L’accès des médias aux tribunaux en temps de pandémie

  • 19 aoĂ»t 2020

Ces derniers mois, la fermeture des tribunaux et le passage aux audiences virtuelles ont fait couler beaucoup d’encre en ce qui concerne leurs rĂ©percussions sur les juges, les avocats et tous ceux qui viennent faire valoir leurs droits dans l’enceinte des palais de justice.

Pourtant, peu a Ă©tĂ© dit au sujet des effets de ces mesures restrictives sur la libertĂ© d’accès des mĂ©dias – et, par extension, du public – aux salles d’audience afin d’assister au dĂ©roulement des procĂ©dures.

La libertĂ© de presse est garantie dans la Charte. En vertu du principe canadien de la publicitĂ© des dĂ©bats judiciaires, il revient Ă  ceux qui limitent l’accès du public (soit directement soit indirectement en imposant des limites aux journalistes) de dĂ©montrer que leurs motifs sont valides.

La mise en place de mesures de distanciation physique et l’arrivĂ©e subsĂ©quente des audiences virtuelles ont sans contredit brouillĂ© ce principe auparavant limpide, explique David Hutt, associĂ© du cabinet Burchells d’Halifax, membre du comitĂ© de direction de la Section du droit du divertissement, de l’information et des tĂ©lĂ©communications de l’ABC et reprĂ©sentant du Canada atlantique au conseil d’administration de la Canadian Media Lawyers Association.

S’adressant en aoĂ»t au groupe de travail de l’ABC sur les enjeux juridiques liĂ©s Ă  la COVID-19, Me Hutt a expliquĂ© que le principe de la publicitĂ© des dĂ©bats judiciaires Ă©tait un facteur de maintien de la confiance du public envers le système judiciaire.

Il a ajoutĂ© qu’avant la pandĂ©mie, les journalistes pouvaient se rendre au palais de justice un lundi matin, consulter le registre et assister Ă  n’importe quelles audiences de leur choix. Et s’ils changeaient d’idĂ©e, ils n’avaient qu’Ă  sortir. Si une ordonnance de non-publication Ă©tait demandĂ©e en cours d’audience, les journalistes « dans les estrades » avaient le droit de faire des observations sur-le-champ.

Puis, Ă  la mi-mars, la pandĂ©mie a tout bouleversĂ© : les tribunaux ont fermĂ©, les gens se sont fait dire de rester chez eux. Il a fallu chercher frĂ©nĂ©tiquement une solution pour remettre en marche le système judiciaire.

Les tribunaux ont repris leurs activités sur diverses plateformes en ligne.

« Avant mars, j’avais peut-ĂŞtre entendu parler de Zoom une fois », a racontĂ© Me Hutt. Et le rythme d’apprentissage quant Ă  l’utilisation des nouvelles technologies n’a pas Ă©tĂ© le mĂŞme pour tout le monde.

Dans certains établissements, les audiences en personne ont recommencé, avec mise en place de mesures de distanciation physique. Même en ligne, le nombre de participants est limité par certaines plateformes en fonction de la licence détenue.

Selon Me Hutt, en règle gĂ©nĂ©rale, les tribunaux se sont fort bien adaptĂ©s pour ce qui est de l’accès des mĂ©dias. Il soulève toutefois cinq points problĂ©matiques :

  • D’abord, l’accès aux documents. « Partout au Canada, les avocats se retrouvent avec les mĂŞmes problèmes, mais dans des circonstances complètement diffĂ©rentes. » Les registres des audiences sont mis en ligne dans certaines provinces et certains territoires, mais pas partout. Il est impossible d’aviser les mĂ©dias des affaires urgentes.
  • Dans certains ressorts, les reprĂ©sentants des mĂ©dias qui veulent assister Ă  une audience doivent en faire la demande par Ă©crit, parfois longtemps d’avance, et produire une carte de presse valide. « Entre la libertĂ© d’entrer quand bon nous semble et l’obligation de demander l’autorisation de le faire, il y a une marge. On ne peut pas troquer la libertĂ© et l’accessibilitĂ© pour un système de permissions. On n’a pas le choix en ce moment, mais ça ne peut pas devenir la norme », car cela affaiblirait le droit Ă  la transparence. Il faut aussi se demander qui a le pouvoir d’approuver les demandes, et ce qui se passe en cas de refus.
  • La question des coĂ»ts se pose Ă©galement. L’accès Ă  une technologie fiable est considĂ©rablement plus coĂ»teux que le bloc stĂ©no de base qu’utilisent les journalistes dans les salles d’audience.
  • Sur les plateformes virtuelles, les journalistes sont gĂ©nĂ©ralement mis en sourdine par l’hĂ´te de la rĂ©union. Ils ne peuvent donc pas exercer leur droit de faire des observations en cas de requĂŞte d’ordonnance de non-publication.
  • L’accès aux archives judiciaires est restreint, puisque ce ne sont pas tous les tribunaux qui ont des registres Ă©lectroniques.

Me Hutt a aussi soulignĂ© que les mĂ©dias seront en mesure de s’adapter, quelle que soit la plateforme choisie par le tribunal. Mais pour l’instant, les « multiples solutions ad hoc » n’aident en rien Ă  dissiper la confusion gĂ©nĂ©rale.

Selon lui, les audiences virtuelles sont lĂ  pour de bon – une opinion que partage Paul Crampton, juge en chef de la Cour fĂ©dĂ©rale et membre du groupe de travail de l’ABC. Le juge Crampton est d’avis que les investissements rĂ©alisĂ©s par les tribunaux et la commoditĂ© des audiences virtuelles – qui entraĂ®nent parfois une baisse des coĂ»ts – ont de bonnes chances de rendre ces dernières de plus en plus populaires.