La Loi sur Investissement Canada et les investissements chinois au Canada

  • 15 août 2012
  • Mark Katz

Les relations entre la Chine et le Canada en matière d'investissements directs ont été décrites comme étant une union bénie par le ciel. Le Canada est un pays de vastes ressources naturelles, mais il n'a pas toujours les moyens financiers pour les exploiter, tandis que la Chine a grandement besoin d'importer des ressources naturelles et dispose d'importantes capacités d'investissements directs à l'étranger.

Ces derniers temps, le gouvernement du Canada a multiplié les démarches pour attirer les investissements chinois. Toutefois, selon le rapport publié par la Conference Board of Canada en juin 2012, le Canada se trouve encore loin derrière les autres pays riches en matières premières en ce qui concerne les investissements directs chinois; le rapport cite, par exemple, le cas de l'Australie qui en attire environ trois fois plus que le Canada.

Le rapport affirme que les investissements chinois au Canada sont souvent sensibles sur le plan politique, car (i) ils concernent les ressources naturelles (ii) ils sont souvent l'Å“uvre d'entreprises détenues par l'État. Il existe en effet une certaine crainte que la Chine puisse se servir de ces investissements afin de « verrouiller » des ressources canadiennes, qui se verraient par la suite vendues à des prix inférieurs à ceux du marché aux fins d'exploitation en Chine. Il existe également une suspicion générale envers les pratiques du gouvernement chinois en matière des droits de la personne et envers sa politique étrangère. Les investisseurs chinois sont très conscients de ces opinions défavorables et c'est ce qui expliquerait pourquoi les investissements chinois faits au Canada sont peu élevés.

Cependant, selon le rapport d de la Conference Board, la responsabilité de cette situation revient au caractère opaque et politisé du régime canadien d'examen de l'investissement étranger.

Aux termes de la Loi sur Investissement Canada (LIC), les investissements étrangers d'une certaine nature et ampleur doivent d'abord être approuvés par le gouvernement comme étant « Ã  l'avantage net du Canada ». Il y a un processus d'examen distinct qui peut être suivi pour déterminer ce qui « porterait atteinte » à la Sécurité nationale.

Bien que le gouvernement canadien ait tendance à approuver la quasi-totalité des transactions concernant les investisseurs étrangers, le rapport soutient que les critères pour déterminer ce qui constitue « un avantage net » sont vagues et laissent place à l'interprétation, et il avance que la LIC n'essaie même pas de définir une situation dans laquelle une transaction serait considérée comme « portant atteinte » à la sécurité nationale. Il en résulte que le processus d'examen donne forcément un large pouvoir discrétionnaire au gouvernement canadien. Le rapport fait valoir que les difficultés à prévoir comment cette discrétion sera appliquée dans une transaction quelconque sont à l'origine de la réticence des Chinois quant à l'augmentation de leurs investissements au Canada.

Le rapport formule plusieurs recommandations visant l'amélioration des politiques du Canada en matière d'investissement étranger, à savoir :

  • introduire dans la LIC deux critères bien définis – l'un sur « l'intérêt économique national » du Canada et l'autre sur la question de la sécurité nationale;
  • en ce qui concerne le critère sur l'intérêt économique national, indiquer que le gouvernement canadien ne pourra pas bloquer une transaction à moins qu'il puisse démontrer le caractère nuisible de l'investissement étranger à l'intérêt économique national. Ce critère renverserait le fardeau de la preuve aux termes de la LIC, car celle-ci exige aux investisseurs de faire la preuve de l'avantage net;
  • en ce qui concerne le critère de la sécurité nationale, préciser les types de risque sécuritaires dont il faut tenir compte.

Un rapport établi conjointement par les gouvernements canadien et chinois en août 2012 affirme que les personnes concernées, au Canada et en Chine, ont indiqué que les difficultés liées à la clarification, à l'efficacité et à la prévisibilité de la réglementation entravent les investissements étrangers directs dans les deux pays. Même si on ne pointe pas du doigt la LIC, il est clair que le processus d'examen de celle-ci est l'objet de ces critiques en ce qui concerne le Canada.

Il me semble toutefois que ces critiques sont injustifiées.

Premièrement, il est totalement erroné de prétendre que le processus de la LIC est une sorte d'énigme enveloppée dans un mystère. Les avocats qui exercent dans le domaine sont bien conscients des exigences typiques du gouvernement à l'endroit des investisseurs étrangers pour respecter le critère de l'« avantage net ». Les détails diffèrent d'une transaction à l'autre, mais le modèle de base est bien connu. L'examen en fonction de la sécurité nationale, d'autre part, est une parfaite zone obscure. Cependant, les questions liées à la sécurité nationale ont été rarement soulevées jusqu'à maintenant et il est peu probable qu'elles fassent l'objet de préoccupations majeures pour la grande majorité des transactions.

Deuxièmement, ce n'est pas à mon avis une mauvaise idée que le processus d'examen de la LIC soit, au fond, une question de choix politique. Les pays ont la prérogative de déterminer la quantité d'investissements extérieurs qu'ils sont disposés à accepter et les secteurs prêts à accueillir ces investissements. Aucun gouvernement ne devrait abandonner les enjeux économiques aussi importants à la discrétion des tribunaux ou de l'administration sans un contrôle politique. Si cela implique que le processus d'examen de la LIC présentera toujours un certain degré d'imprévisibilité, c'est à cause du caractère politique de la chose; un degré d'incertitude que nous avons appris, en tant que société, à nous accommoder dans plusieurs autres domaines.

Toutes ces questions feront l'objet de beaucoup d'attention Рencore une fois Рavec la r̩cente offre de 15,1 milliards de dollars de la China National Offshore Oil Company Ltd (CNOOC) pour acqu̩rir Nexen Inc., une soci̩t̩ de Calgary. Le plus grand producteur chinois de p̩trole brut et de gaz naturel au large des c̫tes, CNOOC est ̩galement l'une des plus grandes entreprises d'exploration et de production de p̩trole et de gaz dans le monde. Nexen est une soci̩t̩ productrice d'̩nergie, dont le si̬ge est en Alberta, qui exploite des ressources de p̩trole et de gaz au Canada, dans la mer du Nord, dans le golfe du Mexique, au Y̩men et au Nigeria.

La transaction entre CNOOC et Nexen est un véritable test pour le gouvernement canadien. D'une part, le gouvernement reconnaît l'importance de cet investissement chinois au Canada et ne souhaite pas de bloquer cet investissement ni de le réduire sensiblement. L'offre de CNOOC a aussi été conçue de façon à maximiser la probabilité de son approbation aux termes de la LIC. On peut citer les promesses publiques de CNOOC :

  • installer son siège social pour l'Amérique du Nord et l'Amérique centrale à Calgary;
  • garder en poste l'équipe de direction et les employés de Nexen;
  • inscrire la société à la Bourse de Toronto;
  • maintenir et accroître les dépenses en immobilisations des actifs de Nexen;
  • augmenter les investissements à caractère social et les investissements dans la communauté.

D'autre part, la transaction a donné lieu à de nombreuses préoccupations provenant de toutes les sensibilités politiques (autant gauchistes que droitistes) concernant la main mise étrangère – et particulièrement chinoise – sur le secteur énergétique du Canada.

Il est certain que cette décision sera difficile à prendre pour le gouvernement canadien. Mais, en fin de compte, si les autorités politiques font une mauvaise appréciation, ou si beaucoup de gens estiment qu'elles ont mal exercé leur pouvoir discrétionnaire en la matière, alors elles en subiront les conséquences aux élections. Il doit d'ailleurs en être ainsi.

Mark Katz est associé chez Davies Ward Phillips & Vineberg LLP à Toronto.