Le déclin des heures facturables

  • 27 avril 2015
  • Becky Rynor

Barbara Hendrickson a pris une longueur d’avance lorsqu’elle a Ă©tabli le cabinet BAX Securities Law Ă  Toronto en 2012 et a tout de suite proposĂ© de nouveaux modèles de facturation Ă  ces clients.

« Cependant, je dois admettre que cette façon de faire n’Ă©tait pas du tout facile », dĂ©clare Me Hendrickson, ancienne prĂ©sidente de la Section du droit des affaires de l’ABC. « J’ai adoptĂ© une dĂ©marche Ă  suivre, surtout dans le cas de nouveaux clients. Je commence par une Ă©valuation, je passe ensuite quelques heures Ă  expliquer au client le travail qui doit ĂŞtre accompli, j’Ă©tablis un plan de travail et je donne une estimation des honoraires; le tout avant de me mettre Ă  l’Ĺ“uvre. L’ennui, c’est que tout ça prend Ă©normĂ©ment de temps et, parfois, une fois que j’ai eu proposĂ© l’estimation des honoraires, le client dĂ©cide de ne pas engager mes services – toutefois, ce dernier dispose ainsi d’une bonne carte de route pour rĂ©gler son dossier. Ensuite, il a toujours des facteurs qui varient dans le contexte des dossiers de clients en cours de route. J’ai donc dĂ» peaufiner mes talents pour pouvoir Ă©tablir des estimations assorties de conditions appropriĂ©es afin de ne pas me retrouver dans le pĂ©trin. »

Ă€ son avis, les nouveaux modèles de facturation sont la voie de l’avenir pour la profession juridique.

« La grande philosophie qui sous-tend la prestation de services et de produits juridiques est en train d’Ă©voluer Ă  cause de la situation Ă©conomique », explique-t-elle. « Dans le fond, j’aimerais mieux continuer de facturer Ă  l’heure parce qu’on dirait que j’ai Ă©tĂ© “programmĂ©e” de cette façon. C’est d’ailleurs de cette manière que je gère mon temps au quotidien – j’ai toujours en tĂŞte combien je peux facturer Ă  l’heure. En revanche, les clients n’envisagent pas les heures facturables ainsi; ils croient plutĂ´t que, contrairement Ă  ces dernières, les honoraires fixes se traduisent par des Ă©conomies pour eux. »

« Le modèle fondĂ© sur les heures facturables est peut-ĂŞtre toujours le plus populaire, mais sa popularitĂ© est en dĂ©clin », affirme Mark Crane, qui a animĂ© un webinaire sur les nouveaux modèles de facturation en mars pour son cabinet, Gowlings, s.e.n.c.r.l., s.r.l. Dans sa pratique comme avocat se spĂ©cialisant en litige commercial, il s’est aperçu que les entreprises sont devenues plus Ă©conomes et qu’elles mettent plus de pression sur les services juridiques internes pour que ces derniers respectent leurs budgets.

Comme solution de rechange Ă  la facturation Ă  l’heure, on retrouve les taux horaires rĂ©duits, les honoraires fixes, le plafonnement des honoraires et les honoraires conditionnels. S’ajoutent Ă  la liste les honoraires mixtes et les honoraires basĂ©s sur le rendement. Il est Ă©galement possible d’offrir une combinaison de tous ces modèles comme le fait le cabinet Speigel Nichols Fox LLP de Mississauga. Pour reprendre l’expression de Jonathan Speigel, cette approche fait en sorte que « notre peau est en jeu ».

« En principe, il n’est pas dans notre meilleur intĂ©rĂŞt d’agir avec efficacitĂ© si nous sommes payĂ©s Ă  l’heure », ajoute Me Speigel. « Le plus de temps que ça prend Ă  effectuer le travail, le mieux c’est pour nous – en prĂ©sumant que le client acquittera sa facture. Mais, Ă  l’inverse, plus longtemps ça dure, pire c’est pour le client. Nos intĂ©rĂŞts sont alors divergents. En revanche, si j’offre des honoraires fixes, il est dans l’intĂ©rĂŞt du client et dans le nĂ´tre que l’affaire soit rĂ©glĂ©e en peu de temps. »

Il est toutefois d’accord pour dire que l’adoption d’un nouveau modèle de facturation exige un dialogue constant, soit avant le dĂ©but du mandat, au cours de celui-ci et après qu’il ait pris fin.

« Notre dĂ©marche est axĂ©e sur la valeur. Nous ne pouvons pas facturer autant d'heures si le client n’obtient pas gain de cause qu’on ne le pourrait s’il gagne sa cause. Ça ne se fait tout simplement pas », ajoute-t-il. « J’examine chaque affaire en fin de compte et je me pose les questions suivantes : “Quel a Ă©tĂ© notre rendement?”, “Puis-je, en toute conscience, facturer le plein montant?”, “Ai-je le droit de demander plus ou serait-il plus juste de demander bien moins cher?”. Je me pose les mĂŞmes questions au cas par cas – il n’existe pas de formule fixe. »

Me Crane fait remarquer que, de nos jours, les clients mettent davantage l’accent sur la prĂ©visibilitĂ© des coĂ»ts, la transparence et les « occasions de partage du risque ».

« Il est possible de se servir de modèles d’honoraires fixes ou de plafonnement des honoraires ou de modèles semblables, mais cela requiert du travail de la part du client et de l’avocat, dès le dĂ©but », souligne ce dernier. « Toutefois, Ă  mon avis c’est une occasion opportune puisqu’il y a une valeur ajoutĂ©e pour le client et on noue davantage les liens avec ce dernier; ce renforcement de la relation avec le client engendrera peut-ĂŞtre plus de travail pour le cabinet Ă  l’avenir. »

Me Hendrickson ajoute que l’avantage additionnel du modèle des honoraires fixes est qu’il prĂ©vient le « surmenage des avocats ».

« Je peux me permettre d’offrir des honoraires fixes pour la simple raison qu’avec un ou deux commis juridiques, j’accomplis la plus grande partie du travail moi-mĂŞme; j’ai donc un contrĂ´le serrĂ© par rapport au temps que nous consacrons Ă  chacun des dossiers. Par contre, si une dizaine de personnes travaillent au mĂŞme dossier, il est plus difficile de limiter le temps qui lui est consacrĂ©. Je peux limiter mes heures de travail. En outre, j’ai une bonne connaissance de ce que je peux accomplir, et combien de temps il me faudra pour y arriver, et je reconnais aussi les dossiers qui seront rentables. »

« D’après moi, les honoraires fixes prĂ©sentent les avantages suivants : la certitude de se faire payer et la satisfaction des clients, qui savent exactement ce que leur rapport leur argent. Certains clients ne savent pas au juste ce que nous faisons mĂŞme s’ils reçoivent nos factures. »

Elizabeth Maiden, avocate en droit immobilier du cabinet Soloway Wright Ă  Ottawa, souligne que l’achat et la vente de maisons, ainsi que les hypothèques commerciales se font sur une base d’honoraires fixes depuis des annĂ©es, et que les avocats plaidants se spĂ©cialisant en lĂ©sions corporelles travaillent rĂ©gulièrement selon un modèle d’honoraires conditionnels.

« Toutefois, on tĂ©moigne d’une hausse quant Ă  la demande de devis d’honoraires fixes pour du travail qui est normalement facturĂ© Ă  l’heure, notamment dans le cadre des enregistrements et des documents d'information relatifs aux copropriĂ©tĂ©s », constate Me Wright. « Nous essayons d’accommoder nos grands clients en leur offrant des devis selon des honoraires fixes pour qu’ils puissent jouir d’une certaine prĂ©visibilitĂ© aux fins de leur planification budgĂ©taire. »

Me Wright entrevoit que cela pourrait poser des dĂ©fis quant aux structures de rĂ©munĂ©ration des cabinets juridiques, mais Me Crane est plutĂ´t d’avis qu’il ne faudra pas y changer grand-chose.

« Les cabinets juridiques et les avocats qui travaillent Ă  leur propre compte auront chacun leurs propres arrangements… que les revenus proviennent de travail facturĂ© Ă  partir d’un taux horaire, d’honoraires fixes, de tarifs basĂ©s sur le rendement, d’honoraires conditionnels ou d’un taux horaire mixte », explique-t-il. « La façon dont les revenus seront rĂ©partis, une fois que les dĂ©penses auront Ă©tĂ© payĂ©es, sera Ă  la discrĂ©tion du cabinet. »

Selon lui, les nouveaux modèles de facturation donneront l’occasion aux cabinets juridiques d’offrir aux clients quelque chose qui les intĂ©resse vivement – mais d’emblĂ©e, il y aura vraisemblablement beaucoup de travail Ă  effectuer afin que la portĂ©e du mandat soit claire pour tous.

« Le modèle basĂ© sur les honoraires fixes est beaucoup plus complexe parce que ce n’est pas une sinĂ©cure que de dĂ©terminer Ă  l’avance un prix appropriĂ© pour une sĂ©rie de transactions », estime Me Hendrickson. « Dans bien des cas, les clients ne divulguent pas tout initialement, surtout dans le cadre des valeurs mobilières. De nouvelles questions peuvent surgir et venir compliquer les choses. On doit alors parler d’argent avec les clients toutes les semaines. Ce phĂ©nomène est tout Ă  fait nouveau. »

Becky Rynor est journaliste-pigiste Ă©tablie Ă  Ottawa.