Sauvegardées et cadenassées

  • 22 janvier 2014
  • Jason Scott Alexander

Dans un contexte oĂą les cabinets rĂ©duisent leurs effectifs et prennent des mesures pour diminuer leurs coĂ»ts et ainsi demeurer concurrentiels, la capacitĂ© de l’infonuagique de servir de dĂ©pĂ´t central pour Ă  peu près tout, tout en Ă©liminant pratiquement les besoins en serveurs coĂ»teux, est un très gros attrait. Ajoutez Ă  cela les logiciels-services en ligne, grâce auxquels les avocats peuvent constituer des groupes de travail ad hoc autour de fichiers partagĂ©s, et vous obtenez tout Ă  coup une très puissante plateforme de collaboration pour une gestion souple et modulable de votre cabinet.

Il est vrai que cela n’Ă©tait pas la principale prĂ©occupation de Russell Alexander lorsqu’il a dĂ©cidĂ© d’unifier les donnĂ©es de son cabinet familial de Lindsay (Ontario), petit mais en croissance, il y a sept ans. DĂ©jĂ  lourdement investi dans un rĂ©seau client-serveur traditionnel reliĂ© Ă  un deuxième bureau Ă  Whitby, puis Ă  un troisième Ă  Markham, l’information stockĂ©e Ă  un endroit Ă©tait dupliquĂ©e et archivĂ©e dans d’autres endroits, offrant Ă  la fois un accès Ă  partir des diffĂ©rents bureaux et une sĂ©curitĂ© par la redondance.

Peu de temps après, le cabinet a commencĂ© Ă  numĂ©riser tous les documents papier envoyĂ©s ou reçus et Ă  les sauvegarder sur le serveur dans le but de migrer vers un environnement de travail presque sans papier. C’est Ă  ce moment-lĂ  qu’Alexander s’est dit « eurĂŞka! » et a dĂ©cidĂ© d’ajouter Ă  ce cocktail la centralisation des donnĂ©es.

« Nous sommes maintenant en mesure d’utiliser une application Web qui s’appelle Dropbox », explique-t-il, montrant avec quelle aisance un groupe de fichiers peut ĂŞtre dĂ©placĂ© de son serveur vers « le nuage », d’un seul mouvement de souris.

« Alors, si je suis au tribunal de la famille et que je dois patienter quelques heures, je peux non seulement rĂ©pondre Ă  mes courriels, mais aussi travailler sur tous mes documents Ă  l’aide de mon iPad, exactement comme si j’Ă©tais assis Ă  mon bureau. De la mĂŞme façon, si je suis en rĂ©gion Ă©loignĂ©e et qu’il y a une tempĂŞte de neige ou quelque chose du genre, mon Ă©quipe et moi pouvons continuer Ă  travailler de la maison ou de n’importe quel autre endroit. La capacitĂ© d’accĂ©der Ă  distance Ă  notre travail a Ă©tĂ© le vĂ©ritable changement dans notre cabinet », assure-t-il.

La guerre des services

Avec des centaines de services d’archivage en ligne, choisir celui qui convient Ă  votre cabinet peut reprĂ©senter un dĂ©fi. Chaque service a ses forces : certains sont de simples casiers Ă  fichiers, conçus pour les utilisateurs solitaires, alors que la majoritĂ© offre certains contrĂ´les personnalisables de partage et une gestion intelligente de vos diffĂ©rents ordinateurs et appareils mobiles.

D’autres encore vont au-delĂ  des simples tâches d’archivage pour rĂ©pondre Ă  des besoins et des situations très spĂ©cifiques. Jay Fleischman, avocat de New York spĂ©cialisĂ© en droit des faillites et en marketing juridique en ligne, utilise un de ces services depuis plusieurs annĂ©es.

« J’adore Evernote », s’exclame-t-il, dĂ©crivant le produit comme un service de stockage Ă  long terme avec des fonctions de recherche sĂ©mantique — oĂą le nuage se souvient de tout, ou en donne l’impression —, parfaitement conçu pour ces bouts d’information hĂ©tĂ©roclites qui sont habituellement Ă©parpillĂ©s.

« C’est un peu l’Ă©quivalent d’un classeur Ă  anneau », poursuit Fleischman. « Je l’utilise pour prendre des notes et conserver mes mĂ©mos audio. Mais je l’utilise aussi pour sauvegarder des photos et des vidĂ©os, des idĂ©es pour mon blogue, des articles “Ă  lire plus tard”, ou des extraits de courriels. Ou si je travaille sur un dossier particulièrement gros et que j’ai besoin d’organiser les adresses URL et les ressources qui surgissent pendant mes recherches sur Internet, je vais aussi utiliser Evernote. »

Les juristes ont trouvĂ© d’autres usages très crĂ©atifs Ă  Evernote. Une utilisatrice a expliquĂ© sur Internet qu’elle griffonnait ses notes pour ses dossiers sur un bloc de papier lĂ©gal et qu’elle les prenait en photo avec son tĂ©lĂ©phone intelligent. Une fois dans Evernote, ces notes pouvaient ĂŞtre retrouvĂ©es plus tard, notamment grâce Ă  l’estampille temporelle automatique, Ă  la date de crĂ©ation et Ă  la balise de gĂ©olocalisation de l’endroit oĂą la photo avait Ă©tĂ© prise.

Pour Felix Tang, associĂ© chez Innovate s.e.n.c.r.l. Ă  Toronto — un cabinet d’avocats novateur entièrement converti Ă  l’infonuagique —, c’est le besoin de gĂ©rer et de protĂ©ger sa propre propriĂ©tĂ© intellectuelle dĂ©jĂ  placĂ©e en ligne qui l’a menĂ© Ă  un autre service unique appelĂ© Backupify, spĂ©cialisĂ© dans l’archivage de contenu personnel sur des sites sociaux comme Facebook, LinkedIn, Blogger et Flickr.

« Allez-vous rĂ©ellement commencer Ă  faire manuellement des copies de sauvegarde de tous vos comptes de mĂ©dias sociaux sur une base rĂ©gulière? Probablement pas. Mais seriez-vous prĂŞt Ă  verser Ă  une compagnie de 3 Ă  5 dollars par mois pour qu’elle s’en charge? J’en suis au stade de dire oui, surtout parce que la prĂ©sence de mon cabinet dans les mĂ©dias sociaux est en croissance », confie Tang.

Soulignant d’autre part que les solutions Ă©conomiques et tournĂ©es vers l’avenir sont essentielles pour son jeune cabinet, Tang prĂ©fère avoir recours Ă  ce qu’il appelle un « croisement optimal », une approche oĂą l’on combine plusieurs services infonuagiques gratuits ou Ă  prix modique, en s’assurant toujours de choisir des produits conçus pour durer. Il ne dispose pas de règles absolues pour faire ses choix, seulement de lignes directrices et de principes gĂ©nĂ©raux, comme le fait d’ĂŞtre propriĂ©taire des donnĂ©es, de pouvoir les retirer et de pouvoir compter sur des solutions qui croĂ®tront avec l’entreprise.

Des services comme Zimbra, par exemple. Conçu pour s’intĂ©grer Ă  des services de courriel comme Gmail, Hotmail, Yahoo! Mail, Outlook Exchange Server et plusieurs autres, Zimbra tĂ©lĂ©charge et archive automatiquement les messages reçus. Mais il prĂ©sente Ă©galement une fonction sympathique pour les avocats.

« Zimbra est intĂ©ressant, parce que s’il y a une chose avec laquelle je lutte en tant qu’avocat, c’est l’administration de la preuve Ă©lectronique », dit Tang Ă  propos du module optionnel (et payant) de gestion de la preuve Ă©lectronique, un module conforme Ă  la loi Sarbanes-Oxley et aux normes de la HIPAA. « Je ne vais pas dĂ©penser des milliers de dollars pour payer une personne Ă  passer en revue mes documents Ă©lectroniques quand je peux le faire moi-mĂŞme avec une simple requĂŞte sur le clavier », argumente-t-il.

« Savoir que Zimbra archive mes messages, mais aussi qu’il pourra au besoin en tirer tout le contenu nĂ©cessaire sous diffĂ©rentes formes et produire la preuve, c’est tout simplement gĂ©nial », affirme Tang.

De la suite dans les idées

Outre ces solutions spĂ©cifiquement conçues pour le stockage et l’extraction des donnĂ©es, l’application infonuagique ultime pour plusieurs juristes exerçant seuls ou en petits cabinets pourrait bien se trouver du cĂ´tĂ© des logiciels qui lient d’une manière plus riche l’archivage des donnĂ©es aux activitĂ©s quotidiennes des juristes. C’est ce que croit Erik Mazzone, auteur du blogue Practice Matters et directeur du Center for Practice Management, en Caroline du Nord, qui affirme qu’une suite bureautique tout-en-un peut ĂŞtre la clĂ© d’une productivitĂ© accrue.

« Ce que j’ai en tĂŞte essentiellement, c’est une base de donnĂ©es qui intègre le calcul des heures de travail et la facturation. Prenez un Clio, un Rocket Matter, ou un LexisNexis Firm Manager : je crois que ce genre de logiciel-service est sous-exploitĂ© par les avocats aujourd’hui », affirme Mazzone.

Conçus spĂ©cialement pour l’industrie juridique, ces services combinent l’archivage, le partage Ă  distance, la gestion de projets, des outils de commercialisation et de relations client, les donnĂ©es des fournisseurs et la bureautique, le tout sous une seule interface.

On peut obtenir des rĂ©sultats similaires avec l’approche Ă  la carte, mais Mazzone nous met en garde : « Ça ne peut pas se faire sans liens solides entre les diffĂ©rents morceaux. »

Ce qu’il n’aime pas voir, c’est une sĂ©rie de petits satellites qui ne se parlent pas très bien entre eux. « Vous savez, du genre que vous entrez les donnĂ©es Ă  cinq endroits diffĂ©rents et qu’elles se prĂ©sentent sous sept formats diffĂ©rents. C’est pĂ©nible — et inefficace », dit Mazzone.

D’un point de vue fonctionnel, la seule diffĂ©rence entre les suites bureautiques conçues pour le monde juridique et les solutions destinĂ©es aux consommateurs individuels se ramène souvent aux champs prĂ©dĂ©finis et aux fonctions automatisĂ©es. Bien qu’on dise que les deux systèmes reposent sur la mĂŞme ossature (une base de donnĂ©es SQL avec une interface HTML gĂ©nĂ©rĂ©e par PHP), Fleischman croit que les systèmes conçus pour les juristes sont souvent plus faciles Ă  adopter, parce que les juristes comprennent tout de suite le sens de chaque Ă©lĂ©ment et la manière dont les diffĂ©rents champs devraient fonctionner.

« Je dis toujours que tout dĂ©pend de votre personnalitĂ© et de la manière dont vous travaillez », dit-il, affirmant que son cabinet a prĂ©fĂ©rĂ© retenir le Calendrier Google plutĂ´t qu’une suite complète comprenant une fonction d’Ă©tablissement du calendrier, simplement parce que cette option correspondait mieux au fonctionnement de leur esprit collectif.

« Il y a aussi ces gros outils gĂ©nĂ©riques de gestion de la relation client, comme Salesforce.com et Infusionsoft, et ce genre de choses », dit Fleischman. « Si ces outils vous conviennent, tant mieux. Mais plusieurs de ces systèmes en font trop pour nos simples besoins, et ces couches supplĂ©mentaires de complexitĂ© sont très difficiles Ă  Ă©viter lorsque vous ĂŞtes en pĂ©riode de formation. C’est pourquoi nous ne les utilisons pas. Nous travaillons avec ce que nous aimons. »

Faire le grand saut

Soulignant que toute migration vers « le nuage » devrait ĂŞtre une initiative Ă  l’Ă©chelle du cabinet, Alexander suggère d’inclure dès le dĂ©part dans le projet les autres avocats et membres du personnel.

« La transition sera beaucoup plus facile et vous rencontrerez probablement beaucoup moins de rĂ©sistance », dit-il, ajoutant que les gens sont naturellement rĂ©ticents Ă  quitter cette zone de confort du bureau papier.

« Changer la culture d’un cabinet prend du temps. En fin de compte, vous voulez qu’ils adhèrent au processus et se l’approprient », affirme Alexander.

Pour les mĂŞmes raisons, Tang suggère d’adopter une dĂ©marche progressive mais constante, ne faisant migrer qu’un ou deux Ă©lĂ©ments du portefeuille de donnĂ©es Ă  la fois. « Mais une fois la migration amorcĂ©e, vous ne pouvez pas vous arrĂŞter Ă  mi-chemin », prĂ©vient Tang. « C’est probablement la pire chose que vous pourriez faire, d’un point de vue technologique. »

Bien que la plupart des services infonuagiques commerciaux soient solides et rĂ©pondent aux normes de n’importe quel service informatique, Mazzone insiste sur l’importance d’effectuer de temps Ă  autre des « exercices d’Ă©vacuation », pour « savoir comment vous arriverez Ă  rĂ©cupĂ©rer les donnĂ©es perdues et pour mettre Ă  l’Ă©preuve le logiciel que vous avez choisi avant de subir un cataclysme », dit-il.

Et pour les juristes indĂ©pendants ou en petits cabinets qui ne seraient pas encore convaincus, Fleischman cite son nouveau bĂ©nĂ©fice net comme l’argument dĂ©cisif. Les Ă©pargnes Ă  long terme sont si nettement supĂ©rieures au temps nĂ©cessaire pour effectuer la migration vers certains de ces systèmes qu’il croit que tout cabinet d’avocats devrait avoir rentabilisĂ© son effort au bout de douze mois maximum suivant l’implantation.

« Ça ne fait aucun doute », selon Fleischman. « Nous avons rĂ©duit nos frais gĂ©nĂ©raux d’un si gros montant que mon associĂ© ne le croit toujours pas! »

Le simple fait de ne plus jamais avoir à se soucier de licences supplémentaires de Microsoft Office Exchange est à lui seul, dit-il, un argument puissant.

« Est-ce que je conseillerais Ă  quelqu’un de se dĂ©faire de sa plateforme Office si tout fonctionne bien? Non, parce qu’il n’a rien Ă  payer pour l’instant. Mais si un serveur dure en moyenne cinq ans et que vous en avez dĂ©jĂ  fait quatre, vous savez que vous devrez dĂ©penser Ă  nouveau entre 5 000 $ et 10 000 $ minimum pour tout remplacer et mettre Ă  jour », dit Fleischman.

Mieux vaut alors, selon lui, lancer une migration graduelle vers les systèmes infonuagiques, de sorte que lorsque vos serveurs grilleront l’annĂ©e suivante, un mardi après-midi, vous n’aurez pas Ă  vous inquiĂ©ter du temps d’immobilisation. « Et vous n’aurez pas Ă  vous inquiĂ©ter de ce gros chèque que vous auriez eu Ă  Ă©mettre », dit Fleischman en riant. « Car tout a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©, et que vous avez eu toute l’annĂ©e pour faire des tests. C’est une tranquillitĂ© d’esprit. »