La Loi sur la corruption d'agents publics Ă©trangers canadienne : ce que vous devez savoir et pourquoi

  • Mark Morrison, Paul Schabas et Tony Wong, Blake Cassels & Graydon, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Partout dans le monde, les assemblĂ©es lĂ©gislatives ont adoptĂ© des lois prohibant la corruption des agents publics Ă©trangers afin d’obtenir ou de conserver des occasions d’affaires. La Foreign Corrupt Practices Act des États-Unis (la « FCPA ») attire beaucoup d’attention de la part du public en raison de diverses poursuites importantes. Cependant, la LCAPE — Loi sur la corruption d’agent publics Ă©trangers — l’Ă©quivalent canadien de la FCPA, n’a pas encore Ă©tĂ© une prĂ©occupation marquĂ©e pour la plupart des entreprises qui relèvent de son ressort. Mais les choses changent.

Ă€ la suite d’importantes pressions internationales, la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC ») a mis sur pied une unitĂ© spĂ©ciale qui se consacre aux enquĂŞtes relatives Ă  la corruption internationale et Ă  l’application de la LCAPE. Le prĂ©sent bulletin prĂ©sente la LCAPE, la compare avec les dispositions anticorruption de la FCPA et rĂ©sume l’Ă©volution rĂ©cente de cette question au Canada.

Origine législative

La LCAPE a Ă©tĂ© adoptĂ©e en 1999, plus de 20 ans après l'adoption en 1977 de la FCPA aux États-Unis.  La LCAPE a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e dans le cadre du processus de ratification de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics Ă©trangers dans les transactions commerciales internationales de l’OCDE. Cette convention Ă©tait motivĂ©e par l’opinion que la corruption entrave les progrès politiques et Ă©conomiques de diverses façons : elle dĂ©croĂ®t la qualitĂ© des biens, dĂ©courage les pratiques de concurrence loyale et fait obstacle au dĂ©veloppement Ă©conomique. Bien que la LCAPE soit en vigueur depuis une dizaine d’annĂ©es, ce n’est que rĂ©cemment qu’elle a fait l’objet d’une application minimale par les autoritĂ©s canadiennes. Mais encore lĂ , les choses changent.

Territoire

La FCPA et la LCAPE donnent toutes deux aux autoritĂ©s le pouvoir de mettre en accusation des personnes tant physiques que morales; toutefois, la portĂ©e territoriale de la LCAPE est moins Ă©tendue que celle de la FCPA, car cette dernière s’applique aux Ă©metteurs aux États-U nis, aux entreprises nationales (domestic concerns) et Ă  toute personne qui entreprend des arrangements en vue de corrompre un agent public Ă©tranger alors qu’elle est sur le territoire des États-Unis. Le critère canadien pour dĂ©terminer le territoire, Ă©tabli par la jurisprudence, est diffĂ©rent. Le Canada n'instruira que les causes qui ont un lien « rĂ©el et substantiel » avec le Canada. Cela signifie qu’une partie des activitĂ©s illĂ©gales devra avoir Ă©tĂ© commise au Canada ou avoir des consĂ©quences rĂ©elles sur les Canadiens. Bien que cette question n’ait pas encore Ă©tĂ© portĂ©e devant les tribunaux, la participation d’une sociĂ©tĂ© canadienne ou de la filiale en propriĂ©tĂ© exclusive d’une sociĂ©tĂ© canadienne pourrait suffire Ă  dĂ©clencher l’application de la LCAPE. Les sociĂ©tĂ©s canadiennes peuvent Ă©galement ĂŞtre tenues responsables des agissements de mandataires ou d’entrepreneurs si l’un de ceux-ci joue un rĂ´le important dans la gestion des activitĂ©s de la sociĂ©tĂ©, ou encore si un dirigeant de la sociĂ©tĂ© est au fait de la conduite du mandataire ou de l’entrepreneur et ne prend pas toutes les mesures raisonnables pour les faire cesser.

Il est important de noter que la portĂ©e de la LCAPE pourrait Ă©ventuellement ĂŞtre Ă©largie. Le ministre de la Justice du Canada a rĂ©cemment prĂ©sentĂ© un projet de loi qui propose de modifier la LCAPE en prĂ©cisant qu’elle s’applique aux particuliers canadiens qui agissent Ă  l’extĂ©rieur du Canada (comparable aux entreprises nationales aux termes de la FCPA). Le projet de loi a Ă©tĂ© lu une première fois Ă  la dernière session de la Chambre des communes. Les infractions La LCAPE et la FCPA sont analogues mais non identiques; elles contiennent toutes deux des dispositions anticorruption, mais seule la FCPA comporte des dispositions concernant la comptabilitĂ© et la tenue de livres.

La LCAPE prévoit ce qui suit :

3. (1) Commet une infraction quiconque, directement ou indirectement, dans le but d'obtenir ou de conserver un avantage dans le cours de ses affaires, donne, offre ou convient de donner ou d'offrir Ă  un agent public Ă©tranger ou Ă  toute personne au profit d'un agent public Ă©tranger un prĂŞt, une rĂ©compense ou un avantage de quelque nature que ce soit :

a) en contrepartie d'un acte ou d'une omission dans le cadre de l'exĂ©cution des fonctions officielles de cet agent; 
b) pour convaincre ce dernier d'utiliser sa position pour influencer les actes ou les décisions de l'État étranger ou de l'organisation internationale publique pour lequel il exerce ses fonctions officielles.

Les infractions relatives Ă  la lutte contre la corruption canadiennes et amĂ©ricaines sont semblables, rendant ainsi la conformitĂ© moins complexe pour les sociĂ©tĂ©s qui relèvent des deux territoires. Les deux lois interdisent de transfĂ©rer ou d’offrir de transfĂ©rer tout type d’avantage dans le but d’influencer un agent Ă©tranger afin qu’il abuse de son pouvoir ou de son influence. Ni l’une ni l’autre loi ne requiert que le transfert soit direct; les pots-de-vin donnĂ©s par l’entremise d’un mandataire ou reçus par une partie autre que l’agent sont interdits si le but ultime consiste Ă  influencer un agent en octroyant un avantage. Les deux lois exigent que le pot-de-vin ait pour objectif d’obtenir ou de conserver un avantage commercial, mais aucune d’elles ne prĂ©voit que l’arrangement commercial en question inclue le bĂ©nĂ©ficiaire du pot-de-vin ou que le pot-de-vin soit acceptĂ©. Enfin, les deux lois intègrent des dĂ©finitions très semblables d'« agent public Ă©tranger », dont des membres des organismes gouvernementaux et des organisations internationales publiques. Une diffĂ©rence tient au fait que la LCAPE inclut expressĂ©ment la magistrature.

Les sociĂ©tĂ©s accusĂ©es en vertu de la LCAPE peuvent Ă©galement faire l’objet d’accusations en vertu du Code criminel pour fraude, commission secrète et complot. Les dispositions du Code criminel interdisent Ă©galement le recyclage ou la possession des produits d’autres actes criminels. En outre, il existe un risque de sanction parles organismes de rĂ©glementation des valeurs mobilières.

DĂ©fenses

Les auteurs prĂ©sumĂ©s d’une infraction peuvent faire valoir aux termes de la LCAPE et de la FCPA trois moyens de dĂ©fense presque identiques. Le premier moyen de dĂ©fense autorise les paiements licites aux termes des lois et règlements de l’État Ă©tranger oĂą ils ont Ă©tĂ© reçus. Une diffĂ©rence importante est que la LCAPE n’exige pas que le paiement soit licite aux termes des lois « Ă©crites » de l’État Ă©tranger, comme le fait la FCPA. Au Canada, la dĂ©fense s’applique lorsque le paiement Ă©tait « permis ou exigĂ© par le droit de l’État Ă©tranger ou de l’organisation internationale publique ». En raison du manque de jurisprudence canadienne interprĂ©tant cette disposition, la portĂ©e du mot « permis » est ambiguĂ« et peut se rĂ©vĂ©ler plus large.

Le deuxième moyen de dĂ©fense permet, dans le cadre de l’Ă©tablissement de liens d’affaires, des dĂ©penses raisonnables qui peuvent comprendre les paiements effectuĂ©s dans le but de dĂ©montrer, de promouvoir ou d'expliquer les produits ou encore d'exĂ©cuter les obligations d’un contrat conclu avec un gouvernement Ă©tranger ou de s’en acquitter, mais elles ne peuvent comprendre les frais de reprĂ©sentation ou autres dĂ©penses semblables.

Le troisième moyen de dĂ©fense exclut de l’interdiction relative Ă  la corruption les paiements de facilitation.

Ces derniers sont des paiements semblables Ă  des pots-de-vin effectuĂ©s dans le but de faciliter ou de hâter l’exĂ©cution d’un acte gouvernemental de nature courante. Par exemple, l’obtention de permis, la dĂ©livrance ou l’obtention de documents gouvernementaux (notamment les visas ou les ordres de travail) et la fourniture de services de protection policière, la collecte et la livraison du courrier, les services de tĂ©lĂ©phone, la fourniture d’Ă©lectricitĂ© et les services d’aqueduc. La LCAPE et la FCPA Ă©noncent expressĂ©ment que les paiements effectuĂ©s afin d’influer sur la dĂ©cision d’un agent Ă©tranger « d’octroyer denouvelles affaires ou de reconduire des affaires avec la mĂŞme partie » ne sont pas des paiements de facilitation.

Sanctions

Contrairement Ă  la FCPA, qui peut ĂŞtre appliquĂ©e au moyen de sanctions civiles ou pĂ©nales, la LCAPE ne peut ĂŞtre appliquĂ©e qu’au moyen de poursuites au criminel. La personne dĂ©clarĂ©e coupable d’une violation de la LCAPE commet un acte criminel et est passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans. Il n’existe aucune limite lĂ©gale aux amendes qui peuvent ĂŞtre imposĂ©es; le montant est laissĂ© Ă  la discrĂ©tion du tribunal. En outre, il n’existe aucune loi de prescription au Canada pour les actes criminels. En vertu du Code criminel, il est Ă©galement interdit de retenir le produit de la criminalitĂ©; par consĂ©quent, une sociĂ©tĂ© reconnue coupable peut aussi se voir ordonner de remettre tous les produits – et non seulement les profits – obtenus au moyen de l’acte de corruption. Les parties concernĂ©es doivent Ă©galement savoir que les pots-de-vin ne sont pas dĂ©ductibles d'impĂ´t au Canada. C’est pourquoi, avant mĂŞme de prendre en compte les incidences nĂ©gatives possibles d'une condamnation au criminel sur le cours des titres et la rĂ©putation de la sociĂ©tĂ©, il est clair qu’une infraction Ă  la LCAPE pourrait ĂŞtre très coĂ»teuse.

Tendances

Des mesures coercitives importantes aux États-Unis, comme celles contre Baker Hughes et Siemens, ont rappelĂ© Ă  tous la gravitĂ© potentielle d’ĂŞtre accusĂ© d’une infraction Ă  la FCPA. Il est certain qu’il ne s’agit pas ici d’incidents isolĂ©s. Selon le Department of Justicedes États-Unis, celui-ci a portĂ© plus d’accusations au cours des cinq dernières annĂ©es qu’au cours des 26 annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Les autoritĂ©s canadiennes n’ont pas encore emboĂ®tĂ© le pas, mais cela risque de changer dans un avenir rapprochĂ©. La GRC a mis sur pied une unitĂ© spĂ©ciale qui s’occupe exclusivement des enquĂŞtes relatives Ă  la corruption Ă  l’Ă©chelle internationale. Les efforts de l’unitĂ© ont portĂ© fruit : plusieurs enquĂŞtes sont en cours, dont la plus en vue porte sur des allĂ©gations de corruption par une sociĂ©tĂ© pĂ©trolière de Calgary au Bangladesh. Dans son rapport annuel portant sur la mise en oeuvre de la convention, le ministère des Affaires Ă©trangères et du Commerce international du Canada a Ă©numĂ©rĂ© une longue liste d’efforts de sensibilisation mis en oeuvre par un grand nombre de ministères au Canada pour assurer la conformitĂ© Ă  la loi anticorruption canadienne. Comme nous l’avons mentionnĂ© ci-dessus, un autre changement d’importance vise les modifications proposĂ©es Ă  la LCAPE, qui prĂ©ciseraient que la LCAPE s’applique aux ressortissants
canadiens agissant à l'extérieur du Canada.

Stratégies proactives

Ă€ la lumière de l’application croissante de la LCAPE au Canada, des stratĂ©gies d’affaires proactives Ă  des fins de conformitĂ© sont de plus en plus importantes. Il est primordial d’Ă©tablir, de mettre en oeuvre et d’appliquer des politiques internes non seulement pour les employĂ©s, mais aussi pour les mandataires et les entrepreneurs. La prĂ©sĂ©lection de mandataires qui oeuvrent outre-mer est Ă©galement importante dans les pays Ă  risque Ă©levĂ©.

Conclusion

Partout dans le monde, les sociĂ©tĂ©s ont appris l’importance de se conformer Ă  la FCPA. Bien que la LCAPE n'ait pas reprĂ©sentĂ© de menace imminente jusqu'Ă  prĂ©sent, cette situation pourrait changer Ă  l’avenir. Pour les organisations qui font affaire avec le gouvernement, la conformitĂ© Ă  la LCAPE devrait ĂŞtre une prioritĂ©.

Cet article a d’abord paru dans le site Web de Blakes. Reproduction autorisĂ©e.  

Mark Morrison est un associĂ© du groupe de litige qui, dans ce domaine, se spĂ©cialise dans la criminalitĂ© en col blanc, le droit des assurances, la discipline et la responsabilitĂ© professionnelle et les questions commerciales. Paul Schabas est un associĂ© qui exerce en litige dans le cadre d'affaires très diversifiĂ©es, tant en première instance qu'en appel. Tony S. Wong est un associĂ© qui exerce en litige.