Organisme national de réglementation : ce sont les détails qui posent problème

  • 01 dĂ©cembre 2014
  • Doug Beazley

Avant 2008, l’idĂ©e d’un organisme national de rĂ©glementation des valeurs mobilières tendait Ă  ĂŞtre assimilĂ©e Ă  la rĂ©forme du SĂ©nat et autres problèmes de nature quasi-constitutionnelle : ce n’Ă©tait pas la reconnaissance du besoin qui amenait la plupart Ă  se dĂ©rober, mais bien les obstacles politiques.

Le Canada est le seul grand pays industrialisĂ© qui ne possède pas d’organisme national de rĂ©glementation. Alors que les autres en ont un, nous en avons…13! Au fil des 50 dernières annĂ©es, cinq groupes d’experts ont prĂ´nĂ© la crĂ©ation d’un organisme national de rĂ©glementation. Pourtant, rien de tel qu’une bonne crise pour forcer les esprits Ă  se concentrer : l’idĂ©e a vraiment pris de l’Ă©lan après l’effondrement mondial du marchĂ© en 2007-2008.

En 2011, la Cour suprĂŞme a dĂ©clarĂ© que le gouvernement fĂ©dĂ©ral ne possĂ©dait pas la compĂ©tence constitutionnelle nĂ©cessaire pour crĂ©er par lui-mĂŞme un organisme de rĂ©glementation. Feu le ministre des Finances, Jim Flaherty, a rĂ©pondu avec un compromis, dirigeant les efforts pour amener les gouvernements provinciaux Ă  adopter une loi commune sur les valeurs mobilières, appelĂ©e la Loi provinciale sur les marchĂ©s des capitaux (LPMC), et Ă  dĂ©lĂ©guer leur compĂ©tence Ă  un organisme commun de rĂ©glementation, l’AutoritĂ© de rĂ©glementation des marchĂ©s des capitaux (ARMC), tandis que le gouvernement fĂ©dĂ©ral allait promulguer sa propre lĂ©gislation, la Loi sur la stabilitĂ© des marchĂ©s des capitaux (LSMC), pour couvrir les questions relevant de la compĂ©tence fĂ©dĂ©rale. Le tout Ă©tait regroupĂ© dans un protocole d’accord signĂ© par cinq provinces, soit l’Ontario, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick et l’ĂŽle-du-Prince-Édouard, et offert aux commentaires des parties prenantes.

C’est lĂ  le stade charnière oĂą se trouve le processus Ă  l’heure actuelle.

Alors que la lĂ©gislation est fondĂ©e sur les lois provinciales en matière de valeurs mobilières, la LPMC et la LSMC sont ce qu’il est convenu d’appeler des projets de loi « cadres », dont la portĂ©e est limitĂ©e aux grandes lignes de politique, les dĂ©tails devant ĂŞtre arrĂŞtĂ©s plus tard au moyen de règlements. (Ces règlements devraient ĂŞtre publiĂ©s au dĂ©but de l’annĂ©e prochaine.)

Toutefois, ces dĂ©tails encore inexistants posent des problèmes considĂ©rables. L’Association du Barreau canadien est l’une des organisations qui ont Ă©tĂ© invitĂ©es Ă  commenter sur la lĂ©gislation. Un comitĂ© de l’ABC consacre la plus grande partie de son projet de commentaire (.pdf) au sujet des projets de loi Ă  s’Ă©lever contre leur frustrant manque de prĂ©cision, spĂ©cialement concernant les dĂ©tails de la portĂ©e et de la forme de l’exercice des pouvoirs de l’ARMC.

« Ce qui manque, c’est une explication des raisons pour lesquelles ces gouvernements proposent une grande partie de ces modifications, une explication de ce vers quoi ils tendent », dĂ©clare Glen Johnson, qui exerce le droit des valeurs mobilières chez Torys LLP. « Il semble que le lĂ©gislateur ait pensĂ© “dotons-nous de tous les outils dont nous pensons pouvoir avoir besoin Ă  un moment donnĂ© et passons aux dĂ©tails plus tard”. »

Prenez la collecte de renseignements par exemple, un Ă©lĂ©ment essentiel de la proposition du rĂ´le attribuĂ© au gouvernement fĂ©dĂ©ral pour anticiper les menaces pour les marchĂ©s des valeurs mobilières. L’article 10 de la LSMC accorde Ă  l’organisme de rĂ©glementation le pouvoir d’exiger la production de dossiers ou de donnĂ©es en tout temps afin « de surveiller les activitĂ©s dans les marchĂ©s des capitaux ou de repĂ©rer, de cerner ou d’attĂ©nuer les risques systĂ©miques liĂ©s Ă  ces marchĂ©s. »

« Mais qu’est-ce que cela signifie? », demande Nicholas Dobbek, qui exerce le droit des valeurs mobilières chez Wildeboer Dellelce LLP. « Selon cet article, l’organisme de rĂ©glementation peut recueillir des renseignements auprès de quiconque, qu’il s’agisse d’une entitĂ© rĂ©glementĂ©e ou non, et sans Ă©gard Ă  ses liens avec les marchĂ©s des capitaux. Aucun renvoi aux règlements ne fournit de prĂ©cision. Ce pouvoir semble très vaste. »

Le comitĂ© de l’ABC souhaite qu’il existe de stricts contrĂ´les quant Ă  l’utilisation de l’article 10 afin que, comme l’indique son mĂ©moire : « l’AutoritĂ© ne puisse pas s’en servir comme moyen pour circonvenir les garde-fous prĂ©vus », avant de poursuivre : « Toute  exception aux exigences de traitement des renseignements n’ayant pas un caractère public comme des renseignements confidentiels devrait ĂŞtre expressĂ©ment Ă©noncĂ©e dans la loi et non perdue au sein de la rĂ©glementation ».  Le comitĂ© souhaite que les autoritĂ©s chargĂ©es d’appliquer la loi prĂ©sentent des demandes Ă©crites d’accès aux renseignements recueillis par l’AutoritĂ© en vertu de la LSMC, et que le gouvernement fĂ©dĂ©ral y inscrive des garde-fous pour protĂ©ger les renseignements confidentiels communiquĂ©s Ă  des parties Ă  l’Ă©tranger.

Les pouvoirs Ă©noncĂ©s dans la deuxième partie de la LSMC, confèrent Ă  l’AutoritĂ© (en consultation avec un Conseil des ministres) la compĂ©tence pour dĂ©clarer tout système de nĂ©gociation, chambre de compensation, organisme de notation, indice de rĂ©fĂ©rence, intermĂ©diaire, valeur mobilière ou instrument dĂ©rivĂ© comme Ă©tant « d’importance systĂ©mique », lui octroyant par consĂ©quent un vaste pouvoir de rĂ©glementation allant des niveaux de garanties et de liquiditĂ©s Ă  la divulgation publique. Le comitĂ© de l’ABC souhaite que ces articles de la Loi accordent expressĂ©ment aux parties affectĂ©es par ces pouvoirs le droit de prĂ©senter des observations Ă  l’AutoritĂ©.

L’article 10 de la LPMC, quant Ă  lui, Ă©nonce que toute partie prenante au marchĂ©, sur demande « est tenue de fournir Ă  l’AutoritĂ©, […], tout renseignement, dossier ou chose en sa possession ou sous son contrĂ´le » connexe Ă  la rĂ©glementation du marchĂ©. L’article ne laisse aucune place au secret professionnel de l’avocat, ce qui prĂ©occupe gravement les membres de l’ABC qui ont examinĂ© le texte. « Pourrait-il ĂŞtre utilisĂ© contre les avocats? », a demandĂ© Me Johnson. « Le lĂ©gislateur a toujours Ă©tĂ© très respectueux des revendications quant au secret professionnel. »

Les articles 64 et 65 de la LPMC interdisent la manipulation d’un indice de rĂ©fĂ©rence, soit le prix utilisĂ© par les acteurs du marchĂ© pour fixer les prix pour d’autres opĂ©rations pour la mĂŞme marchandise ou devise. Cela a pour but d’Ă©viter qu’une situation comme celle du scandale LIBOR en 2012 ne se reproduise aujourd’hui. Cependant, l’un des juristes siĂ©geant au comitĂ© de l’ABC dĂ©clare que la Loi est trop  gĂ©nĂ©rale.

« Si vous ĂŞtes un simple employĂ© Ă  la saisie des donnĂ©es dans une sociĂ©tĂ© de stockage de pĂ©trole, on ne peut pas s’attendre que vous sachiez si les donnĂ©es sont utilisĂ©es pour manipuler un indice de rĂ©fĂ©rence », dĂ©clare Dan McElroy, qui exerce le droit des valeurs mobilières chez DuMoulin Black. « Une dĂ©fense de prĂ©visibilitĂ© devrait ĂŞtre inscrite dans cet article. »

D’aucuns au sein de la communautĂ© juridique remettent en question la compĂ©tence de l’AutoritĂ© pour imposer des sanctions. Jeffrey MacIntosh, titulaire de la chaire du TSE en droit des marchĂ©s des capitaux Ă  l’universitĂ© de Toronto, est probablement le critique suprĂŞme du moment. « (La CMSA) donne Ă  l’organisme national de rĂ©glementation le pouvoir de dĂ©cider qu’il existe des motifs raisonnables pour conclure qu’un acteur du marchĂ© a enfreint la loi, et d’ordonner Ă  la sociĂ©tĂ© contrevenante de payer une amende allant jusqu’Ă  5 millions de dollars, ou 1 million de dollars s’agissant d’un particulier », dit-il. « Vous disposez de 30 jours pour rĂ©pondre. En l’absence de contestation de votre part, vous ĂŞtes tenu de payer.

C’est une lourde amende imposĂ©e sans audition. Et rien dans la lĂ©gislation n’exige la tenue d’une audience. »

En fin de compte, toutes ces prĂ©occupations ont le mĂŞme fondement : Tout dĂ©pend de ce qui va ĂŞtre inscrit dans les règlements. Selon un porte-parole du ministère des Finances, les parties prenantes disposeront d’une certaine pĂ©riode pour commenter les règlements, mais sa durĂ©e reste Ă  dĂ©terminer.

« Il faudrait que la consultation dure au moins encore 30 Ă  60 jours, juste en ce qui concerne les règlements », dĂ©clare Noah Arshinoff, avocat de l’ABC.

« Pour le moment, les organismes de rĂ©glementation provinciaux connaissent leurs rĂ´les et l’Ă©tendue de leur collaboration. Tout va changer. Il nous faut donc des certitudes. »

Doug Beazley est un journaliste basé à Ottawa.

N.d.T. Toutes les citations autres que les articles des lois reproduites dans cet article sont des traductions des citations originales en anglais.