Le problème de la durée des mandats de direction

  • 09 avril 2009
  • Patrick J. McKenna

Les associĂ©s directeurs d’expĂ©rience rapportent qu’Ă  la deuxième annĂ©e de leur mandat, ils ont commencĂ© Ă  avoir confiance en eux, et que ce n’est qu’Ă  la troisième annĂ©e qu’ils ont commencĂ© Ă  faire des progrès significatifs.

Si cette expĂ©rience est partagĂ©e par l’ensemble des dirigeants de cabinets, pourquoi vouloir limiter l’efficacitĂ© des personnes chargĂ©es de la stratĂ©gie et de la direction de votre cabinet par une limite de temps arbitraire et bureaucratique?

Les personnes opposĂ©es Ă  l’imposition d’une limite Ă  la durĂ©e des mandats diront que la question ne devrait pas porter sur la durĂ©e du mandat des associĂ©s directeurs. La question devrait plutĂ´t ĂŞtre celle-ci : est-ce que l’associĂ© directeur ou l’associĂ©e directrice mĂ©rite de rester en poste Ă  la lumière de sa performance? Les bons dirigeants de cabinets ont la capacitĂ© d’affiner leur pensĂ©e pour s’adapter aux besoins et au climat d’affaires changeants du cabinet. Les dirigeants qui ne savent pas s’adapter Ă  un environnement changeant ne seront jamais efficaces, qu’ils soient en poste douze mois ou douze ans. La durĂ©e des mandats n’est pas le problème. Un bon sens des affaires, un talent pour la direction et la capacitĂ© de mettre en Ĺ“uvre la stratĂ©gie du cabinet devraient ĂŞtre les critères en fonction desquels Ă©valuer la performance des associĂ©s directeurs.

Il faudrait aussi reconnaĂ®tre que le temps nĂ©cessaire pour atteindre des objectifs de performance peut varier selon que les associĂ©s directeurs dirigent un cabinet prospère ou qu’ils ont Ă  se battre avec un cabinet en difficultĂ© (distancĂ© par la concurrence, dĂ©rivant sans direction prĂ©cise, et devant probablement faire face aux comportements profondĂ©ment incrustĂ©s de plusieurs associĂ©s). Autrement dit, croire que les associĂ©s directeurs de cabinets prospères devraient travailler en fonction des mĂŞmes limites de temps que les associĂ©s directeurs de cabinets en difficultĂ© est Ă  la fois irrĂ©aliste et dangereux.

Si l’on suit cet argument, il ne faudrait pas menotter ou brider les associĂ©s directeurs, mais plutĂ´t leur donner l’espace nĂ©cessaire pour diriger, manĹ“uvrer, innover et rĂ©ussir.

L’argument pour une limite Ă  la durĂ©e des mandats

En 1991, les professeurs Hambrick et Fukutomi, de l’UniversitĂ© Columbia, ont proposĂ©, sur la base de cette recherche initiale, un modèle exposant les grandes lignes de cinq stades discernables dans l’Ă©volution du mandat d’un PDG. Au dĂ©but, le dirigeant ou la dirigeante travaille Ă  Ă©tablir de premiers antĂ©cĂ©dents, Ă  Ă©tablir sa lĂ©gitimitĂ© et Ă  prendre pied politiquement. Le ou la titulaire rĂ©alise ensuite quelques petits succès et Ă©tablit une crĂ©dibilitĂ© suffisante pour pouvoir envisager de nouvelles directions Ă  explorer. Dans le troisième stade, le dirigeant ou la dirigeante tend Ă  choisir un thème autour duquel organiser le cabinet dès cet instant ? autrement dit, il ou elle choisit les Ă©lĂ©ments les plus confortables pour le cabinet et qui semblent fonctionner le mieux. Arrive finalement le stade oĂą le dirigeant n’apporte que quelques changements simplement destinĂ©s Ă  affiner les directions prises prĂ©cĂ©demment. Ă€ un certain moment, on passe de la maĂ®trise du travail Ă  l’ennui, de l’euphorie Ă  la fatigue, des choix stratĂ©giques Ă  l’automatisme. Ă€ l’intĂ©rieur du dirigeant, l’Ă©tincelle s’affaiblit et la capacitĂ© de rĂ©agir aux nouvelles idĂ©es diminue.

Fait Ă  noter, mĂŞme si Ă  ce stade le dirigeant se dĂ©sengage psychologiquement, son pouvoir est Ă  son summum. Dans un cabinet d’avocats, ce dirigeant peut avoir nommĂ© plusieurs des chefs actuels des Ă©quipes de pratique et les associĂ©s directeurs du bureau, avoir son mot Ă  dire sur la sĂ©lection des membres du conseil d’administration, jouir de nombreux appuis Ă  la grandeur du cabinet, et mĂŞme avoir dĂ©veloppĂ© une aura d’homme ou de femme d’État.

Pour de tels dirigeants de cabinets, mĂŞme si la fièvre de la direction est partie depuis longtemps, quitter le poste est un choix gĂ©nĂ©ralement peu attrayant. Par consĂ©quent, la durĂ©e de ce stade dysfonctionnel du mandat des dirigeants peut s’Ă©tirer longtemps. Les cabinets dont les mandats de direction n’ont pas de durĂ©e limitĂ©e courent un sĂ©rieux risque de souffrir de malaise et de lĂ©thargie.

Plusieurs associĂ©s directeurs doivent quitter leur poste Ă  un âge de retraite dĂ©terminĂ© ou le quittent simplement parce qu’ils en ont envie. Étant donnĂ© que les associĂ©s directeurs accumulent du pouvoir avec le temps, et que les associĂ©s deviennent confortables après quelques annĂ©es de prospĂ©ritĂ© continue du cabinet, un mandat Ă  durĂ©e limitĂ©e peut constituer le seul moyen rĂ©aliste de s’assurer que les professionnels quittent leur poste avant que leur performance ne se dĂ©tĂ©riore.

La conclusion qui se dĂ©gage d’une partie des recherches sur la question est que l’Ă©volution d’un mandat de direction prĂ©sente des stades discernables et que ces stades permettent d’Ă©tablir des modèles d’attention, de comportement et, finalement, de rendement du cabinet. Ce qui signifie que les organisations doivent ĂŞtre vigilantes Ă  l’Ă©gard des risques liĂ©s aux mandats prolongĂ©s des dirigeants de cabinets. Outre les aberrations en matière de performance qui demandent des solutions spĂ©cifiques, il existe un temps optimal pour les mandats. D’oĂą le concept de durĂ©e limitĂ©e des mandats.

Maintenir sa capacité à se renouveler

Il ne manque pas de cabinets prospères dont les mandats de direction sont pourtant longs. J’ai donc demandĂ© Ă  plusieurs prĂ©sidents et associĂ©s directeurs de cabinets ce qu’ils font pour recharger leurs batteries. Comme on peut l’imaginer, ces dirigeants ont Ă©voquĂ© toute une gamme de techniques et d’outils diffĂ©rents.

Certains dirigeants tiennent un journal personnel dans lequel ils font la liste des idĂ©es dont la mise en Ĺ“uvre les garde en Ă©veil. D’autres s’efforcent de dĂ©lĂ©guer certaines tâches administratives pour Ă  la fois former de nouveaux dirigeants potentiels et tromper l’ennui de la routine. D’autres encore rĂ©servent des blocs de temps prĂ©cis Ă  la rĂ©flexion. Brian Burke, qui a Ă©tĂ© PDG de Baker & Daniels pendant seize ans, croit qu’il faut se trouver un accompagnateur (« quelqu’un Ă  qui le dirigeant ou la dirigeante peut se confier et auprès de qui il ou elle peut obtenir un son de cloche diffĂ©rent ») et ne jamais cesser de lire et d’apprendre (« Apprendre peut ĂŞtre l’une des activitĂ©s les plus rafraĂ®chissantes qui soient, surtout si le sujet est nouveau et diffĂ©rent. »). Pour sa part, le vĂ©tĂ©ran de la gestion John R. Sapp, de chez Michael Best, m’a expliquĂ© comment une participation active aux forums sur la gestion parrainĂ©s par des organisations comme Lex Mundi lui a permis d’ĂŞtre constamment exposĂ© Ă  de nouvelles idĂ©es, et qu’il avait assistĂ© au programme de Harvard sur l’administration des bureaux de professionnels… deux fois.

D’autres dirigeants ont parlĂ© de la nĂ©cessitĂ© de se distancier de la « pensĂ©e de groupe » qui affecte la profession, par exemple en organisant chaque mois des midis-confĂ©rences pour les associĂ©s oĂą des PDG de sociĂ©tĂ©s clientes viennent parler des innovations qu’ils parrainent dans leur entreprise; en entretenant des relations avec les dirigeants de firmes d’autres types de services professionnels; ou en instituant un processus par lequel les associĂ©s directeurs jouent le rĂ´le d’un comitĂ© de surveillance des tendances prĂ©parant chaque trimestre un rapport sur les derniers changements susceptibles de toucher le cabinet.

Selon moi, l’Ă©tat d’esprit des associĂ©s directeurs est une composante cruciale de leur performance ? soit le fait de savoir que leur identitĂ© n’est pas attachĂ©e pour toujours Ă  leur poste de direction et que d’autres dĂ©fis existent ailleurs. Une des clĂ©s du succès est de comprendre qu’une autre personne pourrait faire encore mieux que soi dans la gestion du prochain stade de croissance du cabinet ? et d’ĂŞtre Ă  l’aise avec cette idĂ©e.

Patrick J. McKenna, une autoritĂ© internationale en matière de gestion des cabinets d’avocats, est l’auteur de deux livres Ă©lectroniques importants adressĂ©s aux dirigeants de cabinets :First 100 Days : Transitioning A New Managing Partner (NXTBooks, 2006), tĂ©lĂ©chargeable Ă  partir de son site Web, et la suite, Passing The Baton : The Last 100 Days(Ark, 2008), offert sur le site de l’Ă©diteur, Ark Publishing, et sur Amazon.com.