Changer la culture des procès pour agression sexuelle

  • 24 avril 2017

Dans la foulĂ©e de la levĂ©e de boucliers suscitĂ©e par les commentaires exprimĂ©s par certains juges au cours de procès pour agression sexuelle, y compris la suggestion faite par l’ancien juge Robin Camp qu’une victime aurait dĂ» « serrer les genoux », nombreux sont les appels Ă  une meilleure Ă©ducation des juges au sujet des agressions sexuelles, et plus particulièrement concernant la façon de traiter les victimes.

La chef intĂ©rimaire du Parti conservateur, Rona Ambrose, a dĂ©posĂ© un projet de loi d'initiative parlementaire intitulĂ© Loi sur la responsabilitĂ© judiciaire par la formation en matière de droit relatif aux agressions sexuelles, qui a franchi sans difficultĂ© les Ă©tapes de la première et de la deuxième lecture et fait maintenant l’objet d’un examen en comitĂ©.

La Section du droit pĂ©nal de l’ABC est d’accord avec l’esprit du projet de loi, mais dĂ©clare dans son mĂ©moire que les exigences Ă©noncĂ©es dans certaines des principales dispositions de la loi proposĂ©e existent dĂ©jĂ .

« L’intention derrière le projet de loi est louable : elle vise Ă  rĂ©server les affaires d’agression sexuelle aux seuls juges qualifiĂ©s, et Ă  ce que ceux-ci Ă©tayent leurs dĂ©cisions par des motifs rĂ©flĂ©chis. La section de l’ABC croit Ă  une magistrature canadienne hors pair et Ă  une administration juste, efficace, impartiale et constitutionnelle de la justice. La confiance des Canadiens et des Canadiennes en leur système de justice et en son intĂ©gritĂ© en dĂ©pend. »

Cela dit, l’exigence posĂ©e par la le projet de loi selon laquelle les juges seraient tenus de motiver leurs dĂ©cisions par Ă©crit lorsqu’ils tranchent des affaires d’agression sexuelle reprend les exigences existant dĂ©jĂ  en droit selon lesquelles les juges doivent motiver correctement leurs dĂ©cisions, par Ă©crit ou de vive voix. Il est erronĂ© de considĂ©rer les motifs donnĂ©s de vive voix comme Ă©tant incomplets ou infĂ©rieurs aux motifs exprimĂ©s par Ă©crit, affirme la section. Qui plus est, quelle que soit la forme qu’ils revĂŞtent, il est impĂ©ratif que les motifs « fournissent matière Ă  un examen valable en appel des fondements d’une condamnation ou d’un acquittement ». Ils doivent en outre « rĂ©pondre aux questions en litige ». Les directives en 10 points donnĂ©es par la Cour suprĂŞme dans l’arrĂŞt R c. Sheppard font ressortir les devoirs qui incombent dĂ©jĂ  aux juges, affirment les auteurs du mĂ©moire.

En outre, selon le mĂ©moire, Ă©tant donnĂ© que la rĂ©daction de motifs exige un investissement en temps supĂ©rieur Ă  celui nĂ©cessaire pour rendre des motifs de vive voix, exiger des juges qu’ils les produisent « pourrait contribuer Ă  la lenteur des tribunaux Ă  une Ă©poque oĂą un ralentissement […] peut se traduire par la suspension de chefs d’accusation ».

La section s’est Ă©galement exprimĂ©e au sujet de l’obligation que la loi proposĂ©e imposerait aux aspirants juges de suivre une formation en matière d’agression sexuelle avant leur nomination, et ce, Ă  la satisfaction du Commissaire Ă  la magistrature fĂ©dĂ©rale. « On ignore qui assumera les frais de cette formation », affirme-t-elle, ou Ă  qui incomberait le devoir de prouver que les aspirants juges sont adĂ©quatement formĂ©s.

Les auteurs du mĂ©moire soulignent qu’il existe dĂ©jĂ , dans tout le Canada, des programmes de formation destinĂ©s aux juges et que le rĂ©cent budget fĂ©dĂ©ral comporte des plans pour augmenter le financement de la formation de sensibilisation aux disparitĂ©s entre les sexes et aux rĂ©alitĂ©s culturelles.

« La rigueur des formations, quelles qu’elles soient, ne saurait Ă©liminer complètement l’Ă©ventualitĂ© de comportements, de rĂ©actions ou de remarques inappropriĂ©s », remarque la section. La formation prĂ©conisĂ©e par le projet de loi n’aurait pas, elle non plus, empĂŞchĂ© le genre d’incident survenu dans le prĂ©toire du juge Camp, la grande majoritĂ© des procès pour agression sexuelle relevant de la justice provinciale et non fĂ©dĂ©rale.

La section affirme en dernier lieu que le lĂ©gislateur doit faire preuve de prudence quant Ă  la question de l’indĂ©pendance et de l’intĂ©gritĂ© des juges et, manifestement, se garder de toute ingĂ©rence dans ces domaines.

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