Les acheteurs indirects au Canada – ont-ils une cause d’action?

  • 11 juillet 2012
  • Becky Rynor

Si vous avez un écran de télévision à affichage à cristaux liquides – ou, auparavant, un écran cathodique – l’avocat J.J. Camp déclare que vous avez été victime de fixation des prix.

« La mémoire contenue dans cette télévision, soit la mémoire vive dynamique, a fait l’objet d’une fixation de prix », déclare Me Camp. Il affirme que les sociétés en cause ont plaidé coupable concernant des sommes s’élevant à « plusieurs centaines de millions de dollars ».

En tant qu’acheteurs indirects de ces gadgets électroniques – après les fabricants, les distributeurs, les grossistes et les détaillants ou les acheteurs directs – les consommateurs devraient-ils bénéficier d’une reconnaissance de leurs réclamations ou recours collectifs par les tribunaux? À l’heure actuelle, le cabinet de Vancouver dans lequel travaille Me Camp, soit Camp, Fiorante, Mathews, Mogerman, s’occupe « d’environ une douzaine » de ces affaires. Selon lui, la réponse ne fait aucun doute.

Il s’explique. « Si l’on présume que les consommateurs ont payé l’excédent, et penser autrement serait contraire au bon sens, il ne fait aucun doute que les acheteurs indirects – presque inévitablement les consommateurs – payent l’excédent. Pourquoi donc n’auraient-ils pas le droit d’intenter des poursuites? »

Mais les recours collectifs par des acheteurs indirects font l’objet de débats vigoureux dans les milieux juridiques, certains avocats comme Me Camp penchent d’un côté, tandis que d’autres avocats comme Me Adam Fanaki, avocat en droit de la concurrence et avocat plaidant, penchent de l’autre. Dans le cadre de sa pratique auprès de Davies, Ward, Phillips and Vineberg à Toronto, Me Fanaki donne des conseils aux sociétés sur les enquêtes en matière de cartels et les recours collectifs connexes.

Il souligne deux décisions qu’a rendues la Cour d’appel de la Colombie-Britannique en mai dernier – Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corp., et Sun-Rype Products Ltd c. Archer Daniels Midland Co. – selon lesquelles les acheteurs indirects de produits qui auraient fait l’objet d’une fixation des prix « n’ont aucune cause d’action soutenable en droit ». Ces décisions constituaient la première fois qu’un tribunal concluait de façon définitive que le droit canadien ne permet pas aux acheteurs indirects d’intenter une action. En octobre, ces décisions ont fait l’objet d’un appel auprès de la Cour suprême du Canada. Me Fanaki a représenté la Chambre de commerce du Canada, l’une des intervenants devant la Cour suprême.

L’affaire SunRype portait sur des allégations selon lesquelles les fabricants de sirop de maïs à haute teneur en fructose avaient comploté pour fixer les prix du sirop, un édulcorant utilisé dans une vaste gamme de produits. Me Fanaki déclare que le fabricant a vendu le sirop de maïs à des sociétés qui auraient pu l’ajouter à des produits comme des céréales pour le déjeuner, lesquelles sont ensuite vendues à une épicerie pour être achetées par les clients.

« En tant que consommateur, je suis l’un des acheteurs indirects de ce sirop de maïs à haute teneur en fructose, déclare-t-il. À chaque étape de la chaîne de distribution, le prix est majoré pendant que le produit passe du fabricant au distributeur et ensuite à l’épicerie. À chaque étape de ce processus, le prix est modifié et le sirop constitue une partie de plus en plus petite – presque insignifiante – du coût global du produit. »

Il convient que les acheteurs directs ont parfaitement le droit d’intenter des poursuites et de recouvrer les pertes qu’ils ont subies par suite du présumé comportement de cartel. « Si on examine la grande majorité des affaires qui ont été réglées au moyen de règlements approuvés par les tribunaux, on constate que les règlements prévoient d’importants paiements aux acheteurs directs. »

Mais en ce qui concerne les recours collectifs intentés par les acheteurs indirects, Me Fanaki se range du côté de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

« Dans cet exemple de céréales, quel excédent avez-vous payé pour les céréales par suite de l’augmentation du coût du sirop de maïs à haute teneur en fructose, si cela s’est produit? Il est pratiquement impossible de déterminer cela ou de tenter d’isoler un élément pour dire qu’il y a eu une augmentation de coûts. »

Me Fanaki soutient aussi qu’un recours collectif intenté au nom des acheteurs indirects pourrait entraîner une « double indemnisation ».

« Concrètement, si on permet aux acheteurs directs de recouvrer l’ensemble du présumé excédent tout en accordant aux acheteurs indirects le droit d’intenter une action en dommages-intérêts à l’égard de ce même excédent, cela signifie que le défendeur pourrait être tenu responsable de la même perte au moins deux fois à l’égard de demandeurs différents. »

« Personne ne recherche une indemnisation supérieure à l’excédent, déclare J.J. Camp. Personne au Canada n’a jamais milité en faveur de dommages-intérêts multiples. Ce que nous demandons, c’est que l’ensemble de l’excédent soit remboursé, et remboursé seulement une fois, et qu’il soit distribué aux personnes qui l’ont payé. » Selon lui, « il est illogique » de dire que les consommateurs et les autres acheteurs indirects n’ont pas de cause d’action dans ces affaires.

« Les acheteurs indirects sont presque toujours inévitablement ceux qui subissent le préjudice, c’est-à-dire qu’ils payent l’excédent, affirme-t-il. Les gens qui fixent les prix s’en tirent pendant de nombreuses années dans bon nombre de ces affaires de fixation de prix, et qui connaît la proportion des cas que nous découvrons. Selon les recherches effectuées en la matière, aussi peu qu’un cas sur six est découvert. Les Américains poursuivent ces sociétés avec acharnement. Nous ne le faisons pas au Canada. »

Me Camp croit savoir que le Bureau de la concurrence – qui fait enquête sur des affaires comme celle-là – manque de ressources et n’est pas en mesure de s’attaquer agressivement à de nombreux participants à des cartels.

« Par exemple, j’ai eu il y a de nombreuses années une affaire de vitamines conjointement avec d’autres avocats de partout au Canada. Ils ont poursuivi les multinationales qui fixaient les prix et ils ont récupéré 100 millions de dollars d’amendes. Le Bureau de la concurrence n’a conservé aucun de ces fonds. Ces fonds ont tous été versés au trésor public. Pourtant, le Bureau de la concurrence manque de personnel et de ressources pour intenter d’autres poursuites. »

Me Fanaki affirme que dans les recours collectifs mettant en cause les acheteurs indirects, généralement, « les consommateurs ne reçoivent rien. Ces règlements comportent habituellement des paiements cy-près. Il s’agit de paiements effectués à des organismes de bienfaisance et à d’autres associations, plutôt que de paiements faits aux consommateurs. Cela s’explique par le fait qu’il est trop difficile de déterminer si les acheteurs indirects ont vraiment subi une perte. »

En définitive, la Cour suprême du Canada devra trancher ce débat juridique. Entre-temps, J.J. Camp déclare qu’il va de l’avant dans une affaire où le Bureau de la concurrence fait enquête sur les sociétés chocolatières Mars, Cadbury, Nestlé et Hershey dans le cadre d’une action alléguant la fixation des prix.

« Nous avons réglé à un peu plus de 20 millions de dollars contre les sociétés qui auraient fixé les prix. Nous sollicitons l’approbation du règlement et du protocole de distribution. Mais nous avons pour notre distribution une ligne directrice selon laquelle 75 % des fonds de règlements qui demeurent après le paiement des honoraires et déboursés juridiques seront versés aux consommateurs, déclare-t-il. Il faut que le chèque en vaille la peine; vous n’avez pas à produire de reçu – vous avez à déposer une déclaration assermentée indiquant que vous avez consommé telle quantité de chocolat au cours de la période de deux ans ou plus pendant laquelle les prix ont été fixés et vous obtiendrez un chèque. »

Becky Rynor est journaliste pigiste à Ottawa.