Les luttes intestines pour la succession livrées en public se terminent généralement mal

Par Patrick McKenna

Lorsque le dĂ©part du dirigeant d’un cabinet est prĂ©visible, le cabinet doit prendre les mesures appropriĂ©es pour assurer un processus de succession Ă  la fois contrĂ´lĂ© et efficace qui minimise les inĂ©vitables perturbations.

Une Ă©lection contestĂ©e ne commence Ă  poser problème que si elle devient publique et politique. Ainsi, j’ai Ă©tĂ© choquĂ© la semaine dernière par les termes utilisĂ©s dans la presse juridique alors qu’un nouveau processus de succession Ă  la barre d’un cabinet juridique a Ă©tĂ© dĂ©crit comme [TRADUCTION] « conduisant inĂ©vitablement Ă  une Ă©lection contestĂ©e » avec des candidats se prĂ©sentant « par esprit de contestation » et « tentant leur chance ». En l’espèce, le cabinet Eversheds Sutherland faisait la une car certains de ses associĂ©s Ă©taient « en parfaite opposition » dans la lutte pour succĂ©der au prĂ©sident actuel du cabinet.

Rien n’intĂ©resse autant les mĂ©dias qu’une course au scrutin. Et c’est lĂ  que le bât blesse.

L’âpretĂ© enveloppe inĂ©vitablement ces campagnes

Cela commence gĂ©nĂ©ralement, comme ce fĂ»t le cas de ce cabinet, par des commentaires flatteurs faits par des associĂ©s anonymes au sujet de divers candidats, du genre « elle est très respectĂ©e, très connue dans la sphère financière et dans la ville, et très renommĂ©e comme chef de file municipale » ou « il est extrĂŞmement populaire, un chic type, très connu et apprĂ©ciĂ© ». 

On nous dit aussi, comme ce fĂ»t aussi le cas dans notre affaire, que [TRADUCTION] « le processus Ă©lectoral n’a pas encore commencĂ©, mais il devrait dĂ©buter dans les prochaines semaines ». Ă€ ce stade, les choses commencent Ă  bouger alors que nos divers candidats passent d’une campagne en sourdine Ă  la recherche d’un soutien plus ouvert et vocal de leurs amis et adeptes. Des factions apparaissent, la discorde Ă©motionnelle s’immisce entre les personnes en prĂ©sence et les rivalitĂ©s s’intensifient Ă  l’extrĂŞme.

Les mĂ©dias juridiques ont commentĂ© une Ă©lection contestĂ©e en ces termes partiels, qui aux yeux de la plupart des lecteurs, pourraient sembler tirĂ©s d’une campagne politique plutĂ´t que des activitĂ©s internes d’un cabinet juridique respectable :

[TRADUCTION] Les poids lourds se prĂ©parent Ă  s’affronter […]. L’un des associĂ©s va mĂŞme jusqu’Ă  dire qu’il lui serait « presque impossible » de remporter le scrutin […]. Les sources soulignent l’âpretĂ© du candidat qui « maĂ®trise tout avec efficacitĂ© » et est un travailleur acharnĂ©, mĂŞme s’il pourrait devoir mettre de l’eau dans son vin pour ne pas ĂŞtre distancĂ© dans la campagne […]. « En fin de compte, l’immobilier n’est pas un bagage très prestigieux pour un associĂ© directeur » […]. Il semble qu’aucun des candidats ne puisse, pour le moment, ĂŞtre dĂ©crit comme favori.

Et, Ă  votre avis, qu’en pensent les clients?

Il est très probable (et je vous mets au dĂ©fi de prouver que ma longue expĂ©rience ne compte pas) que la plupart des clients du cabinet apprendront ces nouvelles par les mĂ©dias. Il est très probable que les juristes en prĂ©sence n’ont pas jugĂ© nĂ©cessaire de confĂ©rer avec leurs clients avant l’annonce de leur candidature Ă  la succession. Il est très probable que les juristes en prĂ©sence penseront que leurs clients respectifs seront aux anges lorsqu’ils dĂ©couvriront qu’on envisage de leur confier la direction du cabinet.

Retour sur Terre : vos clients n’ont rien Ă  faire de vos aspirations professionnelles. Vous avez tentĂ© de les convaincre pendant des annĂ©es que votre aspiration, c’est d’ĂŞtre leur « conseiller de confiance ». DĂ©sormais, tout ce qui compte rĂ©ellement pour eux, c’est de savoir Ă  qui vous allez confier leurs importants dossiers.

Dans un cas que je n’oublierai jamais, le choix Ă©vident parmi les associĂ©s Ă©tait un juriste exceptionnel qui avait littĂ©ralement dĂ©veloppĂ© l’un des groupes les plus rentables du cabinet et jouissait de la plus haute considĂ©ration de ses pairs. Avant d’accepter une mise en candidature, il avait eu la bonne idĂ©e de rencontrer quelques-uns de ses clients principaux. Il a racontĂ© comment il avait demandĂ© Ă  son plus gros client : « que penseriez-vous si je laissais quelqu’un proposer mon nom pour que je devienne le prochain prĂ©sident du cabinet? ».  Il a indiquĂ© au comitĂ© des mises en candidature ce que lui avait rĂ©pondu son client : « pensez-y bien Ă  deux fois! ». En d’autres termes, son client lui indiquait sans l’ombre d’un doute que s’il dĂ©cidait de prendre la barre du cabinet, il quitterait le navire au profit d’un concurrent.

Petit rappel : les juristes n’aiment pas ĂŞtre humiliĂ©s publiquement

Lorsqu’ils se demandent qui serait le plus apte Ă  assumer le rĂ´le de dirigeant, la plupart des cabinets tendront Ă  se tourner vers les associĂ©s qui figurent sur la liste de leurs juristes les plus talentueux chargĂ©s de nombreux dossiers. Dans ces sortes de situations contestĂ©es, un prĂ©cieux associĂ© Ă©vincĂ© pourrait se sentir très personnellement humiliĂ© et dĂ©cider de quitter le cabinet. Sachant qu’il y aura invariablement des retombĂ©es, comme sortis de nulle part, les recruteurs et chasseurs de tĂŞtes juridiques apparaissent soudainement en grand nombre lorsqu’un cabinet s’engage dans un processus Ă©lectoral contestĂ© et très publicisĂ©.

Dans l’un des cours de haut niveau Ă  l’intention des dirigeants de cabinets que j’aide Ă  animer, un confĂ©rencier dirigeant de cabinet dont le nom figurait sur la liste Global 20 a reconnu que, malgrĂ© tous ses efforts, les cinq autres juristes en lice ont tous quittĂ© le cabinet dans l’annĂ©e qui a suivi son Ă©lection.

Il peut Ă©galement s’avĂ©rer qu’une Ă©lection contestĂ©e très mĂ©diatisĂ©e dĂ©tourne l’attention de tout un chacun en raison de son degrĂ© de politisation au fil des spĂ©culations en coulisse et de l’apparition de divers « camps ». Alors que la compĂ©tition s’intensifie, il n’est pas rare de voir des associĂ©s choisir un camp : pour ou contre des candidats particuliers. Cela peut se traduire par des comportements manifestes qui nuisent au travail d’Ă©quipe et Ă  la mise en commun des connaissances. Il est en fait très frĂ©quent que lorsqu’il quitte le navire Ă  l’issue de l’Ă©lection contestĂ©e, un candidat entraĂ®ne ses partisans dans son sillage.

Ce genre de processus de succession Ă  la direction d’un cabinet est alors extrĂŞmement onĂ©reux Ă  tous Ă©gards. Mais quand allons-nous donc apprendre?

Patrick J. McKenna est un auteur, confĂ©rencier, stratège et conseiller chevronnĂ© de dirigeants des plus grands cabinets mondiaux dont la rĂ©putation internationale n’est plus Ă  faire. Il est reconnu par la grande majoritĂ© de la profession comme l’un des meilleurs experts concernant le leadership de cabinets. Il est auteur ou coauteur de huit ouvrages, y compris un livre Ă  succès international dans le domaine des affaires intitulĂ© First Among Equals: How To Manage A Group of Professionals rĂ©digĂ© avec David Maister (Free Press), et plus rĂ©cemment du livre intitulĂ© The Changing of The Guard: Selecting Your Next Firm Leader (Ark Publishing). Il collabore Ă  la direction de First 100 Days: MasterClass For The New Firm Leader, un programme annuel offert Ă  l’UniversitĂ© de Chicago.

Droit d’auteur 2017    Patrick J. McKenna