L’examen de la rémunération des juges exige-t-il la production de documents ministériels? Peut-être bien.

  • 30 septembre 2020
  • Ewa Krajewska et Neil Abraham

Le 31 juillet 2020, la Cour suprĂŞme du Canada a publiĂ© deux dĂ©cisions complĂ©mentaires qui reprĂ©sentent les derniers dĂ©veloppements dans le dĂ©bat de plusieurs dĂ©cennies au sujet du droit de regard sur les dĂ©cisions du gouvernement concernant la rĂ©munĂ©ration des juges. Ces dĂ©cisions – les appels d’une affaire de la Colombie-Britannique et d’une affaire de la Nouvelle-Écosse – portent sur les cas dans lesquels le gouvernement est tenu de produire les documents consultĂ©s par les ministères provinciaux pour dĂ©terminer la rĂ©munĂ©ration des juges quand ces dĂ©terminations font l’objet d’un contrĂ´le judiciaire.

L’ABC a retenu les services de Borden Ladner Gervais s.r.l. et est intervenue dans ces appels pour poursuivre son travail de reprĂ©sentation sur ces questions. Depuis des annĂ©es, elle est d’avis que la rĂ©munĂ©ration des juges doit ĂŞtre encadrĂ©e par le principe constitutionnel fondamental de l’indĂ©pendance de la magistrature. Autrement dit, les procĂ©dures de rĂ©munĂ©ration des juges doivent ĂŞtre structurĂ©es de manière Ă  garantir cette indĂ©pendance, laquelle Ă  son tour garantit une administration Ă©quitable et efficace de la justice.

Dans ces appels, l’ABC a fait valoir que tous les documents faisant partie du processus dĂ©cisionnel concernant la rĂ©munĂ©ration des juges, y compris ceux de sources ministĂ©rielles, devraient en principe ĂŞtre produits lors d’un contrĂ´le judiciaire. Elle a aussi avancĂ© que le juge chargĂ© de l’examen devrait avoir accès aux documents en toute confidentialitĂ© afin de pouvoir dĂ©terminer si l’explication donnĂ©e par l’État pour en justifier la non-divulgation est satisfaisante.

Dans ses deux dĂ©cisions unanimes, la Cour suprĂŞme a conclu que les documents ministĂ©riels pourraient ĂŞtre consultables lors d’une procĂ©dure sur la rĂ©munĂ©ration des juges quand leur contenu est pertinent et n’est assujetti Ă  aucune règle d’exclusion telle que l’immunitĂ© publique.

La Cour s’est accordĂ©e avec l’ABC pour dire que le juge saisi du dossier devrait avoir accès aux documents contestĂ©s et que c’est lui, au bout du compte, qui devrait dĂ©cider s’il y a lieu de les divulguer ou non. La position de la Cour sur ce point est importante, car ce sera alors une instance indĂ©pendante qui Ă©valuera la portĂ©e du document plutĂ´t que le ministère concernĂ©.

Toutefois, la Cour a Ă©tabli un fardeau initial de la preuve dont devront s’acquitter les requĂ©rants d’une divulgation avant que le juge puisse inspecter les documents contestĂ©s. L’association des juges qui fait la requĂŞte doit dĂ©montrer en quoi les documents en question sont pertinents pour la dĂ©cision sans mĂŞme les avoir vus. Les auteurs sont d’avis que l’imposition de ce fardeau initial aura pour effet de rendre la divulgation plus difficile Ă  obtenir.

Dans la plupart des cas – comme dans l’affaire de la Colombie-Britannique –, le requĂ©rant peut ignorer le contenu des documents contestĂ©s. L’affaire de la Nouvelle-Écosse nous prĂ©sente un exemple de ces rares cas d’Ă©tablissement d’un niveau de pertinence : d’autres renseignements publiquement accessibles indiquaient que les documents ministĂ©riels en question pourraient contenir des preuves pertinentes. Il importe toutefois de noter que l’existence de renseignements probants relève plus de l’exception que de la règle, vu la nature dĂ©licate du contenu des documents ministĂ©riels.

L’imposition de ce fardeau initial aux requĂ©rants inquiète les auteurs, car selon eux, cela risque en fait d’empĂŞcher les associations de juges de demander la divulgation de documents ministĂ©riels. Ces arrĂŞts de la Cour auront peut-ĂŞtre pour effet de limiter le nombre de procĂ©dures (un objectif des dĂ©cisions de la Cour suprĂŞme du Canada dans les affaires de rĂ©munĂ©ration des juges), mais cette limitation ne sera pas le rĂ©sultat d’un gain en efficacitĂ© et en transparence des procĂ©dures.