Règlement municipal concernant la modification d’un site en Ontario

  • 29 août 2023
  • Matthew Lakatos-Hayward

L’auteur fournit un survol du règlement municipal sur la modification d’un site en Ontario et aborde les limites de son pouvoir sur la réglementation des sols de déblai. Alors qu’entre en vigueur le règlement Gestion des sols sur les lieux et des sols de déblai de l’Ontario (« Règl. de l’Ont. 406/19 »)1, certaines municipalités sont contraintes de revoir leur règlement sur la modification d’un site et d’établir un cadre sur la meilleure façon de gérer et de réglementer les sols de déblai des chantiers de construction se trouvant à l’intérieur de leurs frontières.

Les municipalités à palier unique et celles de palier inférieur peuvent toutes deux interdire et réglementer les activités de modification d’un site par le biais d’un règlement2. Ce pouvoir permet aussi à ces municipalités d’établir un régime de délivrance de permis pour les activités ci-dessus et d’imposer diverses conditions3.

La province a reconnu l’importance du pouvoir municipal dans le cadre réglementaire des sols de déblai. Le règlement de l’Ontario 406/19 prévoit diverses exigences en ce qui a trait à la qualité et à la quantité des sols de déblai destinés à un site de réutilisation. Si un « acte municipal4 » traite d’exigences en matière de « qualité », alors la réglementation établit la rigueur de l’acte par rapport aux normes provinciales, comme les normes de qualité des sols de déblai (« normes des sols de déblai »5), puis impose les conditions suivantes au sol6 :

Rigueur

Condition

L’acte impose une exigence équivalente ou plus rigoureuse que la norme de qualité des sols de déblai.

La qualité des sols de déblai applicable est établie conformément aux normes sur les sols de déblai, et non à l’acte municipal7.

L’acte impose une exigence moins rigoureuse.

L’exigence énoncée dans l’acte doit être respectée.

Une analyse semblable est menée pour établir la quantité de sols permise au site de réutilisation. Si l’acte municipal ne précise pas une quantité maximale de sols pouvant être importés, mais indique la « fin bénéfique » pour laquelle les sols doivent être utilisés, alors la quantité ne doit pas surpasser la quantité requise pour cette fin bénéfique. Cependant, si l’acte traite de la quantité de sols de déblai qui sont importés, la quantité maximale décrite dans l’acte doit être respectée8.

Limites des règlements municipaux sur la modification d’un site

Bien que le pouvoir municipal sur la modification d’un site soit large, il n’est pas illimité. En particulier, un règlement municipal sur la modification d’un site ne peut s’appliquer à plusieurs activités énumérées en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalités9, qui comprend notamment la modification d’un site comme une condition à l’approbation d’un plan d’implantation, d’un plan de lotissement ou d’une autorisation, ou comme exigence d’une convention de plan d’implantation ou d’une convention de lotissement. À ce titre, de nombreux lotissements de plus grande envergure pourraient être exemptés du règlement municipal sur la modification d’un site.

D’autres exemptions statutaires peuvent aussi limiter la portée de règlements municipaux sur la modification d’un site. Par exemple, la Loi de 1998 sur la protection de l’agriculture et de la production alimentaire stipule qu’un règlement municipal n’a pas pour effet de limiter une pratique agricole normale exécutée dans le cadre d’une exploitation agricole10. Si une personne cherche à mener une « pratique agricole normale », par exemple en modifiant un site dans le but de remettre en état des terres agricoles, elle peut soumettre à la Commission de protection des pratiques agricoles normales une déclaration selon laquelle une activité constitue une pratique agricole normale et qu’un règlement municipal limite cette pratique11.

En outre, sous le régime de la Loi de 2001 sur les municipalités, les résidents d’une municipalité conservent un pouvoir discrétionnaire résiduel en vertu duquel la Cour supérieure de justice peut annuler tout ou partie d’un règlement municipal pour cause d’illégalité12.

La Loi de 2001 sur les municipalités est plutôt discrète en ce qui concerne la signification du terme « illégalité », hormis la restriction expresse à l’encontre d’une contestation par suite de caractère abusif mentionné ci-dessus. Toutefois, des tribunaux canadiens ont développé une large compréhension de l’illégalité en se fondant sur des principes bien élaborés du droit administratif et du droit constitutionnel. Deux questions fréquentes émanent lorsqu’un règlement municipal sur la modification d’un site permet à des employés municipaux d’exercer le pouvoir discrétionnaire : (1) l’imprécision et (2) la règle contre la sous-délégation.

En tant que principe fondamental de la primauté du droit, la théorie de l’imprécision inconstitutionnelle tente de veiller à ce que le droit fournisse une orientation suffisante pour que tout citoyen ou citoyenne raisonnablement intelligent ou intelligente puisse se conformer à la loi13. Un règlement municipal peut être invalide pour cause d’imprécision lorsqu’il n’est pas « suffisamment intelligible » pour fournir la base adéquate à la tenue d’un débat ou à la réalisation d’une analyse éclairée, lorsqu’il ne permet pas l’établissement d’une sphère de risque ou lorsqu’il n’offre à un tribunal aucune issue lui permettant d’exercer ses compétences en interprétation14. Compte tenu de la volonté des tribunaux à accorder aux municipalités de la latitude pour l’application de leurs règlements, l’imprécision inconstitutionnelle doit être prouvée à l’aide d’une norme stricte15.

L’exercice du pouvoir discrétionnaire peut favoriser des allégations voulant qu’un règlement municipal soit inopportunément imprécis. Si un règlement municipal habilite un fonctionnaire à exécuter une règle sans indication claire par rapport à une norme applicable, ce fonctionnaire est contraint d’exercer son jugement personnel plutôt que suivre une règle objective. En conséquence, ce pouvoir discrétionnaire peut entraîner l’application du règlement à une personne d’une certaine manière et à une autre d’une façon différente, sans que cette distinction s’appuie sur un principe intelligible. Ce type de comportement constitue un manquement à la primauté du droit et peut rendre nul un règlement.

Bien que l’imprécision inconstitutionnelle s’applique aux règlements municipaux de modification d’un site de la même manière de tout autre règlement, les normes et les conditions relatives à la modification du site sont souvent mentionnées de façon claire et précise. Cependant, cela ne revient pas à dire qu’il est impossible de contester un règlement de modification de site pour cause d’imprécision. « Ce qui fait plus problème, ce ne sont pas tant des termes généraux conférant un large pouvoir discrétionnaire, que des termes qui ne donnent pas, quant au mode d’exercice de ce pouvoir, d’indications permettant de le contrôler16. »

La règle allant à l’encontre de la sous-délégation est intimement liée à l’imprécision inconstitutionnelle; il est interdit aux municipalités de déléguer illicitement des pouvoirs législatifs et judiciaires sans autorisation législative expresse. Cela n’interdit pas aux municipalités de sous-déléguer des tâches administratives à des employés, y compris la capacité de délivrer des licences ou d’imposer des conditions. Néanmoins, des pouvoirs administratifs peuvent être « convertis » en pouvoirs législatifs si le personnel jouit d’une grande liberté dans l’exercice de son pouvoir discrétionnair17. À cette fin, les municipalités devraient envisager l’établissement de normes pour orienter les employés dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Autrement, la délégation d’un tel pouvoir à un fonctionnaire lui permettrait d’exercer cette autorité en toute liberté ou d’établir les normes à appliquer pour chaque cas de modification de site18.

Conclusion

Bien que la modification d’un site soit une question de plus en plus régionale, cette question doit être abordée en tenant compte des circonstances uniques de chaque municipalité. Ces tensions révèlent le défi continu de trouver l’équilibre entre les intérêts provinciaux souvent contradictoires de la promotion de la croissance et de la densification par rapport au besoin de protéger l’environnement et la collectivité contre des effets néfastes.

L’article a déjà été publié sur le site Web de la Section du droit municipal de l’ABO.


Matthew Lakatos-Hayward est avocat chez Goodmans.

NOTES DE FIN

1 Règlement de l’Ontario 406/19

2 Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, par. 142(1); consultez aussi les paragraphes 10, 11, 128, 129 [Loi de 2001 sur les municipalités].

3 Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, par. 142(2); le paragraphe 142(3) permet également à toute municipalité de palier inférieur de déléguer son autorité à une municipalité de palier supérieur par le biais d’un accord; consultez aussi la Loi de 2006 sur la cité de Toronto, L.O. 2006, chap. 11, annexe A, par. 105(1) [Loi de 2006 sur la cité de Toronto].

4 Le règlement de l’Ontario 406/19, par. 3(2)⁋4, précise que les actes municipaux doivent inclure un permis délivré aux termes d’un règlement sur la modification d’un site, un permis délivré en vertu d’un règlement de modification d’un site, une approbation prévue par la Loi sur l’aménagement du territoire, un permis ou une licence délivrés en vertu de la Loi sur les ressources en agrégats et d’autres actes s’appliquant à des sites en particulier.

5 Voir Règles sur la gestion des sols et normes de qualité des sols de déblai (2020), disponible en ligne.

6 Règlement de l’Ontario 406/19, par. 4(2).

7 Règlement de l’Ontario 406/19, par. 5(1).

8 Idem, par. 4(4).

9 Loi de 2001 sur les municipalités, par. 142(5); consultez aussi la Loi de 2006 sur la cité de Toronto, par. 105(2).

10 Loi de 1998 sur la protection de l’agriculture et de la production alimentaire, L.O. 1998, chap. 1, par. 6(1).

11 Consultez, pour un exemple, Snieg c. Corporation of the Town of New Tecumseth, 2016 CanLII 66268 (CPPAN ON).

12 Loi de 2001 sur les municipalités, par. 273(1); consultez aussi la note 2 ci-dessus sur la Loi de 2006 sur la cité de Toronto, par. 214(1).

13 Multani c. Marguerite-Bourgeoys (Commission scolaire), 2006 SCC 6 au par. 117, [2006] 1 R.C.S. 256; Neighbourhoods of Windfields Ltd Partnership c. Death (2007), 49 MPLR (4e) 169, 2007 CarswellOnt 9504 au par. 18 [Death].

14 Wainfleet Wind Energy Inc c. Wainfleet (Township), 2013 ONSC 2194 au par. 31, 115 OR (3d) 64 [Wainfleet]; Adult Entertainment Association of Canada c. Ville d’Ottawa, 2007 ONCA 389 au par. 53, 283 DLR (4e) 704 [Adult Entertainment]; Death, citant Canada c. Pharmaceutical Society (Nova Scotia), [1992] 2 R.C.S. 606 à 639 [Nova Scotia Pharma].

15 Nova Scotia Pharma, consultez aussi la note ci-dessus à 639; Death, note ci-dessus au par. 26; voyez aussi Adult Entertainment Association of Canada au par. 53 : « Cependant, la langue n’est pas un outil exact et on ne peut attendre du droit qu’il prédise les conséquences juridiques de tout comportement potentiel » (traduction libre).

16 Nova Scotia Pharma, à 612; la Cour d’appel de l’Ontario a mis en application le raisonnement du juge Gonthier par rapport à un règlement municipal permettant à la ville d’Ottawa de réglementer certains aspects des clubs de divertissement pour adultes dans l’affaire Adult Entertainment Association of Canada, idem.

17 Restaurant Vic inc. c. Ville de Montréal, [1959] R.C.S. 58 à 64, 17 DLR (2d) 81 [Vic Restaurant].

18 Consultez Forst; Vic Restaurant; Stewart c. Cité de Victoria (1992), 38 ACWS (3d) 172, [1993] BCWLD 671; Kirkpatrick c. Maple Ridge (1980), 14 MPLR 19, 119 DLR (3d) 598, examiné pour autres motifs, 49 BCLR 134 (BCCA), conf. [1986] 2 R.C.S. 124.