Mieux vaut faire les affaires proprement

  • 18 aoĂ»t 2016
  • Ann Macaulay

Il n’y a pas si longtemps encore, le versement de pots-de-vin aux fonctionnaires d’autres pays Ă©tait simplement considĂ©rĂ© comme l’une des charges d’exploitation des sociĂ©tĂ©s canadiennes prĂ©sentes Ă  l’Ă©tranger.

Fait surprenant, nombreux sont les avocats et les gens d’affaires qui ignorent encore Ă  ce jour qu’il est illĂ©gal au Canada de corrompre un fonctionnaire ailleurs dans le monde ou de dissimuler ce genre de corruption, rapporte Michael Osborne d’Affleck Greene McMurtry Ă  Toronto, membre de l’Équipe anticorruption de l’Association du Barreau canadien. « J’ai l’impression que bien des avocats et avocates croient que ce qui se passe dans [un autre] pays ne concerne que ce pays, et qu’ils ne se rendent pas compte qu’il s’agit d’une infraction. »

Mais depuis que les autoritĂ©s se sont mises Ă  appliquer fermement la Loi sur la corruption d’agents publics Ă©trangers (LCAPE; 1999) il y a quelques annĂ©es, les personnes versant des pots-de-vin – de mĂŞme que celles qui les acceptent – s’exposent Ă  des amendes de millions de dollars et Ă  de lourdes peines d’emprisonnement. VoilĂ  qui devrait avoir un solide effet dissuasif, estime Me Osborne. « Si vous faites des affaires dans d’autres pays, vous devez connaĂ®tre les règles, notamment la LCAPE. Ainsi, lorsque vous vous ferez demander un pot-de-vin… vous saurez quoi faire. »

Plusieurs conventions signĂ©es ces dernières annĂ©es comportaient des clauses anticorruption, dont le Partenariat transpacifique (PTP), qu’ont signĂ© plus tĂ´t cette annĂ©e le Canada et 11 autres pays du littoral du Pacifique, mais qui n’est toujours pas ratifiĂ©. Cela dit, les tentatives sĂ©rieuses de combattre la corruption ont dĂ©butĂ© il y a 20 ans. La Convention interamĂ©ricaine contre la corruption a Ă©tĂ© mise en place en 1996, puis, un an plus tard, le Canada et les autres membres de l’Organisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomiques ont signĂ© le premier instrument mondial de lutte contre la corruption, la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics Ă©trangers dans les transactions commerciales internationales.

La corruption a Ă©tĂ© largement tolĂ©rĂ©e des annĂ©es durant avant l’arrivĂ©e de cette convention de l’OCDE. Il Ă©tait alors lĂ©gal de corrompre un fonctionnaire de n’importe quel pays Ă©tranger, sauf les États-Unis. Et au Canada, le pot-de-vin Ă©tait mĂŞme considĂ©rĂ© comme une dĂ©pense d’entreprise dĂ©ductible d’impĂ´t.

La convention de l’OCDE a Ă©tĂ© pensĂ©e comme une attaque sur l’offre, c’est-Ă -dire qu’elle lutte contre la corruption en s’en prenant non pas aux fonctionnaires corrompus, mais aux sociĂ©tĂ©s et aux individus des grandes Ă©conomies qui versent des pots-de-vin. Malheureusement, « après avoir apposĂ© leur signature et adoptĂ© des lois, les membres de l’OCDE n’ont pas fait grand-chose, raconte Me Osborne. Au fond, nous n’avons pas rĂ©ellement appliquĂ© notre propre loi anticorruption pendant un peu plus de dix ans. Ce qui a fini par nous y pousser, ce sont trois rapports d’examen par les pairs de l’OCDE, et l’organisation Transparency International, qui classe les pays en fonction de leur application de la loi. »

Le Canada a mis sur pied l’Équipe de lutte contre la corruption internationale de la Sous-direction des dĂ©lits commerciaux de la GRC en 2007. Mais ce n’est qu’en 2011 que Niko Resources a plaidĂ© coupable Ă  l’un des chefs de corruption qui pesaient contre elle, après qu’elle eut admis avoir tentĂ© d’influencer le ministre d’État Ă  l’Énergie et aux Ressources minĂ©rales du Bangladesh en lui offrant un vĂ©hicule de 191 000 $ et en le dĂ©frayant de ses voyages. Niko a dĂ» payer une amende totale de 9,5 millions de dollars.

De son cĂ´tĂ©, Griffiths Energy International s’est vu imposer une amende de 10,35 millions de dollars en 2013 après qu’elle eut admis avoir payĂ© des frais de conclusion d’opĂ©ration de 2 millions de dollars Ă  une sociĂ©tĂ© contrĂ´lĂ©e par la femme de l’ambassadeur de la RĂ©publique du Tchad. Cette sanction lui a Ă©tĂ© infligĂ©e mĂŞme si la nouvelle direction de la sociĂ©tĂ© avait rĂ©vĂ©lĂ© l’affaire aux autoritĂ©s et avait pleinement coopĂ©rĂ© Ă  l’enquĂŞte de la GRC.

Les personnes reconnues coupables de corruption encourent des peines allant jusqu’Ă  14 annĂ©es d’emprisonnement, signale Me Osborne, ce qui signifie que « l’absolution inconditionnelle ou sous conditions n’est plus possible. Ainsi, les chances d’un individu accusĂ© sous le rĂ©gime de cette loi de s’en tirer sans casier judiciaire sont faibles. » Dans une dĂ©cision ontarienne importante datant de 2013, Nazir Karigar a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© coupable de corruption en vertu de la LCAPE pour avoir acceptĂ© de verser des pots-de-vin Ă  des reprĂ©sentants d’Air India et du ministère indien de l’Aviation civile. Il a reçu une peine de trois ans.

L’EA-ABC a rĂ©cemment commentĂ© le chapitre 26 du PTP, intitulĂ© « Transparence et lutte contre la corruption ». Dans un mĂ©moire soumis au gouvernement, l’Ă©quipe a fait remarquer que ce chapitre Ă©tait moins contraignant Ă  certains Ă©gards que les clauses anticorruption d’autres accords internationaux auxquels le Canada est partie, mais plus contraignant Ă  d’autres Ă©gards – par exemple, en ce qui concerne l’interdiction des dĂ©ductions fiscales pour les dĂ©penses engagĂ©es dans la commission d’infractions de corruption sanctionnĂ©es par la loi.

Selon Me Osborne, la partie sur la transparence du chapitre 26 est très utile en ce qu’elle Ă©tablit certaines des exigences clĂ©s du cadre de primautĂ© du droit, lesquelles obligent « les pays Ă  adhĂ©rer Ă  ce que nous pourrions considĂ©rer comme des concepts d’Ă©quitĂ© administrative plutĂ´t communs en matière de relations avec des investisseurs Ă©trangers. »

Parmi les domaines oĂą le PTP n’est pas aussi contraignant que les autres accords, citons la juridiction extraterritoriale d’un tribunal sur les citoyens de son pays, l’entraide juridique et l’extradition. Or, de façon gĂ©nĂ©rale, l’EA-ABC appuie le chapitre 26, « soulignant qu’il pourrait profiter aux entreprises canadiennes en renforçant la transparence et la primautĂ© du droit ainsi qu’en rĂ©duisant la corruption dans les pays du PTP. »

Me Osborne fait en outre valoir que le PTP n’ajoute pas grand-chose aux outils internationaux actuels, et qu’il ne nĂ©cessite d’aucune façon la modification de la lĂ©gislation canadienne. Il ajoute que le traitĂ© ne va pas aussi loin que la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC), mais que cela ne l’inquiète pas outre mesure, puisque « des parties au PTP, toutes sont parties Ă  la CNUCC et toutes sauf le Brunei, la Malaisie, le PĂ©rou, Singapour et le Vietnam sont aussi parties Ă  la convention anticorruption de l’OCDE. »

MĂŞme si la corruption est acceptĂ©e dans certains pays, les sociĂ©tĂ©s qui font des affaires Ă  l’Ă©tranger doivent prendre acte du fait que la loi anticorruption « est appliquĂ©e et qu’elles subiront des consĂ©quences commerciales et juridiques », prĂ©vient Milos Barutciski, codirecteur du groupe sur le commerce international de Bennett Jones, Ă  Toronto. « On peut dĂ©sormais Ă©carter la vieille mentalitĂ© selon laquelle c’est comme ça que les affaires se font en Afrique, en Asie et en AmĂ©rique latine. »

Il ajoute toutefois que dans certains pays aux prises avec de la petite corruption, il faut encore acquitter un « paiement de facilitation », un petit pot-de-vin qui assure la prestation d’une tâche administrative courante. « Il faut alors se demander Ă  quel moment le paiement de facilitation devient autre chose. »

Selon Me Barutciski, la croyance longtemps entretenue selon laquelle les pots-de-vin et la corruption constituent les seuls moyens pour une sociĂ©tĂ© de faire des affaires dans certains pays est fausse. « Dans la plupart des pays, on n’en a pas besoin pour faire des affaires; en fait, dans bien des cas, on parle davantage d’extorsion que de corruption. »

Plus nombreux seront les pays Ă  considĂ©rer « qu’il existe une norme internationale de lutte contre la corruption, mieux ce sera, estime Me Osborne. Et plus nous avons de chances d’attaquer la corruption, moins nous la subirons, ultimement. C’est un objectif que tout le monde partage, sauf peut-ĂŞtre ceux qui profitent des pots-de-vin. Mieux vaut faire les affaires proprement. »

Ann Macaulay est rédactrice et réviseure à Toronto.