Communiquer « à l’ancienne »

  • 01 dĂ©cembre 2013
  • Jason Scott Alexander

Grâce aux textos, Ă  Twitter et au courriel, qui sont dĂ©sormais d’usage courant, il est plus facile que jamais de rester en contact avec ses clients et ses relations. Mais que vous envoyiez des mises Ă  jour Ă  vos clients Ă  partir de n’importe quel endroit grâce Ă  une connexion Internet ou que vous diffusiez d’un seul coup un message de relations publiques Ă  toute une liste d’abonnĂ©s au lieu de les contacter un par un, posez-vous la question : arrivez-vous Ă  rĂ©ellement entrer en relation avec ces personnes?

Les tĂ©lĂ©phones intelligents sont aujourd’hui moins utilisĂ©s pour tĂ©lĂ©phoner que pour gĂ©rer des donnĂ©es. Chaque tapotage, chaque envoi et chaque cliquage de bouton « J’aime » posent la question : sommes-nous devenus dĂ©pendants de nos gadgets au point de nous priver de la capacitĂ© de communiquer de manière approfondie et vĂ©ritablement efficace?

Alors que les mĂ©dias sociaux deviennent de plus en plus omniprĂ©sents dans certains cercles, plusieurs avocats persistent Ă  utiliser les bonnes vieilles mĂ©thodes de communication, comme dĂ©crocher le tĂ©lĂ©phone ou proposer une rencontre en personne avec un client, plutĂ´t que d’utiliser les toute dernières technologies de l’information.

Surcharge technologique

« Selon moi, cette tendance est probablement due au dĂ©luge que connaissent les gens dans leur boĂ®te de rĂ©ception », avance David Fraser, associĂ© chez McInnes Cooper, Ă  Halifax, et largement reconnu comme l’une des plus grandes autoritĂ©s au Canada sur Internet, la technologie et le droit privĂ©.

« Lundi dernier, par exemple, j’ai reçu 207 courriels sur mon compte au travail. C’est une Ă©norme quantitĂ© de messages Ă  passer en revue, et il suffit de peu pour qu’un message soit perdu ou manquant. En outre, comme les gens sont plus mobiles, il est de moins en moins probable que vous obteniez des rĂ©ponses longues et rĂ©flĂ©chies Ă  vos questions, mĂŞme lorsqu’une telle rĂ©ponse est souhaitable », estime-t-il. Ce genre de situation peut alors nĂ©cessiter un appel ou une rĂ©union — dont l’immense avantage, selon David Fraser, est de gonfler vos chances d’avoir vĂ©ritablement l’attention de vos interlocuteurs.

« On m’a parlĂ© d’une entreprise qui a adoptĂ© une politique voulant que si un problème ne peut ĂŞtre rĂ©glĂ© en moins de cinq courriels, il faut tenir ce jour-lĂ  une rĂ©union, une vidĂ©oconfĂ©rence ou une confĂ©rence tĂ©lĂ©phonique pour arriver Ă  le rĂ©soudre », raconte-t-il.

L’Ă©ventail des facteurs couverts par l’interaction en chair et en os fait toute la diffĂ©rence pour Elizabeth Ellis, associĂ©e chez Torys s.e.n.c.r.l., Ă  Toronto, et directrice des projets de gestion des connaissances. Pour elle, les rĂ©unions constituent le seul moyen de traiter une question pleinement.

« Les nuances de l’intonation, le langage corporel, le contact visuel, la possibilitĂ© de prendre des dĂ©cisions spontanĂ©es, tout cela est perdu dans les autres formes de communication », croit-elle. L’adoption rapide des communications Ă©lectroniques a Ă©tĂ© en partie motivĂ©e, selon elle, par des facteurs comme le coĂ»t et les complications des voyages. « Je crois que les gens se rendent compte maintenant qu’ils renonçaient Ă  plus qu’ils ne le croyaient. Rien n’Ă©gale la conversation en face pour aborder une question importante pour un cĂ´tĂ© ou l’autre de l’interaction », insiste-t-elle, donnant en exemple l’annonce d’une mauvaise nouvelle et la prise d’une dĂ©cision difficile ou stratĂ©gique.

L’art de la collaboration

En tant que spĂ©cialiste de la preuve Ă©lectronique et pionnière canadienne de l’utilisation du codage prĂ©dictif en litige, Susan Wortzman, cofondatrice du cabinet Wortzman Nickle Professional Corporation, Ă  Toronto, s’y connaĂ®t mieux que personne en technologies. Pourtant, elle prĂ©fère les bonnes vieilles sĂ©ances ad hoc aux techniques de communication Ă  la mode, comme la gestion de projet par logiciel-service (software-as-a-service, ou SaaS) et la vidĂ©oconfĂ©rence.

« Nous avons essayĂ© plusieurs solutions SaaS, certaines utiles, d’autres moins », confie-t-elle. « Par exemple, nous avons utilisĂ© Basecamp pour communiquer avec nos concepteurs Web. Mais, Ă  notre bout de la conversation, la communication Ă©tait très problĂ©matique. CrĂ©ativement, nous Ă©tions bloquĂ©s tant que nous ne tenions pas une rĂ©union en personne. »

Les mĂ©dias sociaux, le microblogage, le courriel et les textos sont souvent plus abrupts qu’on ne le voudrait et troublent les bonnes relations plus qu’ils ne les facilitent. Susan Wortzman aime rencontrer ses clients pour leur expliquer les solutions techniques parfois complexes recommandĂ©es par son Ă©quipe.

« Si j’essaie de les expliquer par courriel, je ne peux pas savoir si le client a lu attentivement mon message ou s’il en a compris tous les dĂ©tails », explique-t-elle. « Ces communications plus intensives fonctionnent beaucoup mieux en personne ou par tĂ©lĂ©phone, oĂą il y a un vĂ©ritable dialogue entre avocats et clients. »

L’avocat Chris Bennett, de Vancouver, assure la majoritĂ© de ses communications critiques par tĂ©lĂ©phone — par nĂ©cessitĂ©, et non par choix. AssociĂ© chez Davis s.e.n.c.r.l. et chef des groupes Droit des TI et Droit des marques de commerce, la plupart de ses clients sont dispersĂ©s dans d’autres provinces et d’autres pays; les rencontres en personne ne sont donc pas très pratiques.

« J’utilise Webex pour mes sĂ©minaires, mais seulement en complĂ©ment d’une prĂ©sentation en personne. La technologie sert uniquement aux clients qui ne peuvent se dĂ©placer pour assister au sĂ©minaire », assure-t-il. « Je n’utilise jamais les mĂ©dias sociaux pour Ă©changer sur des questions confidentielles ou protĂ©gĂ©es. Je n’utilise pas non plus le texto ou la messagerie instantanĂ©e avec mes clients — certains me l’ont demandĂ©, mais je ne suis pas chaud Ă  l’idĂ©e, parce que c’est intrusif et que ça encourage l’envoi de rĂ©ponses trop peu rĂ©flĂ©chies. » En outre, suivre le fil de la conversation et l’intĂ©grer au système de gestion documentaire serait compliquĂ©.

« Je crois qu’il est plus facile d’interagir et de poser des questions en personne, surtout lorsque plusieurs personnes sont impliquĂ©es. De cette manière, tout le monde peut suivre la discussion en mĂŞme temps, et il est plus facile d’interprĂ©ter le langage corporel », estime Chris Bennett.

Une touche personnelle

Pour ĂŞtre efficace, il est important de planifier ses rĂ©unions et ses appels de façon stratĂ©gique. Laisser un message vocal demandant au client de nous rappeler sans indiquer le motif de notre appel n’est pas très stratĂ©gique. Tenter de communiquer par tĂ©lĂ©phone avec un client qui prĂ©fère manifestement le courriel pour les Ă©changes d’information n’est pas non plus très efficace. « En revanche, offrir de visiter les bureaux du client sur une base rĂ©gulière pour rencontrer les gens et mieux comprendre les dĂ©fis actuels de l’entreprise sera toujours bienvenu », assure Elizabeth Ellis.

Tout comme pour les relations personnelles, les relations professionnelles veulent sentir qu’on se soucie d’eux. Ils veulent sentir que leurs problèmes sont entre de bonnes mains. Ils ont besoin de consolider leur confiance en vous. L’interaction personnelle accroĂ®t Ă©normĂ©ment l’Ă©lĂ©ment « se connaĂ®tre, s’apprĂ©cier et avoir confiance » entre les avocats et leurs clients. MĂŞme un simple appel de courtoisie ou une carte de remerciements Ă©crite Ă  la main peut vous faire ressortir de la mer de bruit numĂ©rique dans laquelle nous barbotons tous les jours.

« Je crois que c’est une excellente idĂ©e de complĂ©ter le marketing Ă©crit par du marketing en personne », conclut Chris Bennett, « que ce soit par des sĂ©minaires sur les derniers dĂ©veloppements juridiques ou une discussion autour d’un cafĂ© ou d’un bon repas, ne serait-ce que pour garder contact et se tenir au courant des intĂ©rĂŞts ou des passe-temps de son client. »

Jason Scott Alexander, d’Ottawa, est journaliste indĂ©pendant. Il est spĂ©cialisĂ© dans les nouveaux enjeux relatifs au droit des technologies et des mĂ©dias.