Représentation juridique des enfants

Justiciabilité des droits

« Les droits ne sauraient avoir de sens si l’on ne dispose pas de recours efficaces pour obtenir rĂ©paration en cas de violation...… En consĂ©quence, les États doivent veiller tout particulièrement Ă  ce que les enfants et leurs reprĂ©sentants disposent de mĂ©canismes efficaces adaptĂ©s aux besoins de l’enfant. Il convient notamment de veiller Ă  ce que les enfants obtiennent des informations et des conseils adaptĂ©s Ă  leur situation, Ă  ce que leur cause soit dĂ©fendue ou Ă  ce qu’ils soient aidĂ©s Ă  la dĂ©fendre eux mĂŞmes et Ă  ce qu’ils aient accès Ă  des mĂ©canismes indĂ©pendants d’examen de plaintes et aux tribunaux en bĂ©nĂ©ficiant de toute l’assistance dont ils ont besoin, notamment sur le plan juridique [...]  »

Observation gĂ©nĂ©rale no 5 [OG n5]
Mesures d’application gĂ©nĂ©rales de la Convention relative aux droits de l’enfant
(art. 4, 42 et 44, par. 6), (2003).

La prĂ©sente section traite de la reprĂ©sentation juridique et n’aborde pas les autres formes de reprĂ©sentation, de soutien, de conseils ou d’information dont peuvent disposer les jeunes dans le cadre des processus judiciaires et administratifs au Canada.

Plusieurs dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies (« la Convention ») appuient le droit de l’enfant Ă  une reprĂ©sentation juridique, notamment :

  • Article 3 – L’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant est une considĂ©ration primordiale devant les tribunaux et les autoritĂ©s administratives, et les États parties doivent prendre toutes les mesures juridiques et administratives appropriĂ©es pour assurer Ă  l’enfant la protection et les soins nĂ©cessaires Ă  son bien-ĂŞtre.
  • Article 4 – Les États parties s’engagent Ă  prendre toutes les mesures lĂ©gislatives, administratives et autres qui sont nĂ©cessaires pour mettre en Ĺ“uvre les droits reconnus dans la Convention.
  • Article 12 – Ă€ cette fin, on donnera notamment Ă  l'enfant la possibilitĂ© d'ĂŞtre entendu dans toute procĂ©dure judiciaire ou administrative l'intĂ©ressant, soit directement, soit par l'intermĂ©diaire d'un reprĂ©sentant ou d'une organisation appropriĂ© [sic], de façon compatible avec les règles de procĂ©dure de la lĂ©gislation nationale.
  • Sous-alinĂ©a 40(2)b)(ii) – Un enfant accusĂ© d’un crime bĂ©nĂ©ficie d’une assistance juridique pour la prĂ©paration de sa dĂ©fense.

Des garanties procĂ©durales telles que la reprĂ©sentation juridique compĂ©tente des enfants sont nĂ©cessaires pour garantir la mise Ă  effet de l’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant (OG n13) et l’accès de l’enfant Ă  la justice. C’est tout particulièrement important lorsque l’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant doit ĂŞtre officiellement Ă©valuĂ© et dĂ©terminĂ© par les tribunaux ou des organes Ă©quivalents tels que des organes administratifs. En particulier, l’enfant doit se voir attribuer un conseil juridique en sus du tuteur ou du reprĂ©sentant chargĂ© d’exposer ses vues s’il y a un risque de conflit entre les parties impliquĂ©es dans la dĂ©cision (OG no 14, par. 96). L’assistance juridique peut adopter diverses formes, notamment celles de l’avocat dĂ©fenseur, de l’ami de la cour et du tuteur Ă  l’instance. La reprĂ©sentation juridique de l’enfant (RJE) varie Ă©normĂ©ment selon le mode et la disponibilitĂ© au Canada : elle varie d’une rĂ©gion Ă  l’autre et d’un domaine du droit Ă  l’autre. La RJE existait avant la crĂ©ation de la Convention. (Voir M.J.J. McHale, « The Proper Role of the Lawyer as Legal Representative of the Child », (1980) 18 Alta L Rev 216, en ligne. Cet article a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© dans le contexte des procĂ©dures pĂ©nales visant les jeunes au cours des annĂ©es 1970. Les lois de la Nouvelle-ZĂ©lande autorisent la dĂ©signation d’un conseil juridique pour les enfants dans tous les litiges relatifs Ă  la garde et aux droits de visite depuis 1968. En Ontario, les origines du Bureau de l’avocat des enfants remontent Ă  1826, lorsque le lord Chancelier du Haut-Canada a dĂ©signĂ© un membre influent du Barreau comme « tuteur Ă  l’instance » pour reprĂ©senter les intĂ©rĂŞts des enfants devant un tribunal; le Bureau du tuteur public, prĂ©dĂ©cesseur de l’actuel Bureau de l’avocat des enfants, a Ă©tĂ© officiellement reconnu en 1881. En Alberta, la nomination d’un avocat pour les enfants est une disposition qui existe dans les lois sur la protection de l’enfance depuis 1984. Les enfants avaient une capacitĂ© juridique en vertu de la Domestic Relations Act de l’Alberta (maintenant abrogĂ©e) depuis 1942.) Cependant, ces dernières annĂ©es, avec l’attention accrue portĂ©e aux droits des enfants, la RJE a commencĂ© Ă  retenir davantage l’attention et elle est maintenant devenue un domaine du droit qui est en expansion.

Un rĂ©cent rapport rĂ©digĂ© par Lovinsky et GagnĂ©, La reprĂ©sentation juridique des enfants au Canada (Section de la famille, des enfants et des adolescents, ministère de la Justice, 2015), rĂ©sume la situation actuelle en ce qui concerne la RJE au pays.

Au Canada, les enfants sont plus susceptibles d’ĂŞtre reprĂ©sentĂ©s par des conseillers juridiques dans les affaires relevant du droit pĂ©nal, de la protection de l’enfance et du droit de la famille. En vertu de la loi, les enfants doivent se voir attribuer un conseiller juridique dans les affaires pĂ©nales; en consĂ©quence, ils disposent d’une reprĂ©sentation juridique dans ce domaine presque partout au Canada. Dans les autres domaines, l’Alberta et l’Ontario disposent de la RJE la plus robuste.

Le rapport de Lovinksy et GagnĂ© fournit des renseignements sur le Bureau de l’avocat des enfants (BAE) en Ontario, qui est un modèle riche et respectĂ© de RJE au Canada, ainsi que dans le monde entier, et qui assure une reprĂ©sentation aux enfants dans des procĂ©dures en droit de la famille (y compris la protection de l’enfance) et dans des affaires relatives aux droits de propriĂ©tĂ©. Justice pour les enfants et les jeunes, maintenant devenue une clinique d’Aide juridique Ontario, reprĂ©sente aussi les enfants dans des domaines oĂą la RJE de l’Ontario n’offre gĂ©nĂ©ralement pas de services. La RJE de l’Alberta compte trois organes de services : l’Office of the Child and Youth Advocate (protection de l’enfance); Legal Aid Alberta (garde et droits de visite/responsabilitĂ©s parentales; enfin, le Children’s Legal and Educational Resource Centre, ou CLERC (toutes les affaires de droit civil, Ă  l’exclusion de la protection de l’enfance). La RJE est rĂ©cemment devenue disponible en Saskatchewan en ce qui concerne la protection de l’enfance. Les Territoires du Nord-Ouest ont mis sur pied un Bureau de l’avocat des enfants pour assurer la RJE dans les affaires de garde et d’accès et de protection de l’enfance.

RĂ´le et responsabilitĂ©s de l’avocat

Les obligations de l’avocat d’un enfant ne se limitent pas Ă  la simple communication des opinions de l’enfant aux dĂ©cideurs. L’avocat doit se comporter dans toute la mesure possible comme s’il Ă©tait l’avocat-conseil d’un adulte, conformĂ©ment Ă  ses codes de dĂ©ontologie fĂ©dĂ©ral, provincial-territorial et professionnel. La reprĂ©sentation juridique compĂ©tente d’un enfant exige que l’avocat soit conscient de cette responsabilitĂ©, et plus encore, compte tenu des vulnĂ©rabilitĂ©s particulières de l’enfant et des questions liĂ©es Ă  sa capacitĂ©. L’avocat doit faire preuve d’une vigilance particulière et suivre d’aussi près que possible les règles de procĂ©dure et de preuve afin d’assurer une reprĂ©sentation adĂ©quate des intĂ©rĂŞts du client mineur ainsi que l’Ă©quitĂ© pour les parties.

La position de l’avocat Ă  titre de reprĂ©sentant, particulièrement dans les affaires concernant la protection de l’enfance, la garde et l’accès ainsi que les responsabilitĂ©s parentales, est un aspect controversĂ© de la RJE. Ce sujet a fait couler beaucoup d’encre et les rĂ´les possibles ont Ă©tĂ© dĂ©signĂ©s par des appellations variĂ©es et dĂ©crits dans de nombreux articles (p. ex. voir Bala et Hensley, Alta L Rev, vol. 43, no 4, mai 2006). Dans la perspective des droits de l’enfant, seul un avocat qui agit en tant que dĂ©fenseur de l’enfant se consacre entièrement au respect des droits de ce dernier. Le tribunal est le client de tout avocat qui assume un rĂ´le d’« ami de la cour » (amicus curiae); un adulte reprĂ©sentant l’enfant est le client de l’avocat qui agit en tant que tuteur Ă  l’instance (curator ad litem); et l’on pourrait soutenir qu’un avocat qui dĂ©fend uniquement l’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant n’a pas de client du tout. La RJE consiste Ă  expliquer d’une façon adaptĂ©e Ă  l’enfant la nature de la loi et les options dont l’enfant client dispose, Ă  adopter une position conforme aux opinions exprimĂ©es par l’enfant, ou Ă  ses « instructions », et Ă  intercĂ©der en sa faveur en consĂ©quence.

Il ne faut pas confondre la reprĂ©sentation de l’« intĂ©rĂŞt » d’un enfant client et la dĂ©fense de l’« intĂ©rĂŞt supĂ©rieur » des enfants. L’intĂ©rĂŞt de l’enfant est son intĂ©rĂŞt individuel Ă  titre de client, et non pas un intĂ©rĂŞt supĂ©rieur dĂ©crĂ©tĂ© par des adultes, ou par l’avocat lui-mĂŞme en fonction de ses propres opinions ou points de vue sur la nature des intĂ©rĂŞts d’un enfant. 

Confidentialité

Sous rĂ©serve de dispositions lĂ©gislatives contraires, l’avocat est tenu de maintenir la confidentialitĂ© et le secret professionnel Ă  l’Ă©gard de son client mineur et d’obtenir des instructions de sa part avant de divulguer toute information obtenue dans le cadre de ses activitĂ©s de reprĂ©sentation de l’enfant. 

AliĂ©nation parentale et protection de l’enfant 

Dans les affaires oĂą un enfant exprime une prĂ©fĂ©rence ou prend position en ce qui concerne une question litigieuse, l’aliĂ©nation par rapport Ă  l’un des parents est frĂ©quemment allĂ©guĂ©e. Dans l’ouvrage Children Who Resist Postseparation Parental Contact (Oxford University Press, 2013), les auteurs Fidler, Bala et Saini indiquent qu’il n’existe pas de dĂ©finition admise de l’aliĂ©nation parentale et qu’il ne peut donc y avoir aucun diagnostic confirmĂ© ni recours. Il peut ĂŞtre particulièrement difficile de reprĂ©senter l’enfant dans le cadre d’une instance relative Ă  la garde et aux droits de visite ou aux responsabilitĂ©s parentales lorsque de telles allĂ©gations sont faites. Les spĂ©cialistes de la santĂ© mentale prĂ©fèrent souvent qu’un avocat-conseil ne soit pas dĂ©signĂ© pour un jeune se trouvant dans une situation oĂą il est victime d’une manipulation considĂ©rable de la part de l’un des parents. Il n’y a pas de rĂ©ponse facile en ce qui a trait Ă  la ligne de conduite que l’avocat de l’enfant devrait adopter dans de telles circonstances.

ReprĂ©senter et dĂ©fendre un enfant qui est aliĂ©nĂ© de l’un de ses parents peut engendrer une situation oĂą l’avocat de l’enfant subit des critiques et se heurte Ă  une rĂ©sistance. En tant que reprĂ©sentant juridique de l’enfant, l’avocat doit s’efforcer de protĂ©ger les intĂ©rĂŞts de celui-ci, tout en devant parfois prendre en compte des obligations Ă©thiques concurrentes envers l’enfant et envers le tribunal. Les options pour surmonter ces problèmes peuvent notamment consister Ă  adopter une position d’ami de la cour ou Ă  chercher Ă  se retirer du dossier, le rĂ´le pouvant devenir incompatible avec celui d’un reprĂ©sentant juridique. Ou encore, une Ă©valuation de la santĂ© mentale peut s’avĂ©rer une meilleure approche, permettant de faire connaĂ®tre au tribunal les opinions de l’enfant dans le cadre de l’examen de la situation Ă©pineuse et de la dynamique interpersonnelle complexe qui existent lorsqu’un enfant devient hostile envers l’un de ses parents.

Preuve produite par l’enfant

La prĂ©sentation au tribunal du tĂ©moignage de l’enfant est une autre question Ă©pineuse en matière de RJE. Dans bien des territoires de compĂ©tence, mais non dans tous, les tribunaux Ă©prouvent de la rĂ©ticence Ă  obtenir directement le tĂ©moignage d’un enfant (par tĂ©moignage de vive voix, affidavit ou entretien avec le juge), particulièrement dans le contexte du droit de la famille. Les pratiques varient d’un ressort Ă  l’autre et d’un tribunal Ă  l’autre. Une mĂ©thode potentiellement efficace de prĂ©sentation de la preuve de l’enfant consiste Ă  travailler en partenariat avec un professionnel de la santĂ© mentale, ce qui permet Ă  l’avocat de conserver son rĂ´le de dĂ©fenseur tout veillant Ă  ce que les Ă©lĂ©ments de preuve pertinents que l’enfant peut produire soient prĂ©sentĂ©s aux dĂ©cideurs. (Voir Strobridge v. Strobridge, (1994) 18 O.R. (3d) 753 (Ont. C. A.), et R.M. v. J.S., 2013 ABCA 441.) Cette possibilitĂ© est compatible avec l’article 12 de la Convention.

Qualité de partie au litige

Dans la plupart des situations de RJE, l’enfant ne possède pas la qualitĂ© de partie au litige. En consultant l’enfant, l’avocat devrait envisager si l’obtention de la qualitĂ© de partie au litige serait avantageuse pour les intĂ©rĂŞts de celui-ci. Par exemple, dans le contexte du droit de la famille, un parent peut chercher Ă  faire respecter une ordonnance du tribunal contre l’enfant. La qualitĂ© de partie au litige peut faciliter le respect, mais placer l’enfant dans une situation difficile.

La prĂ©sente section de la trousse d’outils donne un aperçu gĂ©nĂ©ral de certaines des questions dĂ©licates qui sont inhĂ©rentes Ă  la reprĂ©sentation des enfants, particulièrement dans les affaires non pĂ©nales. Il conviendra d’examiner Ă©galement d’autres sections de la trousse, notamment celles traitant de la participation de l’enfant, de l’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant, de la capacitĂ© et de la protection de la vie privĂ©e, de mĂŞme que des questions particulières dans la section des domaines juridiques de la trousse qui prĂ©sentent des considĂ©rations spĂ©ciales et des pratiques essentielles liĂ©es Ă  la reprĂ©sentation des enfants dans des champs de pratique particuliers. Vous souhaiterez peut-ĂŞtre aussi communiquer avec un spĂ©cialiste du domaine pour obtenir des renseignements, une assistance et des conseils dans l’Ă©ventualitĂ© oĂą vous agiriez en tant que reprĂ©sentant d’un enfant.

Ressources

  • Ministère de la Justice du Canada, La reprĂ©sentation juridique des enfants au Canada, par Debra Lovinsky et Jessica GagnĂ©, (Ottawa : Section de la famille, des enfants et des adolescents, Ministère de la Justice, 2015), en ligne.
  • MJJ McHale, « The Proper Role of the Lawyer as Legal Representative of the Child » (1980) 18:2  Alta L Rev 216.
  • Nicholas Bala, « Child Representation in Alberta: Role and Responsibilities of Counsel for the Child in Family Proceedings » (2006) 43:4 Alta L Rev 845.
  • Dale Hensley, « Role and Responsibilities of Counsel for the Child in Alberta: A Practitioner’s Perspective and a Response to Professor Bala » (2006) 43:4 Alta L Rev 870.
  • Barbara Jo Fidler, Nicholas Bala & Michael A. Saini, « Children Who Resist Postseparation Parental Contact » (New York:Oxford University Press, 2013).
  • Nicholas Bala  et al., « Alienation, children and parental separation: Legal responses in Canada’s family courts » (2007) 33 Queen’s LJ 79.
  • Clare E Burns, « Child Clients: An Ongoing Ethical Dilemma » en ligne.