cision prise par le G20 de rendre obligatoire  la divulgation publique de la propriĂ©tĂ© des entreprises.

Les lois qui interdisent de se livrer Ă  des activitĂ©s de corruption Ă  l’Ă©tranger existent depuis 1999, mais on n’a commencĂ© Ă  les appliquer que rĂ©cemment, selon Me Boscariol. L’amende de 9,5 millions de dollars, imposĂ©e Ă  l’entreprise Niko Resources de Calgary en 2011 pour avoir soudoyĂ© des agents publics au Bangladesh, a fait bouger les choses.

« C’est ce qui a rĂ©veillĂ© les directions d’entreprises canadiennes, Ă  tel point qu’aujourd’hui, je crois que la corruption est le premier souci des directions et des conseils d’entreprises qui lorgnent les marchĂ©s internationaux ou qui examinent leurs activitĂ©s dans d’autres pays, particulièrement les pays en dĂ©veloppement. On est de plus en plus attentif aux risques de corruption, et c’est pourquoi je crois que ce sera un sujet chaud de l’annĂ©e Ă  venir. »

Le Canada « est au cĹ“ur de l’orage » Ă©tant donnĂ© l’ampleur de son secteur d’extraction, notamment dans le domaine minier : plus de 50 % des entreprises minières multinationales y ont leur siège. Le gouvernement canadien s’attaque au problème pour protĂ©ger sa rĂ©putation, en faisant en sorte que ces entreprises respectent les règles.

« On ne peut plus faire semblant de ne rien voir. La tendance est internationale, et le gouvernement essaie de monter dans le train en marche », commente Me Boscariol. Mais il agit aussi sous la pression des États-Unis, de l’Organisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomiques, de Transparency International et d’autres organisations non gouvernementales, qui le surveillent de près compte tenu de son importance dans le secteur de l’extraction.

Kristine Robidoux, associée chez Gowling, Lafleur, Henderson, s.r.l., Calgary

Éthique et conformité des entreprises, criminalité en col blanc

Selon Kristine Robidoux, la principale tendance en 2015 consistera, pour les entreprises, Ă  « prendre l’initiative d’autoĂ©valuer leurs risques et leur conformitĂ©, parce que l’Ă©thique est profitable en affaires ».

Elle soupçonne les administrateurs d’avoir volontairement fermĂ© les yeux sur la façon dont Ă©taient gĂ©rĂ©es les affaires Ă  l’Ă©tranger; ils Ă©taient prĂŞts Ă  croire le personnel sur place qui leur assurait qu’il n’y avait rien d’illĂ©gal ou que c’Ă©tait tout simplement la façon de faire lĂ -bas. Cette Ă©poque est maintenant rĂ©volue, et les conseils veulent des garanties que leurs programmes de conformitĂ© sont respectĂ©s.

« D’après ce que je vois, les conseils sont de plus en plus courageux. Ils veulent ĂŞtre tenus au courant du meilleur et du pire. Des entreprises nous demandent de nous rendre sur le terrain, de poser des questions et de procĂ©der Ă  des vĂ©rifications. Nous devons donc souvent mener de vĂ©ritables enquĂŞtes. »

« Les entreprises reconnaissent qu’elles ne peuvent pas se permettre de se voiler la face. Les risques de dĂ©nonciation n’ont jamais Ă©tĂ© aussi grands. D’ailleurs, les organismes d’application de la loi sont mieux Ă©quipĂ©s qu’avant et ont de plus en plus de moyens. »

Becky  Rynor est une journaliste pigiste Ă  Ottawa.