Les associations commerciales et l’échange d’information : une mise en garde

  • 04 septembre 2012
  • Mark Katz and Erika Douglas

Lors d’une allocution prononcée le 30 octobre 2012, John Pecman, le nouveau commissaire de la concurrence par intérim du Canada, a insisté sur les risques d’exécution qui guettent les associations commerciales en vertu de la Loi sur la concurrence. L’allocution du commissaire avait surtout pour but de rappeler l’importance de la conformité en matière de concurrence pour les entreprises canadiennes en général, mais il a aussi profité de l’occasion pour accorder une attention spéciale aux associations commerciales. Il a affirmé que, bien que le Bureau de la concurrence ne considère pas les associations commerciales comme mauvaises en soi, celles-ci sont « naturellement exposées à des risques plus élevés de conduite anticoncurrentielle parce qu’elles offrent un forum qui peut encourager les concurrents à collaborer ».

Le commissaire a identifié plusieurs types de comportements susceptibles d’entraîner un examen attentif des activités des associations, notamment une activité située au coeur du mandat de plusieurs associations : recueillir et distribuer de l’information et des analyses pour leurs membres. Bien que les exercices d’échange d’information auxquels se prêtent les associations soient habituellement légitimes et sans gravité sur le plan de la concurrence, le commissaire a rappelé qu’ils pouvaient aussi être exploités à des fins anticoncurrentielles. Par exemple, l’échange de renseignements critiques entre membres concurrents d’une association commerciale peut rendre les activités des uns visibles pour les autres et réciproquement, diminuant ainsi indirectement la motivation à mener une concurrence vigoureuse. Dans certains cas, l’échange de renseignements peut être utilisé par les concurrents pour faciliter des comportements collusoires criminels purs et simples, comme la fixation des prix ou le partage des marchés.

Une affaire récente survenue aux États-Unis illustre particulièrement bien comment les autorités en matière de concurrence peuvent fonder des allégations de pratiques anticoncurrentielles sur les échanges d’information entre membres d’une association commerciale.

En janvier 2012, la Federal Trade Commission (FTC) des États-Unis a déposé une poursuite administrative alléguant que les trois plus grands fournisseurs d’accessoires de tuyauterie en fer malléable des États-Unis s’étaient associés pour fixer le prix de leurs produits. La FTC soutint que les trois firmes avaient échangé de l’information sur le volume de leurs expéditions mensuelles par le biais d’une association commerciale, la Ductile Iron Fittings Research Association (DIFRA). Selon la FTC, ces compagnies avaient utilisé cette information pour surveiller leur conformité réciproque à l’entente collusoire présumée.

La FTC avança notamment les arguments suivants :

  • les données obtenues par la DIFRA étaient suffisamment détaillées pour que les parties puissent déduire, à l’aide de simples calculs additionnels, les parts de marchés des uns et des autres, et savoir par conséquent si elles perdaient des ventes;
  • le type de données échangées permettait également aux parties de déterminer si elles perdaient des ventes en raison de rabais concurrentiels, en contravention de leur entente présumée; et
  • bien que les données échangées étaient « historiques », au sens où elles se rapportaient à des ventes passées, l’information datait parfois de moins de deux semaines lorsqu’elle était recueillie, et la plupart du temps elle datait de moins d’un mois lorsqu’elle était distribuée aux parties.

Fait intéressant, l’association avait retenu les services d’un cabinet comptable indépendant pour compiler l’information recueillie avant qu’elle ne soit distribuée aux membres. Le recours à un tiers est souvent recommandé pour ce type d’opération, car il offre un moyen d’éviter une responsabilité potentielle. Toutefois, la FTC a évidemment conclu que le recours aux services d’un cabinet comptable indépendant n’était pas un facteur déterminant en l’espèce.

La FTC semble également avoir été influencée par le fait que la DIFRA ne comptait que quatre membres, dont trois suspectés d’avoir participé à l’entente de fixation des prix (et qui comptent pour 95 % des ventes du secteur). Pour la FTC, la taille réduite de la DIFRA permettait aux participants du cartel présumé de rapporter les données à chacun des membres qui les avaient soumises, même si ces données étaient soi-disant distribuées sous forme de données globales afin de préserver l’anonymat des membres.

Deux des fournisseurs ont aujourd’hui réglé leur cause à l’amiable avec la FTC, tandis que le troisième conteste toujours les allégations. Sur la question des échanges de renseignements, celui-ci soutient que les données globales distribuées par la DIFRA ne fournissaient aucun indice sur la fixation des prix et n’étaient pas utilisées aux fins d’une collusion.

La question n’a donc pas encore été tranchée sur le fond, mais les allégations de la FTC mettent en relief plusieurs considérations que les associations commerciales et leurs membres devraient garder à l’esprit lorsqu’ils procèdent à des échanges d’information :

  • L’actualité des renseignements : Les renseignements recueillis auprès des membres devraient être basés sur des données historiques, c’est-à-dire sans indication sur les prix ou les termes de vente à venir. Comme l’illustre cependant le cas de la tuyauterie malléable, les autorités vérifieront si les renseignements sont suffisamment « anciens ».
  • Le type d’information : Les associations devraient faire preuve de prudence dans le choix du type d’information qu’elles recueillent. De façon générale, les échanges d’information entre membres risquent de poser problème si l’information échangée inclut des renseignements sur la fixation des prix, les coûts, les volumes de ventes, les conditions de vente, la capacité, le niveau de production, les plans stratégiques et des clients ou des fournisseurs précis. Les renseignements se rapportant aux technologies générales (c’est-à-dire non exclusives), au contrôle de la qualité et aux mesures de protection environnementale ou de sécurité, par exemple, sont moins susceptibles de poser problème.
  • Le niveau de détail et d’anonymat : Échanger des informations globales ou qui ne présentent que des tendances générales est plus sûr que d’échanger des informations détaillées portant sur une compagnie précise. Comme l’illustre cependant le cas de la tuyauterie malléable, il faut vérifier que le nombre de participants est suffisamment élevé pour assurer efficacement l’anonymat des renseignements des membres individuels.
  • Le recours à un tiers : Les autorités en matière de concurrence, y compris les autorités canadiennes, encouragent souvent les associations à recourir aux services de tiers (comme des cabinets comptables) pour recueillir, compiler puis disséminer les informations fournies par leurs membres. Il ne s’agit toutefois pas toujours d’une option économiquement envisageable. Et comme le montre le cas de la tuyauterie malléable, le recours aux services d’un tiers ne protège pas automatiquement les associations.

Voici d’autres mesures utiles que les associations peuvent adopter pour réduire les risques lorsqu’elles procèdent à des échanges d’information :

  • Limiter le nombre et la fréquence des exercices d’échange d’information.
  • S’assurer que l’échange d’information répond à des motifs légitimes et qu’il est convenablement justifié.
  • Ne pas contraindre les membres à participer aux exercices d’échange d’information, par exemple en punissant ceux qui refusent de partager leurs renseignements.
  • Ne pas partager des données brutes entre les membres.
  • Ne discuter du processus d’échange d’information ou de ses résultats que dans le cadre des réunions officielles de l’association, selon un ordre du jour écrit qui a été révisé par un avocat. Envisager aussi la possibilité que l’avocat assiste à ces discussions.
  • Ne conserver les données que pour la période nécessaire à l’atteinte des objectifs légitimes de l’exercice.

Les exercices d’échange d’information des associations commerciales peuvent viser des fins bénéfiques, comme faciliter la recherche et les études d’étalonnage, promouvoir l’amélioration des pratiques et des normes de l’industrie, et soutenir les efforts de lobbyisme et de représentation. Cependant, comme le commissaire de la concurrence par intérim du Canada l’a souligné, et comme le montre la jurisprudence américaine récente, les échanges d’information peuvent aussi exposer les associations commerciales et leurs membres à un important risque de responsabilité.

Mark Katz et Erika Douglas sont respectivement associé et avocate chez Davies Ward Phillips & Vineberg, à Toronto.