Prêteurs ou retraités : qui sort gagnant de l’arrêt Indalex?

  • 01 fĂ©vrier 2013
  • Janice and George Mucalov, LL.B.

C’Ă©tait Ă©crit dans le ciel que la dĂ©cision très attendue de la Cour suprĂŞme du Canada dans l’affaire Indalex serait controversĂ©e, peu importe le rĂ©sultat.

Lorsqu’une entreprise devient insolvable et qu’il ne lui reste pas suffisamment d’argent pour poursuivre ses activitĂ©s, les heurts sont inĂ©vitables. Les discussions deviennent particulièrement vives lorsque les prestations promises risquent d’ĂŞtre radicalement rĂ©duites. De fait, lorsque l’arrĂŞt Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des MĂ©tallos, 2013 CSC 6, a Ă©tĂ© rendu le 1er fĂ©vrier dernier, il a suscitĂ© une grande agitation, avec des gros titres comme « Les crĂ©anciers prĂ©valent sur les retraitĂ©s ».

Échec des participants au régime de retraite

Indalex est un fabricant d’extrusions d’aluminium employant des centaines de personnes qui est devenu insolvable. La compagnie a alors demandĂ© la protection de la Loi sur les arrangements avec les crĂ©anciers des compagnies (LACC), en 2009. Pour pouvoir continuer de fonctionner pendant la restructuration, il lui fallait des fonds additionnels, soit un financement de dĂ©biteur-exploitant (« DE »). Le produit de la vente de l’entreprise ne fut en fin de compte pas suffisant pour rembourser la crĂ©ance DE. Indalex avait Ă©galement un passif non capitalisĂ© Ă  l’Ă©gard des participants Ă  son rĂ©gime de retraite.

Ce qui a eu pour rĂ©sultat d’opposer la superprioritĂ© de la charge du prĂŞteur DE (accordĂ©e par une ordonnance fondĂ©e sur la LACC) Ă  la superprioritĂ© (la sĂ»retĂ© de la « fiducie rĂ©putĂ©e ») invoquĂ©e par les participants au rĂ©gime de retraite Ă  l’Ă©gard des versements exigĂ©s Ă  la liquidation du rĂ©gime en vertu de la Loi sur les rĂ©gimes de retraite (LRR) de l’Ontario.

La formation de sept juges de la CSC a conclu Ă  l’unanimitĂ© que le principe de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale donnait aux prĂŞteurs DE (et la caution en amont d’Indalex, qui avait remboursĂ© la diffĂ©rence de 10 millions $ sur la crĂ©ance DE et s’Ă©taient ainsi glissĂ©s dans leurs souliers) la prioritĂ© sur les participants au rĂ©gime de retraite. Ce qui signifie que le fonds de rĂ©serve de 6,75 millions $, constituĂ© Ă  partir du produit de la vente de l’entreprise en attendant la dĂ©cision judiciaire, revenait Ă  la caution de la crĂ©ance DE. Les participants du rĂ©gime sous-capitalisĂ©s ont donc Ă©tĂ© abandonnĂ©s Ă  leur sort.

Les prĂŞteurs DE

Cet arrĂŞt a quelque peu calmĂ© les hurlements collectifs poussĂ©s par les groupes du secteur financier après l’arrĂŞt Ă©tonnant de la Cour d’appel de l’Ontario dans cette affaire. La Cour d’appel avait en effet tranchĂ© en faveur des participants au rĂ©gime, accordant la prioritĂ© Ă  une fiducie rĂ©putĂ©e et Ă  une fiducie par interprĂ©tation dont elle avait Ă©tabli l’existence.

Les prĂŞteurs DE avancent des fonds additionnels aux entreprises insolvables pour leur permettre de fonctionner pendant leur restructuration dans l’espoir qu’elles survivent, et non qu’elles soient liquidĂ©es. Mais ils s’abstiendront probablement de le faire si on leur accorde une prioritĂ© de rang infĂ©rieure au passif non capitalisĂ© souvent important et difficile Ă  quantifier d’un rĂ©gime de retraite, incluant les manques Ă  gagner Ă  la liquidation du rĂ©gime. Sans les fonds additionnels des prĂŞteurs DE, les entreprises insolvables ne peuvent poursuivre leurs activitĂ©s tout en tentant de se rĂ©organiser sous la protection de la LACC, ou ĂŞtre vendues comme entreprises en exploitation, sauvegardant des centaines d’emplois.

Les retraitĂ©s en meilleure posture pour l’avenir

Dans quelle situation cet arrêt laisse-t-il les participants au régime de retraite, qui risquent de perdre la totalité ou une bonne partie de leurs prestations acquises ou promises?

Dans l’arrĂŞt Indalex, la CSC a pris certaines dĂ©cisions qui amĂ©liorent leur position pour l’avenir.

Par une dĂ©cision Ă  4 contre 3, la Cour a statuĂ© que la sĂ»retĂ© de la « fiducie rĂ©putĂ©e » fondĂ©e sur la LRR s’Ă©tendait aux versements exigĂ©s Ă  la liquidation d’un rĂ©gime de retraite. Ce qui assure aux participants d’un rĂ©gime de retraite le statut de crĂ©ancier garanti Ă  l’Ă©gard de ce type d’obligation.

La Cour a Ă©galement statuĂ© que les lois provinciales, comme la LRR de l’Ontario, avaient prioritĂ© dans les procĂ©dures fondĂ©es sur la LACC — sauf si elles sont dĂ©logĂ©es par une loi fĂ©dĂ©rale incompatible en cas de faillite (la Loi sur la faillite et l’insolvabilitĂ© fĂ©dĂ©rale aurait alors prioritĂ©) ou par une ordonnance fondĂ©e sur la LACC.

« De mon point de vue d’avocat, en dĂ©pit du fait que l’appel ait Ă©tĂ© accueilli par la CSC, il y a eu une reconnaissance significative des prĂ©occupations des retraitĂ©s », a dĂ©clarĂ© Andrew Lokan, du cabinet Paliare Roland, qui a reprĂ©sentĂ© la FĂ©dĂ©ration canadienne des retraitĂ©s dans cette cause. « La prioritĂ© des fiducies rĂ©putĂ©es d’origine provinciale est maintenue dans le cadre des procĂ©dures fondĂ©es sur la LACC, sauf si elle est supplantĂ©e par un tribunal. On ne lui donne que la portĂ©e nĂ©cessaire : il n’y a pas de dĂ©cote automatique des fiducies rĂ©putĂ©es dans les procĂ©dures de la LACC. »

Un conflit d’intĂ©rĂŞts Ă  reconnaĂ®tre

La CSC a Ă©galement statuĂ© que les participants au rĂ©gime ne devaient pas subir de prĂ©judice lorsque l’employeur, qui doit veiller aux intĂ©rĂŞts de l’entreprise, agit Ă©galement comme administrateur du rĂ©gime, lequel doit veiller aux intĂ©rĂŞts des participants au rĂ©gime de retraite.

Le port de ces deux chapeaux (avec le conflit d’intĂ©rĂŞts potentiel que cela implique) est autorisĂ© par la loi, a dĂ©clarĂ© la Cour. Il s’agit d’une situation frĂ©quente dans le cas des rĂ©gimes de retraite Ă  prestations dĂ©terminĂ©es, et en l’espèce Indalex Ă©tait bien l’administrateur du rĂ©gime.

Mais au moment d’invoquer la superprioritĂ© des prĂŞteurs DE, l’entreprise aurait dĂ» tenir compte du problème que cela posait pour les participants au rĂ©gime de retraite, qui avaient un intĂ©rĂŞt contraire. Elle aurait dĂ» aviser les participants, qui auraient alors pu choisir d’ĂŞtre reprĂ©sentĂ©s par un tiers administrateur ou par un conseiller juridique indĂ©pendant susceptible de faire valoir leurs prĂ©occupations.

Pour l’avenir, cet arrĂŞt devrait donc renforcer les protections procĂ©durales pour les participants aux rĂ©gimes de retraite.

« En pratique, mĂŞme si en l’espèce les retraitĂ©s ont perdu leur cause, ils pourraient y avoir gagnĂ© pour l’avenir », selon Me Lokan. « Maintenant qu’on a clairement Ă©tabli qu’il y avait un conflit d’intĂ©rĂŞts, les entreprises pourraient avoir l’obligation d’aviser plus tĂ´t les bĂ©nĂ©ficiaires de leur rĂ©gime de retraite qu’elles ont engagĂ© une procĂ©dure en vertu de la LACC. »

« Les lecteurs les plus attentifs de ce jugement seront les juges des tribunaux de première instance chargĂ©s d’appliquer la LACC », ajoute Me Lokan. « Au moment d’Ă©tudier l’approbation d’un financement DE, ils se demanderont si les droits des retraitĂ©s vulnĂ©rables seront touchĂ©s. »

En Ă©tant avisĂ©s plus tĂ´t, les avocats des rĂ©gimes de retraite pourront contester les actions de l’entreprise Ă  une Ă©tape prĂ©cĂ©dente de la procĂ©dure.

L’arrĂŞt de la CSC rĂ©pond Ă©galement Ă  l’objectif des tribunaux chargĂ©s de l’application de la LACC d’inciter les parties prenantes Ă  s’entendre sur un arrangement dans les situations difficiles.

« Les tribunaux infĂ©rieurs et la CSC ont clairement fait savoir qu’ils prĂ©fĂ©raient les solutions nĂ©gociĂ©es », affirme Me Lokan. « Si les bĂ©nĂ©ficiaires des rĂ©gimes de retraite, et notamment les retraitĂ©s, sont mieux avisĂ©s des Ă©tapes de la procĂ©dure de la LACC, leurs avocats seront mieux placĂ©s pour prendre part aux nĂ©gociations et arriver Ă  des solutions avec lesquelles toutes les parties prenantes sont Ă  l’aise. »

Quelles conséquences pour les retraités?

Les dĂ©fenseurs des rĂ©gimes de retraite dĂ©plorent l’annulation par la CSC de la solution de la « fiducie par interprĂ©tation » imposĂ©e par la Cour d’appel de l’Ontario en rĂ©ponse au manquement d’Indalex Ă  ses obligations fiduciaires envers les participants Ă  son rĂ©gime de retraite.

Selon la CSC, il manquait un Ă©lĂ©ment essentiel de cette rĂ©paration fondĂ©e sur la propriĂ©tĂ© : le fonds de rĂ©serve de 6,75 millions $, mis de cĂ´tĂ© en attendant la dĂ©cision judiciaire, ne rĂ©sultait pas des manquements de l’employeur Ă  ses obligations fiduciaires en tant qu’administrateur du rĂ©gime.

« Le fond du problème, c’est qu’il y avait une obligation fiduciaire, mais que nous n’avions pas de recours; les retraitĂ©s n’ont donc rien pu obtenir », dĂ©plore Darrel Brown, de chez Sack Goldblatt Mitchell Ă  Toronto et conseiller pour le Syndicat des MĂ©tallos (qui a agi comme agent nĂ©gociateur pour plusieurs participants dans Indalex).

La protection des rĂ©gimes de retraite est un objectif important de la lĂ©gislation applicable, mais elle n’en est pas la seule. En fin de compte, c’est au gouvernement fĂ©dĂ©ral et aux gouvernements provinciaux de prendre les dĂ©cisions difficiles et de faire les compromis nĂ©cessaires pour Ă©tablir cette prioritĂ© et soupeser avec Ă©quitĂ© les intĂ©rĂŞts de l’ensemble des parties prenantes, dont les titulaires de prestations de retraites, dans les situations d’insolvabilitĂ©. Les groupes de dĂ©fense des rĂ©gimes de retraite devront continuer de se battre pour renforcer leurs protections.

Janice Mucalov et George Mucalov sont avocats et auteurs. Ils vivent Ă  Vancouver.