Cour divisionnaire de l’Ontario : la décision de retirer des annonces « choquantes » affichées sur un abribus et le refus de la ville de s’immiscer dans le différend ne sont pas soumis au contrôle judiciaire

  • 22 mai 2020
  • Christopher Wirth and Shamim Fattahi

Dans la dĂ©cision People for the Ethical Treatment of Animals, Inc. v. City of Toronto, 2020 ONSC 2356 (en anglais seulement), la Cour divisionnaire de l’Ontario a rejetĂ© une demande de contrĂ´le judiciaire d’une dĂ©cision prise par une sociĂ©tĂ© de retirer une annonce placĂ©e dans un abribus par un groupe de dĂ©fense des animaux qui visait Canada Goose, et du refus de la ville d’exiger que les annonces soient de nouveau affichĂ©es en vertu de son contrat de location-bail.

Contexte

En aoĂ»t 2018, People for the Ethical Treatment of Animals, Inc. a signĂ© une entente avec Astral Media Outdoors L.P., aux termes de laquelle cette dernière acceptait d’afficher les annonces de PETA dans quatre abribus. Ces annonces faisaient partie de la campagne publicitaire de PETA contre le fabricant de manteaux Canada Goose et comportait les mots « Boycott Canada Goose ». L’entente signĂ©e par PETA autorisait expressĂ©ment Astral Ă  enlever tout contenu qu’elle considĂ©rait inacceptable, contraire Ă  ses politiques commerciales ou enfreignant une loi quelconque , sous rĂ©serve de rembourser PETA.

Astral construisait, possĂ©dait et entretenait les abribus au nom d’un contrat de location-bail passĂ© avec la ville de Toronto l’autorisant Ă  construire les abribus en contrepartie du versement Ă  la ville d’un pourcentage de ses revenus publicitaires. L’accord d’Astral conclu avec la ville l’obligeait Ă  respecter certaines normes de publicitĂ© selon lesquelles elle ne pouvait afficher d’annonces [TRADUCTION] « choquantes pour le public pour des raisons religieuses, raciales ou autres » et autorisait la ville Ă  examiner les annonces dont Astral s’inquiĂ©tait qu’elles pouvaient ne pas satisfaire aux exigences. Cette entente autorisait en outre la ville Ă  exiger d’Astral qu’elle retire les annonces interdites ou choquantes. Toutefois, elle n’octroyait aucun pouvoir Ă  la ville lui permettant d’obliger Astral Ă  afficher les annonces d’une sociĂ©tĂ© particulière ou Ă  examiner sa dĂ©cision de ne pas afficher d’annonce.

Le jour mĂŞme de l’affichage des annonces, Astral a informĂ© PETA qu’elle les avait retirĂ©es après avoir reçu une plainte de Canada Goose. La ville n’avait pas participĂ© Ă  la dĂ©cision d’enlever les annonces. C’est une lettre de PETA lui demandant d’ordonner Ă  Astral d’afficher les annonces qui l’a informĂ©e du problème. La ville a refusĂ© de le faire, dĂ©clarant se trouver dans l’incapacitĂ© de conclure que les mesures prises enfreignaient la lĂ©gislation applicable.

PETA a dĂ©posĂ© une demande de contrĂ´le judiciaire de la dĂ©cision d’Astral de retirer les annonces et de la dĂ©cision de la ville de ne pas obliger Astral Ă  les afficher de nouveau.

DĂ©cision de la Cour divisionnaire

PETA et l’intervenante, Animal Justice Canada, affirmaient que les dĂ©fenderesses, soit Astral et la ville, avaient manquĂ© Ă  une obligation d’Ă©quitĂ© procĂ©durale envers PETA car elle n’avait pas Ă©tĂ© informĂ©e prĂ©alablement au retrait des annonces. Elles affirmaient en outre que les droits de PETA Ă  la libertĂ© d’expression en vertu du paragraphe 2b) de la Charte avaient Ă©tĂ© violĂ©s. PETA demandait Ă  la Cour de rendre une ordonnance de nature certiorari et mandamus intimant Ă  Astral ou Ă  la ville d’afficher les annonces de nouveau.

En rĂ©ponse, la ville et Astral soutenaient que leurs dĂ©cisions ne pouvaient faire l’objet d’un contrĂ´le judiciaire car elles dĂ©coulaient d’un contrat privĂ© entre PETA et Astral. Elles soutenaient qu’aucun droit protĂ©gĂ© par la Charte n’Ă©tait en jeu en raison de la nature privĂ©e du litige et, Ă  titre subsidiaire, qu’il n’y avait eu aucune violation de l’Ă©quitĂ© procĂ©durale.

La Cour a conclu que les dĂ©cisions en cause ne pouvaient pas faire l’objet d’un contrĂ´le judiciaire et qu’elle n’avait pas compĂ©tence Ă  l’Ă©gard des litiges entre les parties. Elle a rejetĂ© la demande.

Pour parvenir Ă  cette conclusion, la Cour a appliquĂ© les principes Ă©noncĂ©s dans l’arrĂŞt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, qui limitaient la possibilitĂ© du recours au contrĂ´le judiciaire au cas oĂą il existe un exercice du pouvoir Ă©tatique ayant un caractère suffisamment public. La Cour a en outre appliquĂ© le critère Ă©noncĂ© dans l’arrĂŞt Air Canada c. Administration Portuaire De Toronto Et Al, 2011 CAF 347 dans lequel Ă©taient Ă©tudiĂ©s les facteurs pertinents pour trancher la question de savoir si un litige se trouve dans les limites de la portĂ©e du droit public au point de l’assujettir Ă  un possible contrĂ´le judiciaire. La Cour a rejetĂ© les arguments d’Animal Justice selon lesquels ces principes et ce critère n’Ă©taient pas applicables en l’espèce car des droits protĂ©gĂ©s par la Charte Ă©taient en cause. La Cour a prĂ©fĂ©rĂ© affirmer que la première question prĂ©liminaire Ă©tait celle de savoir si l’affaire pouvait ĂŞtre entendue en tant que demande de contrĂ´le judiciaire.

Appliquant les facteurs Ă©noncĂ©s dans l’arrĂŞt Air Canada, la Cour a conclu que la dĂ©cision d’Astral ne revĂŞtait pas un caractère suffisamment public pour la rendre passible d’un contrĂ´le judiciaire. Plus particulièrement, la question Ă©tait essentiellement un litige privĂ© de nature contractuelle entre Astral et PETA. La Cour a soulignĂ© la diffĂ©rence entre les affaires dans lesquelles des annonces affichĂ©es sur des autobus publics avaient Ă©tĂ© rĂ©putĂ©es rĂ©gies par le paragraphe 2b) de la Charte et l’affaire en l’espèce puisque PETA s’opposait Ă  une dĂ©cision prise en vertu d’un contrat privĂ© plutĂ´t qu’au nom d’une politique municipale, et que les abribus utilisĂ©s comme supports des annonces Ă©taient la propriĂ©tĂ© d’Astral qui les gĂ©rait malgrĂ© le fait qu’ils soient situĂ©s dans des lieux publics. En outre, Astral Ă©tait une sociĂ©tĂ© privĂ©e qui ne fonctionnait ni en qualitĂ© de mandataire de la ville, ni en tant qu’entitĂ© gouvernementale, et sa dĂ©cision de retirer les annonces n’Ă©tait pas fondĂ©e sur une loi. Astral n’exerçait aucune forme de pouvoir de contrainte Ă©tatique lorsqu’elle a retirĂ© les annonces de PETA et les recours en droit public n’Ă©taient pas appropriĂ©s en l’espèce. La dĂ©cision d’Astral ne tombait pas non plus dans la « catĂ©gorie d’affaires exceptionnelles » comportant une mesure qui « a des consĂ©quences exceptionnelles et très graves sur les droits d’un large secteur de la population » au point de constituer « une question de nature publique ».

La Cour a Ă©galement conclu que pour un grand nombre des mĂŞmes motifs, la dĂ©cision de la ville de refuser d’exiger d’Astral qu’elle affiche de nouveau les annonces ne pouvait pas faire l’objet d’un contrĂ´le judiciaire. Il n’existait aucune relation contractuelle ou autre relation juridique entre PETA et la ville. La question Ă©tait un simple diffĂ©rend de nature contractuelle entre PETA et Astral; diffĂ©rend dans lequel la ville a refusĂ© de s’immiscer. La participation de la ville au litige n’Ă©tait pas liĂ©e Ă  ses responsabilitĂ©s publiques et son contrat avec Astral ne lui octroyait aucun pouvoir pour obliger Astral Ă  afficher les annonces de nouveau.  

Enseignements

Comme le dĂ©montre cette affaire, lorsque la dĂ©cision en question a Ă©tĂ© prise en vertu d’une entente privĂ©e, elle ne pourra faire l’objet d’aucun contrĂ´le judiciaire si la nature du litige est essentiellement celle d’un diffĂ©rend commercial privĂ©, mĂŞme lorsqu’elle a trait Ă  l’utilisation d’un bien public.

Christopher Wirth est associé et Shamim Fattahi est stagiaire dans le cabinet Keel Cottrelle LLP.