Un incontournable pour la bibliothèque du dirigeant de cabinet : Wiser

  • 20 avril 2017
  • Kim Nayyer

Le numĂ©ro de mars-avril 2017 du magazine Harvard Business Review contient un article sur la gestion des ressources humaines. Il ne fait aucun doute que cette responsabilitĂ© et la fonction concomitante de gestion des Ă©quipes qu’ils constituent soient un centre d’intĂ©rĂŞt rĂ©gulier ou constant pour de nombreux dirigeants. Et comme cet article l’illustre, le sujet est toujours d’actualitĂ©.

L’une des tâches fondamentales d’un dirigeant est de gĂ©rer les personnalitĂ©s et les habitudes de travail. Nous identifions les forces particulières de chacun et misons dessus. Nous amĂ©liorons (ou au moins neutralisons) les comportements et les approches du travail et de la rĂ©flexion qui posent problème. Cette responsabilitĂ© comprend frĂ©quemment le dĂ©fi distinct qu’est la crĂ©ation et la gestion d’Ă©quipes ou de groupes de personnes, dont chaque membre a un point de vue diffĂ©rent. Nous devons promouvoir les interactions de façon productive pour le groupe et pour l’avancement des objectifs de l’organisation dans son ensemble.

Le livre intitulĂ© Wiser: Getting Beyond Groupthink to Make Groups Smarter, publiĂ© par les Ă©ditions Harvard Business Review Press, et disponible uniquement en anglais, est une prĂ©cieuse ressource pour les dirigeants. D’ailleurs, il constitue une solide fondation pour les approches discutĂ©es dans l’article en vedette. Wiser nous conseille en matière de stratĂ©gies pour diriger les Ă©quipes qui seront les plus aptes Ă  prendre des dĂ©cisions de groupe Ă  la fois appropriĂ©es et fructueuses, et nous montre Ă©galement les pièges de la prise de dĂ©cision en groupe qui peuvent se traduire par l’Ă©chec des projets qu’elles visent. Ouvrage plein d’esprit et facile Ă  lire, il vous accompagnera facilement dans vos dĂ©placements quotidiens, vos vols, vos sĂ©jours dans des salles d’attente, ou vous le lirez tout simplement pendant une fin de semaine.

Dans Wiser, le professeur de droit Ă  Harvard, Cass R. Sunstein et Reid Hastie, qui enseigne le commerce Ă  l’UniversitĂ© de Chicago, examinent et rĂ©sument les rĂ©sultats de la recherche effectuĂ©e dans un certain nombre de disciplines et de rĂ©gions pour produire des observations et des prĂ©visions au sujet des comportements de groupe. Ils proposent des stratĂ©gies pour nous aider Ă  crĂ©er et Ă  diriger des groupes qui fonctionnent bien, Ă  prendre des dĂ©cisions appropriĂ©es et Ă  Ă©viter les erreurs communes et pourtant prĂ©visibles. Bref, ils nous aident Ă  crĂ©er des groupes plus avisĂ©s.

En premier lieu, ils se penchent sur les raisons de l’Ă©chec de certains groupes. Contrairement aux idĂ©es reçues, gĂ©nĂ©ralement les groupes dĂ©cuplent au lieu de corriger les erreurs de leurs membres pris individuellement. Je recommande une lecture attentive du chapitre 1, intitulĂ© From High Hopes to Fiascoes, qui regorge d’exemples de dĂ©cisions erronĂ©es causĂ©es par le facteur de groupe.

Les auteurs offrent en outre des descriptions et des exemples de dĂ©cisions heuristiques prises par des groupes et des idĂ©es fallacieuses derrière les raisons pour lesquelles le groupe amplifie frĂ©quemment les erreurs de ses membres individuels plutĂ´t qu’il ne les corrige. Les auteurs discutent de la disponibilitĂ© heuristique, soit le fait que nous portons une attention plus soutenue que nĂ©cessaire aux Ă©vĂ©nements ou Ă©checs qui sont largement diffusĂ©s. Cela peut se traduire par une rĂ©partition des ressources destinĂ©es Ă  rĂ©gler le problème d’hier et non celui de demain. La reprĂ©sentativitĂ© heuristique (representativeness heuristic) fait apparaĂ®tre des opinions instinctives, stĂ©rĂ©otypĂ©es fondĂ©es sur des caractĂ©ristiques reconnaissables (de personnes ou de situations) plutĂ´t que des opinions fondĂ©es sur des donnĂ©es et des Ă©lĂ©ments particuliers. Nous connaissons probablement tous les prĂ©jugĂ©s Ă©gocentriques (egocentric bias) qui font que nous assumons frĂ©quemment que nos prĂ©fĂ©rences et choix personnels sont ceux de la majoritĂ©. Ă€ moins que le groupe ne comporte des membres très divers qui peuvent et souhaitent y apporter des opinions informĂ©es, les prĂ©jugĂ©s Ă©gocentriques communs peuvent se traduire par la prise de dĂ©cisions de groupe qui ne correspondent pas, par exemple, au marchĂ© ou Ă  la jurisprudence. La planification fallacieuse (planning fallacy) est Ă©tonnamment commune et indĂ©pendante de tout degrĂ© d’expĂ©rience : [TRADUCTION] « Les projets de petite taille […] et ceux qui sont plus grands […] excèdent invariablement les limites budgĂ©taires et les dĂ©lais prĂ©vus au dĂ©part pour leur achèvement ».

Alors, que peuvent faire les dirigeants? Ă€ tout le moins, ils devraient connaĂ®tre les signaux d’information (information signals) qui peuvent amener les membres du groupe Ă  penser que les opinions des dirigeants chevronnĂ©s qu’ils respectent doivent ĂŞtre les bonnes et que leurs propres opinions divergentes sont par consĂ©quent erronĂ©es et ne valent pas la peine d’ĂŞtre exprimĂ©es. « Les dirigeants semblent souvent parĂ©s d’un halo qui les rend singulièrement intelligents et avertis », Ă©crivent les auteurs. Par consĂ©quent, les groupes devraient inclure au moins un membre dont le tempĂ©rament professionnel est « anxieux ». MalgrĂ© sa connotation habituelle plutĂ´t nĂ©gative, les auteurs utilisent ce terme de façon positive : les membres du  groupe qui sont anxieux sont prĂŞts Ă  se demander, et Ă  l’exprimer expressĂ©ment, si les opinions et dĂ©cisions du dirigeant sont bien fondĂ©es.

L’autre influence reconnue par les auteurs est la pression sociale. Un peu comme les pressions exercĂ©es par les pairs, les pressions sociales peuvent amener les personnes Ă  choisir le silence, peut-ĂŞtre inconsciemment, pour Ă©viter la dĂ©sapprobation de leurs pairs ou de paraĂ®tre dĂ©sagrĂ©ables ou sottes.

Ces influences peuvent conduire les membres du groupe Ă  ne pas exprimer des commentaires, idĂ©es ou prĂ©occupations tout Ă  fait valables. Ces doutes ou ce choix du silence peuvent faire partie d’une cascade d’information alors que les idĂ©es sont exprimĂ©es successivement, et peut-ĂŞtre tues ou dĂ©formĂ©es, au fil des apports qui sont faits lors de la discussion. La dĂ©cision qui s’ensuit, bien que prise sans heurts, peut ĂŞtre fondĂ©e sur l’absence de certaines connaissances ou opinions qui pourraient faire la diffĂ©rence entre le succès et l’Ă©chec.

Parmi les principaux enseignements Ă  tirer de cette lecture, il importe de noter les suivants.

  • Le sage dirigeant veillera Ă  amplifier plutĂ´t qu’Ă  neutraliser les prĂ©jugĂ©s des personnes. Il ne s’attendra pas Ă  de « beaux discours » ou Ă  l’optimisme, ni ne les encouragera comme pain quotidien du fonctionnement du groupe : « les leaders avertis sont anxieux », ils sont sceptiques, envisagent sous divers angles les pièges, les risques et les situations imprĂ©vues avant de prendre des dĂ©cisions majeures ou de planifier un projet.
  • Connaissant les influences qui peuvent conduire au choix du silence, le sage dirigeant n’exprimera pas ses vues et permettra aux autres membres du groupe, sans Ă©gard Ă  la hiĂ©rarchie, de s’exprimer en premier. De prĂ©cieuses informations ou une opinion Ă©clairĂ©e, ne correspondant pas forcĂ©ment Ă  celle du dirigeant, apparaĂ®tront alors qu’elles n’auraient peut-ĂŞtre pas Ă©tĂ© exprimĂ©es si le dirigeant avait parlĂ© en premier.
  • Le sage dirigeant redessinera le concept d’esprit d’Ă©quipe, le faisant passer du soutien des opinions prĂ©fĂ©rĂ©es par la majoritĂ© des membres du groupe ou pire, par son dirigeant, Ă  l’apport de prĂ©cieuses informations.
  • Le sage dirigeant se rendra compte que le but de ces approches n’est pas de protĂ©ger les personnes dont les opinions sont diffĂ©rentes, ni mĂŞme de protĂ©ger la libertĂ© d’expression ou la connaissance, mais bien plutĂ´t de protĂ©ger le groupe lui-mĂŞme face Ă  l’Ă©chec.

Wiser: Getting Beyond Groupthink to Make Groups Smarter, par Cass R. Sunstein et Reid Hastie. (Boston: Harvard Business Review Press, 2015) 253 pages. Comprend des notes et un index. ISBN 978-1-4221-2299-0 (livre reliĂ©) eISBN 978-1-62527-050-4. 30 $.

Kim Nayyer est bibliothĂ©caire universitaire adjointe du Law, Legal Research & Writing Program offert par la FacultĂ© de droit de l’UniversitĂ© de Victoria.