PrĂ©venir la fraude hypothĂ©caire commerciale : « Il faut s’attacher aux dĂ©tails »

  • 01 mai 2013
  • Becky Rynor

La manƓuvre est audacieuse et risquĂ©e, mais plus facile qu’il n’y paraĂźt si les avocats et les prĂȘteurs ne font pas attention aux « drapeaux rouges » signalant une fraude hypothĂ©caire commerciale, prĂ©viennent les experts juridiques et financiers.

« Un nouveau phĂ©nomĂšne que nous avons remarquĂ© rĂ©cemment et qui donne un peu la chair de poule est celui des fraudes impliquant des biens commerciaux Ă  prix Ă©levĂ© », lance Dan Pinnington, vice-prĂ©sident Ă  la PrĂ©vention des rĂ©clamations et aux Relations avec les parties prenantes chez LawPRO, une compagnie ontarienne d’assurance responsabilitĂ© civile pour avocats. Il se rappelle qu’en 2007, les fraudes hypothĂ©caires impliquaient gĂ©nĂ©ralement des biens dont la valeur se situait entre 150 000 $ et 300 000 $. Aujourd’hui, les fraudeurs semblent avoir des vues sur des Ă©lĂ©ments plus onĂ©reux de l’immobilier commercial.

« Maintenant, on parle de biens valant entre 1 et 2 millions $, pour lesquels les fraudeurs changent ou utilisent les renseignements sur l’identitĂ© d’une sociĂ©tĂ©. Dans certains cas, ils ont changĂ© l’enregistrement d’une sociĂ©tĂ© en modifiant la composition de son administration, de sa direction, etc., puis ils se sont prĂ©sentĂ©s au bureau d’un avocat comme les propriĂ©taires d’un bien immobilier. »

Il relate la tentative rĂ©cente et « trĂšs sophistiquĂ©e » de deux fraudeurs — l’un se faisant passer pour le vendeur et l’autre pour l’acheteur d’un immeuble commercial — qui ont approchĂ© deux avocats diffĂ©rents dans le but de duper un prĂȘteur.

« Les prĂ©tendus vendeurs utilisent une fausse identitĂ© qui les fait passer pour des membres enregistrĂ©s de la direction ou de l’administration d’une sociĂ©tĂ© possĂ©dant un bien immobilier donnĂ©; ou alors ils remplissent une nouvelle Formule 1 (“Rapport initial / Avis de modification par une personne morale en Ontario”, exigĂ©e par la Loi sur les renseignements exigĂ©s des personnes morales de l’Ontario) qui les identifie comme les dirigeants de cette sociĂ©tĂ©; puis ils retiennent les services d’un avocat pour agir en leur nom. Il y a ensuite un acheteur qui retient les services d’un autre avocat pour agir en son nom dans cette transaction. »

Les fraudeurs ont alors approchĂ© un vĂ©ritable prĂȘteur dans le but d’obtenir un prĂȘt hypothĂ©caire de 750 000 $ Ă  1 million $ garanti par un immeuble de 1,5 million $.

« Nous avons vu au moins deux cas de ce type de fraude au cours des derniers mois, qui se sont tous les deux dĂ©roulĂ©s sans encombre avant qu’on finisse par soupçonner une fraude — que les avocats se soient suffisamment renseignĂ©s pour reconnaĂźtre aisĂ©ment certains drapeaux rouges et dĂ©celer la fraude. »

Les drapeaux rouges Ă  surveiller peuvent ĂȘtre une tendance de la part de l’une des parties Ă  pousser pour « des raccourcis ou Ă  nĂ©gliger des points de dĂ©tails comme le zonage ou certaines questions de rĂ©glementation », explique Lisa Weinstein, directrice des Politiques nationales de souscription chez LawPRO. « Ou encore le dĂ©pĂŽt n’est pas trĂšs important, ou il a Ă©tĂ© versĂ© directement au vendeur et non pas dĂ©tenu en fiducie par l’agent ou l’avocat de l’acheteur. La promesse bilatĂ©rale de vente peut avoir Ă©tĂ© modifiĂ©e aprĂšs signature, par exemple pour rĂ©duire le prix. »

Les honoraires dĂ©raisonnablement Ă©levĂ©s offerts Ă  l’avocat peuvent aussi indiquer que quelque chose cloche avec cette transaction, tout comme des changements apportĂ©s aux montants avancĂ©s, des rĂ©cits contradictoires ou des coordonnĂ©es limitĂ©s pour un client qui prĂ©fĂšre ne traiter que par tĂ©lĂ©phone cellulaire.

« Tous ces drapeaux rouges pris isolĂ©ment peuvent ĂȘtre ou ne pas ĂȘtre le signe d’un problĂšme, mais rĂšgle gĂ©nĂ©rale, plus vous en voyez et plus je vous dirais qu’il y a effectivement un problĂšme », dit-elle.

Pour Farhaneh Haque, directrice des Conseils sur les prĂȘts hypothĂ©caires au Groupe Banque TD, le plus gros des drapeaux rouges pourrait ĂȘtre tout simplement « la transaction sous pression ».

« C’est quelqu’un de trĂšs pressĂ©, du genre “Oh! mon Dieu, il me faut un prĂȘt hypothĂ©caire d’ici trois jours, je travaillais avec un autre prĂȘteur mais ils ont tout gĂąchĂ© et la transaction est tombĂ©e Ă  l’eau et maintenant je n’ai plus d’autre choix, j’ai le couteau sur la gorge, s’il vous plaĂźt, je vous en prie, faisons cette transaction”. »

Dans ce genre de situation, dit-elle, c’est lĂ  que vous devez, en tant que prĂȘteur, marquer une pause et vous demander pourquoi il est si important de conclure la transaction dans un dĂ©lai trĂšs court.

« Il faut former le personnel pour ĂȘtre en mesure de reconnaĂźtre ce type de situation, lorsqu’on commence Ă  sentir une pression exercĂ©e par l’une des parties, que ce soit le client, le courtier ou l’avocat. Il faut ralentir la cadence. Retournez voir le client et rĂ©glez ses attentes sur le temps que prendra la procĂ©dure. »

Mme Haque ajoute que les escrocs perfectionnent constamment leurs mĂ©thodes et que cela signifie que les prĂȘteurs doivent garder le contrĂŽle du rythme.

« Les prĂȘteurs ne font aucun secret de leur politique de prĂȘt et plusieurs d’entre nous les publient ouvertement sur leur site Web dans le but d’Ă©duquer les acheteurs. Mais grĂące Ă  l’accĂšs Ă  l’information, les escrocs connaissent parfaitement bien ces politiques et vont de prĂȘteur en prĂȘteur. Mieux ils connaissent le fonctionnement du systĂšme et mieux ils savent travailler Ă  l’intĂ©rieur de ce systĂšme. »

Pour Mme Haque, connaĂźtre ses clients est « trĂšs, trĂšs important », mais elle admet que cela est de plus en plus difficile.

« Avec les opĂ©rations bancaires virtuelles et mobiles de plus en plus populaires, nous n’avons pas nĂ©cessairement accĂšs au visage, au ton de voix et au langage corporel de la personne qui s’adresse Ă  nous. Nous fonctionnons dans une dynamique Ă©trange, car nous ne voyons pas toujours le client ouvertement pendant que nous leur posons des questions et que les clients ne voient pas toujours le mĂȘme banquier d’une fois Ă  l’autre. »

Selon elle, toute procĂ©dure d’approbation d’une hypothĂšque, que le client ait fait sa demande en ligne ou par tĂ©lĂ©phone, devrait comprendre une Ă©tape oĂč le prĂȘteur exige un entretien en personne avec un employĂ© formĂ© Ă  poser les bonnes questions et vĂ©rifier l’information.

« Demandez tous les documents Ă  l’avance », recommande-t-elle. « Assurez-vous d’avoir les originaux plutĂŽt que des photocopies. N’acceptez rien par tĂ©lĂ©copie. Dans cent pour cent des cas, il faut rencontrer le client final et lui poser des questions afin d’Ă©tablir une bonne relation, et ainsi vous saurez que vous avez affaire Ă  un vĂ©ritable client et non pas quelqu’un qui participe Ă  un procĂ©dĂ© malhonnĂȘte. »

Dan Pinnington est d’accord pour dire que la clĂ© est de s’attacher aux dĂ©tails.

« Les avocats sont trĂšs occupĂ©s et dĂ©lĂšguent parfois une partie de leurs tĂąches au personnel, qui peut ĂȘtre excellent et trĂšs mĂ©thodique ou nĂ©cessiter un peu plus de supervision. Le personnel peut remarquer des drapeaux rouges ou des renseignements manquants qu’il ne soumet pas Ă  l’attention de l’avocat, et ces fraudeurs sont trĂšs persĂ©vĂ©rants. Ils seront trĂšs insistants, ils seront Ă  la derniĂšre minute et ils inventeront les circonstances pour justifier le fait qu’ils veulent faire vite. Souvent, ils offrent aussi de payer des honoraires beaucoup plus Ă©levĂ©s que ce que les avocats obtiennent normalement. »

Pour de plus amples renseignements sur la façon de reconnaßtre et de prévenir la fraude hypothécaire, consultez le site Web de LawPRO.

Becky Rynor est journaliste indépendante à Ottawa.