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Malheur-de-Travailler-Tard

01 décembre 2025

Chère Advy,

Est-il normal de se sentir coupable de ne pas travailler tard alors que tout le monde dans mon cabinet le fait? En tant que jeune juriste en début de carrière, je ressens le poids d’attentes systémiques, comme la disponibilité constante, la pression du service et l’épuisement professionnel. Comment puis-je prôner un changement structurel, tant pour moi-même que pour les futurs juristes, tout en continuant à naviguer dans la culture des heures facturables? Je fais de mon mieux pour établir des limites saines, mais cela ne m’empêche pas de ressentir de l’anxiété par rapport à mes choix.

Sincèrement,
Malheur-de-Travailler-Tard


Chère Malheur-de-Travailler-Tard,

Est-ce que je reçois des points en prime si je réponds à votre message après 17 h?

Votre lettre soulève un problème persistant au sein de notre profession, alors, je vous remercie de m’avoir écrit. Si jamais vous pensez être la seule à ressentir cette inquiétude, veuillez prendre un moment pour lire l’Étude nationale des déterminants de la santé et du mieux-être des professionnels du droit au Canada, réalisée en 2022, et en particulier la discussion sur la nécessité de formation sur la gestion de ce genre de préoccupations.

Vous êtes loin d’être seule.

L’établissement de limites, en particulier lorsqu’il s’agit de rester au travail tard, sans aucune raison, constitue un obstacle difficile. En effet, il y a une pression implicite et non exprimée de la part des collègues pour qu’on fasse comme eux. Bien sûr, cette pression fonctionne comme une soupape unidirectionnelle. Chaque personne remarque que ses collègues restent tard. De ce fait, chacun étire sa journée de travail parce qu’il a l’impression que tout le monde fait la même chose. Chaque personne reste disponible un peu plus longtemps que ses pairs, ce qui alimente ensuite cette perception de groupe selon laquelle « tout le monde le fait ». Personne ne veut être la première personne à briser ce cycle. Même si votre cabinet le précise dans ses politiques, même si des juristes plus expérimentés vous disent que vous n’avez pas à être disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, être la première personne qui prend l’ascenseur pour quitter le bureau à la fin de la journée, alors que tous les autres ne semblent pas prêts de partir, est incroyablement intimidant, surtout lorsque vous êtes en début de carrière.

Il peut sembler un peu bizarre de faire allusion à la « pression des pairs ». Après tout, la pression des pairs n’est-elle pas un phénomène qui commence et se termine à l’adolescence? Eh bien, non. La pression des pairs continue d’exercer une influence sur notre comportement jusqu’à l’âge des jeunes adultes et peut-être même au-delà. La tendance à observer les autres pour comprendre la manière appropriée de se comporter est particulièrement fréquente quand nous nous retrouvons dans un nouvel environnement. Naturellement, vous regardez autour de vous, vous constatez que les autres restent tard et vous concluez que c’est la norme dans votre environnement de bureau.

Un aspect encore plus inquiétant de cette exigence tacite de rester tard au travail c’est la perception qu’ont les gens selon laquelle les décisions concernant les promotions et les personnes à garder sont basées sur le temps passé au bureau. La réponse facile et toute cuite consisterait à vous dire de ne pas vous en faire. De forger votre propre chemin! D’être vous-même! Les cabinets récompensent les résultats, pas les personnes qui sont les plus visibles au bureau.

Malheureusement, nous savons tous que ce n’est pas si simple. Ce sont de bons sentiments, bien sûr, mais vous êtes une jeune juriste qui tente de trouver sa place dans la culture de son cabinet et vous ne pouvez pas vous permettre d’agir de façon aussi cavalière par rapport à l’avenir de votre carrière. Je vous épargnerai les platitudes que vous avez sans doute entendues plusieurs fois par le passé. Je n’énumérerai pas non plus les nombreuses bonnes raisons pour lesquelles vous devez établir les limites de votre temps et de votre vie. Votre lettre suggère que vous êtes bien au courant de ces raisons, même s’il est possible que vous ou vos collègues du cabinet puissiez tirer profit de quelques idées partagées dans des lettres précédentes de la présente chronique.

Précisément, votre question est « Comment puis-je prôner un changement structurel, tant pour moi-même que pour les futurs juristes, tout en continuant à naviguer dans la culture des heures facturables? ». Vous mentionnez des facteurs comme la pression d’être constamment disponible, la pression du service et l’épuisement professionnel. La réalité à laquelle vous faites face est que, à tout le moins à court terme, vous êtes coincée dans une structure qui récompense les facturations élevées et punit les facturations faibles. Cette structure pourrait-elle changer à un moment ou un autre pour mieux soutenir la santé mentale et physique des juristes? Oui, c’est possible, mais le simple fait que les choses puissent changer ne résout pas la question que vous posez. Ainsi, dans le contexte de ce qui est au moins pour l’instant un cadre pour l’avancement de carrière fondé sur les heures facturables, que pouvez-vous faire pour établir et maintenir des limites saines afin de protéger votre santé et votre bonheur?

Le point de départ d’un plan pour préconiser le changement tout en gardant à l’esprit la réalité de la structure de votre cabinet est le suivant : même si vous êtes une jeune juriste en début de carrière, vous avez beaucoup plus d’influence sur la façon dont la culture de votre milieu de travail se développe que vous ne l’imaginez. Vous pouvez trouver quelques conseils précis sur la façon de changer une « culture d’oppression » au sein de votre cabinet dans un article antérieur de cette chronique. Même si elle ne semble pas réagir à vos préoccupations, la direction de votre cabinet accorde probablement plus d’importance à ce que vous dites qu’elle semble le faire. Votre voix est entendue même si cela ne semble pas être le cas. Prêtez attention aux changements de comportement dans votre cabinet lorsque vous essayez de changer des choses plutôt que de chercher des commentaires positifs de la part des cadres. Après tout, il y a probablement déjà une certaine dissonance entre ce que votre cabinet dit au sujet du travail tardif au bureau et la manière dont elle donne l’impression d’agir à ce sujet. Ne vous attendez pas à un mea culpa de la part du reste de votre cabinet. Regardez ce que les autres juristes font en réponse à votre initiative.

Rappelez-vous que votre cabinet se soucie d’avoir suffisamment de factures pour couvrir les frais généraux et pour dégager un profit. Une grande partie du temps que vous passez à traîner au bureau (ou à faire à peu près la même chose de façon virtuelle, en étant toujours disponible pour répondre à des courriels, à des textos, etc.) s’appelle le « temps de rencontre physique ». Autrement dit, vous passez du temps à vous montrer aux autres membres de votre cabinet, afin qu’ils se souviennent que vous existez et que vous pouvez accomplir certaines tâches. Vous ne pourrez jamais inscrire des heures facturables ni facturer cette disponibilité constante, et cela ne se reflétera pas dans votre décompte annuel d’heures facturables, du moins pas directement. Cela signifie que votre temps de rencontre physique au bureau n’aide pas non plus la quête du cabinet visant à couvrir les frais généraux et à assurer sa rentabilité.

Est-ce que je vous recommande de ne jamais être visible dans le bureau de votre cabinet? Non, pas du tout. Vous devez effectivement rappeler aux juristes qui peuvent vous confier du travail que vous existez et que vous pouvez les aider. Cependant, il n’y a pas de conflit inhérent entre le maintien d’une vie personnelle en dehors du travail et la satisfaction des besoins de votre cabinet pour le retour sur investissement que vous représentez. Il n’est pas facile de trouver cet équilibre entre être disponible et avoir une vie. Il n’existe pas non plus de solution unique.

Votre meilleur outil pour changer la culture de votre milieu de travail est la collaboration. Seule, vous êtes beaucoup moins efficace que si vous parlez au nom d’un groupe du cabinet, que ce soit votre groupe de pairs ou même simplement des juristes de tous les niveaux d’expérience qui semblent réceptifs au changement de la culture de travail. Parlez de vos inquiétudes avec vos collègues. Assurez-vous de ne pas dénigrer les gens qui semblent exercer une pression pour rester tard au bureau. Il est plus probable que le contraire qu’ils réagissent également à cette pression invisible des pairs dont j’ai parlé plus haut. Ils exercent probablement cette pression sur vous inconsciemment ou, tout au plus, de façon semi-consciente. Même s’il y a une pression délibérée pour que vous travailliez tard, jetez la responsabilité sur quelqu’un et l’humilier se retournera probablement contre vous. Votre objectif est de réduire votre temps de rencontre physique tout en permettant à votre cabinet d’atteindre son objectif en matière de retour sur investissement.

Ce sera terrifiant au début. Cependant, vous constaterez que les gens sont généralement plus réceptifs que ce que vous pensez lorsque vous demandez de l’aide et le processus sera plus facile avec le temps. Il est également bon de se rappeler que vous n’avez pas à vivre cette épreuve terrifiante seule. Le programme d’aide aux juristes de votre région peut vous fournir du soutien professionnel et confidentiel afin de vous aider à reprendre votre vie en main. De nombreux programmes d’aide aux juristes proposent aussi du soutien par les pairs et vous mettent en contact avec des juristes de votre région aptes à vous aider à surmonter cette situation. Vous constaterez probablement que la préoccupation que vous soulevez est presque universelle au sein de la profession et que vous avez donc de bonnes chances de trouver une oreille attentive. Vous pouvez également trouver de bons référents et mentors en vous joignant à une section de votre division locale de l’ABC, qui vous mettra en relation avec des pairs de votre domaine de pratique ou de votre cohorte de travail. Envisagez de vous joindre à la section des jeunes juristes ou à une section de droit de votre région.

Lorsque vous tissez des liens avec d’autres personnes de votre cabinet, ou même de l’extérieur, ne vous contentez pas de leur parler de vos préoccupations au sujet du temps que vous devez mettre à la disposition de votre cabinet. Écoutez leurs préoccupations et leurs idées. Comme je l’ai mentionné plus haut, le besoin de votre cabinet d’obtenir un retour sur investissement adéquat et votre besoin d’avoir une vie heureuse en bonne santé ne doivent pas forcément être en conflit. D’autres personnes de votre entourage peuvent avoir de bonnes idées et pratiques qui vous aideront à concilier ces deux besoins afin qu’aucun conflit surgisse, ou du moins pour réduire la fréquence à laquelle ont lieu ces types de conflit. Vous serez peut-être surprise par les idées géniales et le soutien émotionnel que vous trouverez chez vos collègues lorsque vous les approcherez. Vous pouvez même être la personne qui les amène à réfléchir et à parler de la manière dont ils trouvent l’équilibre entre leur travail et leur vie privée.

L’avantage des conseils de vos collègues est qu’ils sont adaptés à la culture de votre cabinet. C’est quelque chose que votre humble chroniqueuse de conseil ne pourra jamais remplacer.

Prenez bien soin de vous,
Advy